Madame de Genlis retrouve Paris après cinq ans d’exil, au tout début du XIXe siècle. Elle note :
" J’eus bien d’autres sujets de mécontentement. Je trouvais tout changé, tout jusqu’au langage. Voici les phrases qui me frappèrent le plus, et je pense qu’il n’est pas inutile pour la jeunesse et pour les étrangers de les citer ici :
ce n’est pas l’embarras, se donner des tons, des gens de même farine, me paraissaient aussi vides de sens qu’ignobles ; j’avais peine à concevoir qu’elles pussent passer dans le langage des personnes bien élevées.
Cela est farce, cela coûte gros ou
le Pérou, un objet conséquent, pour dire un objet de grand prix, n’étaient pas d’un plus mauvais ton. […]
la Capitale pour dire Paris ;
du champagne, du bordeaux, au lieu de vin de Champagne ; ou
le Français, au lieu de la Comédie-Française.
Elle a de l’usage, de quoi ?... On doit dire : elle a de l’usage du monde. […]
Eduquer ; il reste, pour il demeure ; […]
je vous fais excuse, il roule carrosse ; une bonne trotte, pour une bonne course ;
son dû, pour son salaire :
le beau monde ; un beau râtelier pour louer de belles dents, sont des façons de parler si basses, ainsi que ces mauvaises expressions,
elle est puissante, c’est-à-dire grosse ; un
muscadin, un fat :
flâner pour muser ; et les verbes
embêter, endêver etc ; je suis
mortifié, pour je suis fâché. […]
Je ne fus pas moins surprise en entendant dire
votre demoiselle, pour mademoiselle votre fille.
Madame, tout court, en parlant à un mari de sa femme.
J’y vais de suite, pour j’y vais tout de suite. […] Je trouvais encore que, lorsqu’on faisait les honneurs d’une maison, il ne fallait pas offrir d’une manière vague, comme le faisaient beaucoup de personnes qui avaient l’air de ne pas savoir les noms de ce qu’elles proposaient, disant seulement, voulez-vous
du poisson, ou
de la volaille ? […]
Voici encore des phrases du langage révolutionnaire, qui ne me déplurent pas moins :
aborder la question, en dernière analyse, traverser la vie. […] On avait inventé une phrase merveilleuse, car elle répondait à tout, elle excusait tout. Quelqu’un faisait-il une sottise, ses amis disaient :
c’est qu’il était dans une fausse position ; on n’avait plus rien à objecter. Cependant cette phrase, traduite littéralement, signifie qu’
on était dans une situation embarrassante ; et à cela on répondait jadis que l’esprit de conduite, le courage et l’habileté devaient servir à en tirer. Mais ces mots,
une fausse position, comme on l’a dit, justifiaient tout."