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Scorie telling

Envoyé par Thomas Rhotomago 
06 avril 2014, 00:21   Scorie telling
Vient le moment où le nouveau maire doit ceindre l’écharpe tricolore. Mais elle a un sens, cette écharpe, autrement dit un éventuel mauvais sens, précisément celui que choisit le nouveau maire. On le prévient de sa méprise : le bleu près du cou, le rouge vers l’extérieur. Il en sourit, voudrait donner l’idée que c’est une péripétie amusante, tandis qu’il s’escrime avec ce bout de tissu récalcitrant à rétablir les couleurs dans le sens du protocole républicain. Les adjoints s’emploient vite à seconder leur chef et celui-ci prend le parti de laisser ses auxiliaires lui remettre les couleurs à l’endroit. Il conserve sa bonne humeur dans cet assaut confus de bonnes volontés. La première adjointe finit par prendre les choses en main, c’est-à-dire l’écharpe, et elle recommence l’opération da capo. On dirait qu’elle rembraille un galopin à la retraite qui se laisse faire et, à la fin, elle le ceint dans les règles. On peut passer au discours.

Le nouveau maire de Champignac a définitivement troqué le lyrisme creux des abstractions pour le racontage d’histoires personnelles. Il lit un texte qui ne se donne plus la peine de faire entrevoir aux administrés des horizons de lointaine prospérité et, moins encore, s’inquiète d’asséner un programme. Ce qui va désormais de soi, sans feinte et tout naturellement, c’est l’intime. Le nouveau maire honore la mémoire de sa grand-mère, première centenaire du village en 1979, adresse un signe à son « frangin » et réserve la part du lion à l’évocation de son épouse. On sent chez bon nombre d’habitants la démangeaison de jouer à la « première dame ». Dans l’idéal, l’orateur voudrait emprunter aux politiciens américains cette façon décontractée de s’adresser aux foules en ne négligeant pas l’humour. Plus que tout, il craint l’air compassé. Dans la pratique, il semble vouloir s’installer dans le rôle du gaffeur sympathique. Au pays des crèches provençales, il est ravi.

De son côté, le maire qui passe la main dans des conditions paisibles s’autorise à conserver encore un peu son écharpe. Il a organisé le vote et prend à son tour la parole, débonnaire juste ce qu’il faut, s’exprimant sans papier. Il ferait le même discours si une autre liste l’avait emporté. Il est au-dessus de tout cela. Il évoque le passé de ses mandats successifs, à l’aise dans son rôle. Il évite les clins d’œil à son intimité ou, si certains émaillent son récit, ils apparaissent de façon fugace et bienvenue, dans la bouche d’un homme qui quitte ses fonctions sans aigreur.

Dans cette ambiance on ne peut plus tranquille, familiale et imperceptiblement « peopolisée », les accents guerriers de La Marseillaise entonnée plus tard par des enfants devant le monument aux morts font quelque peu figure d’anachronisme avec leurs féroces soldats qui viennent jusque dans nos bras égorger nos fils et nos compagnes, sans le moindre égard pour les règles du « story telling »…
06 avril 2014, 14:15   Re : Scorie telling
Peut-on en savoir un peu plus sur la genèse de cette excellente prose ? La situation est très finement observée.
06 avril 2014, 16:07   Re : Scorie telling
Excellent, en effet. Comme toujours.
06 avril 2014, 21:24   Re : Scorie telling
"Peut-on en savoir un peu plus sur la genèse de cette excellente prose ?"

C'est un simple billet, inspiré par la récente cérémonie de prise de fonction d'un maire de village.
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