Groupes Medvekine

Pendant une demi-heure, mardi 19, l'émission "historique" quotidienne de France-Inter (de 13 h 30 à 14 h), dirigée par un ancien de France Culture, a été consacrée aux Groupes Medvekine (Marker, Magny, etc.) qui se sont constitués à la fin des années 1960 en Franche-Comté : du "cinéma" de documentaire engagé, militant, du cinéma action, fait par des militants ouvriers pour inciter d'autres ouvriers à l'action révolutionnaire.
Il n'y a rien à redire à ce sujet, qui tient de l'histoire sociale.

En revanche, il y a à redire au mode, tout en éloge, partisan, engagé, militant, frisant l'épopée, de l'émission. Il est vrai que de France-Inter et d'un ancien de France-Culture, suffisant, prétentieux, arrogant, on ne pouvait attendre autre chose que du bourrage de crâne ou de la rétropropagande.

De Medvekine, ce Paul Marion de la propagande soviétique, il n'a été rien dit, sinon qu'il a essayé d'inculquer dans les années 1930-1960 les beautés du socialisme en construction aux masses soviétiques. En réalité, à partir de 1932, au moment où commencent et la lutte contre les prétendus koulaks (comprendre : les paysans attachés à la terre) et l'extermination par la famine organisée des paysans ukrainiens, Medvekine faisait filmer par les paysans eux-mêmes leur propre servitude et il montait le soir même ce qui avait été filmé dans la journée (il allait d'un kolkhoze à l'autre dans un camion aménagé en studio) pour fabriquer des documentaires de propagande, du type l'accueil enthousiaste des paysans d'Ukraine ou d'ailleurs à l'édification du socialisme agraire ou à l'inclusion de leurs terres dans des sovkhozes ou des kolkhozes - c'est-à-dire, traduit en bon français, l'assentiment des esclaves à leur esclavage ou des condamnés à la famine à leur propre mort.

Dans cette émission, et l'animateur et "l'historien" invité ont répété que ces groupes Medvekine ont été formés dans les années 1960 par des militants venus de la résistance intérieure (comprendre : des staliniens), sans que jamais ils aient nuancé cette assertion ou l'aient modulée par un ton ironique et sans que l'un et l'autre s'interrogent sur l'incompatibilité entre la résistance (le fait de dire "non" à une oppression) et la propagande à la Medvekine, qui a eu, justement, pour but de juguler, annihiler, de réprimer, d'empêcher toute résistance. Se réclamer de Medvekine, c'est l'opposé exact de tout acte de résistance.

Le plus cocasse dans cette émission a résulté de ce qui a été dit (sur le mode de l'éloge) des intentions et volontés et actions de ces groupes de cinéastes (amateurs et professionnels) et la réalité de la classe ouvrière et de la France trente ou quarante ans plus tard.

Ce qu'ils prétendaient combattre pour ce qui était de la culture, c'était les émissions de Guy Lux, qui étaient censées, selon eux, abrutir les ouvriers et les détourner de l'action politique. Certes, ces émissions ne valaient pas grand-chose, mais elles prétendaient à peu : des jeux ou du music-hall le samedi soir ou le dimanche après-midi, de purs divertissements sans autre but que le divertissement bon enfant et qui ne heurtaient personne, sauf quelques disciples de Blaise Pascal égarés (Marker en était-il un sans le savoir ?) et que personne n'était obligé de regarder. Trente ans après, les émissions de Guy Lux ont été remplacées par Secret Story, Confessions intimes, Le Loft (ou ses variantes), les reality shows, Canal + (le Grand et le Petit Journal) qui sont à Intervilles ce que la musiquette de foire est à Mozart - et avec l'assentiment des gauchistes, staliniens ou ex, socialistes et autres anciens du "fond de l'air rouge".

Un des objectifs affichés de ces petits Medvekine était de donner à la classe ouvrière de la dignité, de la combativité, de la lucidité politique (pour voter Mitterrand massivement en 1981 !). Quarante ans après, qu'ont produit ces intentions ? Rien, ou plutôt le contraire de ce à quoi elles tendaient. Les usines où militaient ces cinéastes amateurs et professionnels ont fermé; les entrepreneurs ont préféré s'établir dans des pays moins hostiles; les entreprises ont disparu (que reste-il de Rhône Poulenc ? de Péchiney ? de Rodiaceta ?); celles qui ont survécu comme Peugeot sont à l'agonie et près de passer, ironie de l'histoire, sous l'emprise d'entreprises chinoises contrôlées par le parti communiste le plus stalinien et le plus vorace qui ait existé.

Ces ouvriers de Sochaux ou de Besançon sont morts, comme les illusions qu'ont nourries pour eux les groupes Medvekine. Ils vivaient assez dignement; leurs enfants sont condamnés au chômage, au RMI, à des sous-emplois subventionnés, à la négation de soi. En fait, le résultat dans cette partie-là de la France est identique à celui qui a été observé en URSS du temps de la propagande à la Medvekine : terres à l'abandon, paysannerie dépouillée de toute dignité, gabegie généralisée. En France, c'est friches industrielles, classe ouvrière à l'agonie, appauvrissement du pays, endettement abyssal.

Si France Inter avait été une radio de "service public", tous ces faits auraient été rappelés, ne serait-ce que pour inciter les auditeurs à prendre leurs distances par rapport à ce que "l'historien" invité déblatérait.

(message supprimé par son auteur même).

A bien des égards ce sont les mêmes qui aujourd'hui entendent persuader le peuple des joies du "vivrensemble".

Les pédagogues et autres gauchistes (même socialistes) de la pédagogie qui, dans les années 1970, ont mis à bas l'école, l'instruction publique, le savoir, la culture, la langue sont la même force nihiliste que ces groupes Medvekine : mêmes idées, mêmes conceptions, même utopie, même idéologie, qui se sont appliquées dans des champs différents, mais avec les mêmes résultats.

Medvekine ? Un rossignol des charniers staliniens.
Chris Marker, lui, fut le rossignol des charniers maoïstes.
Merci cher Rebeyrol.