« Se civiliser pour se civiliser n'a aucun sens, est une morale impossible. Le seul processus de (re)civilisation possible et envisageable repose et s'appuie sur la souveraine conviction que sa civilisation est meilleure et destinée à absorber toute concurrente. » Francis Marche
« Il ne s'agit plus seulement de sortir de la civilisation française (et européenne) – c'est déjà largement accompli-, il s'agit de sortir de la civilisation tout court[...] ». Renaud Camus (Valeurs actuelles du 6 au 12 septembre 2012)
Chers maîtres, y a-t-il une contradiction entre ces propos ?
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"Nous sommes d'accord pour dire qu'une morale prescrit, mais une prescription n'est morale au sens le plus noble que si elle reconnaît qu'il y a de l'être et n'essaie pas de se faire passer pour lui." Julien Fleury
Sans doute, les Amis du Désastre écarteront d'un revers de la main, comme une élucubration de plus, le procès en irréalisme qu'on prétend ici leur dresser, eux qui sont, au contraire, persuadés d'incarner le parti de la science, eux qui analysent, sous les apparences subjectives, ce qu'il en est objectivement du "sentiment" d'insécurité, par exemple.
Il ne suffit pas pour préserver la réalité de son déni de rappeler que la vérité est une exigence méta-morale : les Amis du Désastre ne doutent ni de leur moralité ni de la vérité de leur propos. La morale, surtout, se rapporte positivement à ce qui est. Pour cela, la science, débordant de son domaine, bafoue la vérité de deux manières comme le devoir-être se rapporte à l'être de deux façons : d'une part, il est une dimension constitutive de l'homme, l'espace moral qui rend possible ses actes, d'autre part, il est l'être véritable, une affirmation ontologique (explicite ou implicite) qui suscite l'amour et l'allégeance.
L'éponge scientiste révèle contre la vérité de l'homme, et, donc, contre la vérité tout court, le soi-mêmisme en effaçant l'horizon moral. C'est au nom de la science que l'opinion déclare le Bien une invention facultative. Par suite, les jugements moraux n'étant que des réactions naturelles (instinctives), on devrait les assouplir, les élargir comme on exige des enfants qu'ils s'habituent aux épinards (voire à la salade cuite). La tolérance, nouvelle valeur cardinale, n'est donc pas un impératif moral, mais une transposition de la diététique ; elle est dictée par l'utilité sociale. La bonne conscience du parti dévot n'a donc rien à voir avec la conscience mais beaucoup avec la satiété (barriga llena, corazon contento), la satisfaction que procure la réussite et l'adaptation sociales. Les prescriptions se multiplient logiquement avec l'effacement de la morale et l'avènement du darwinisme social.
Comme la censure prétendument morale, le mépris de la réalité résulte du dévoiement de la science. Quand le sociologue affirme que les Roms ne sont pas plus voleurs que les Suédois, il veut dire : "avez-vous des données chiffrées ? Méfiez-vous des généralités !" Lui apporte-t-on des preuves objectives, il écartera le terme voleur moralement connoté au nom des explications scientifiques de ce mode économique spécifique. Le Rom aura beau protester (mais si, je suis voleur !), le sociologue ne le croira pas. Très capable d'éclaircir le fonctionnement de ce qui est, il se montre néanmoins incapable de rendre la vérité de son objet car il ignore que son objet est d'abord une morale, une expression du Bien. Cette défaillance ontologique doublée du darwinisme social issu de cette même défaillance ontologique accouche de la société infatuée des petits professeurs, saturée du vocable et des préjugés sociologiques, qui, par exemple, refuse à Merah le droit de faire la guerre parce que la politique de la ville, la psychiatrie, etc. Il est impossible de dire la vérité d'une civilisation sans l'aimer ou l'honnir. Francis Marche l'a fort bien dit, lui qui confia sous quel effet il apprit le mandarin.
Outre l'hyper-science, on retrouve l'hyper-démocratie à la source du nouvel ordre prétendument moral. La société étant une pure construction ex nihilo, rien d'étonnant que ses agents confondent les vessies et les lanternes, persuadés qu'ils sont de pouvoir changer les vessies en lanternes du seul fait de les appeler lanternes comme ils sont convaincus que le changement, c'est maintenant parce qu'ils l'ont décidé.