M. Mitterrand (le neveu) a publié, un peu plus d'un an après avoir cessé ses fonctions, le récit de son expérience de ministre. Il semble qu'il ait écrit le livre lui-même. Peu importe le contenu ou le talent réel ou supposé de l'auteur. Alain Peyrefitte a attendu trente ans avant de publier le compte-rendu de ses entretiens avec De Gaulle et le récit de ses expériences de ministre. Mitterrand, qui a été ministre de plein exercice (et non sous-secrétaire d'Etat aux Beaux-arts), a tout déballé le lendemain de sa démission, comme s'il n'avait fait que séjourner pendant trois ans dans la forêt amazonienne au milieu des indiens bororos ou tupis. Aucun commentateur n'a relevé la désinvolture insolente du titre : la Récréation. Aujourd'hui, être Ministre de la République française, ce n'est pas servir, ce n'est pas participer à l'aventure historique d'un peuple millénaire, c'est s'accorder trois ans de récréation.
Après la "littérature", le cinéma. Quai d'Orsay de M. Tavernier est un film amusant, agréable à suivre, talentueux, qui traite sur le mode de la dérision de la lente maturation du grand discours prononcé en 2003 devant le Conseil de Sécurité de l'ONU par le ministre des affaires étrangères alors en poste : Dominique de Villepin, pour justifier le "Non" de la France à une intervention militaire de l'ONU en Irak. Le film se termine sur l'accueil enthousiaste qui a été fait à ce discours.
Le sujet est d'importance : c'est la politique étrangère de la France; le lieu où se passe le film est prestigieux : c'est l'hôtel particulier du quai d'Orsay (au 20, je crois), dans lequel se trouvent le bureau du ministre, les bureaux de ses conseillers, les grandes directions du ministère, le salon des beauvais, etc. Les personnages - ministre, directeurs, conseillers - sont censés être la crème de la crème et former l'élite de la nation.
Or, que nous est-il montré ? Un ministre qui a des lubies, se contredit à chaque instant, prend des décisions sur des coups de tête, décisions qu'il annule le lendemain, tient ses collègues du gouvernement pour des imbéciles et ses homologues pour des demeurés, demande des conseils à des écrivaillons de cinquième ordre, multiplie les énormités, a pour livre de chevet l'oeuvre lacunaire d'Héraclite, utilise son stabilo jaune comme un outil magique pour démêler le vrai du faux, tient ses saillies à la Prudhomme pour des étincelles de génie, se prend pour un poète inspiré, met sur le même plan l'insignifiant et l'important et semble exercer sa mission comme si c'était un jeu de cour de récréation...
La récré ou, plus exactement, une plaisante dérision : voilà ce que disent de la culture et des affaires du monde le livre de M. Mitterrand et le film de M. Tavernier, qui sont l'un et l'autre des hommes "de gauche", Tavernier adoptant même le point de vue du naïf "de gauche" (le conseiller "en langage" joué par Personnaz) pour raconter les quelques mois qui ont abouti au Non de la France à l'ONU. Le désastre n'a pas seulement ruiné la langue, l'école, la morale, le savoir; il affecte aussi le plus haut niveau de l'Etat, et tout cela pour distraire le public qui rit souvent et longtemps à Quai d'Orsay.