Citation
Jean-Marc du Masnau
Monsieur Rivière,
J'avoue être toujours troublé quand j'entends un hymne qui nous dit :
Deutschland, Deutschland über alles,
über alles in der Welt.
Wenn es stets zu Schutz und Trutze
brüderlich zusammenhält,
von der Maas bis an die Memel,
Prenez une carte de géographie, et voyez ou passe la Meuse.
1° Vous devez être rarement troublé alors : l'hymne national allemand, depuis la réunification, comporte seulement le troisième couplet de cet hymne, celui qui évoque 'l'unité, le droit et la liberté".
2° Et vous avez dû être rarement troublé (ou alors vous êtes très âgé et c'était il y a très longtemps) : depuis 1945, le premier couplet n'était plus chanté dans les cérémonies officielles.
3° Sur une centaine de kilomètres, la Meuse coule à quelques kilomètres de la frontière entre l'Allemagne et les Pays-Bas, et même, en un point, elle est située à cette frontière.
Sur une partie de son cours, le Rhin est à la frontière entre la France et l'Allemagne. Puis il est très loin de cette frontière, profondément en Allemagne. Cela n'empêche pas des Français tout à fait dépourvus d'intentions conquérantes, d'évoquer l'Allemagne comme le pays d'outre-Rhin (ce que ne font jamais les Allemands pour la France).
Moralité : les Allemands connaissent la Meuse quand elle est à la frontière allemande, et l'ignorent un peu comme fleuve français, de même que les Français, quand ils évoquent le Rhin, évoquent la partie de son cours qui est à la frontière française, et ne pensent pas au Rhin purement allemand (ou au Rhin suisse, ou néerlandais). Pour le dire autrement, et plus précisément : de même que la France va
jusqu'au Rhin, l'Allemagne va
jusqu' à la Meuse, et évoquer comme limites, pour un Français, le Rhin, pour un Allemand, la Meuse, ne signifie pas revendiquer implicitement le territoire longé par le fleuve sur la totalité de son parcours (même si cette revendication a pu exister ici et là : en France chez ceux évoquant "les frontières naturelles", en Allemagne chez Hitler)
Ceci est d'autant moins perçu en France du fait qu'un Français ne connaît pas tellement la Meuse en aval de son cours en France.
Cette partie de l'hymne, malgré les apparences pour un Français, n'est donc pas l'expression d'un sentiment expansionniste.
Ce qui y est devenu gênant, c'est plutôt la référence à la Memel (en russe : le Niémen) comme limite orientale. Elle était effectivement jusqu'en 1918 à l'intérieur de l'Allemagne, mais non loin de sa frontière politique et démographique orientale, depuis environ six siècles. Mais là, la frontière allemande, et la population allemande, ont été déplacées en 1945 de près de 600 km vers l'ouest (une partie de la population a fui, une partie a été massacrée, et une partie a été expulsée). Ce fleuve sépare actuellement l'oblast de Kaliningrad, en Russie (Kaliningrad étant l'ancien Königsberg, la ville de Kant), de la Lituanie.
Le couplet évoque également, comme limite sud de l'Allemagne, l'Etsch, c'est-à-dire l'Adige, qui est un fleuve qui traverse le Tyrol du Sud, région peuplée de germanophones et, après la Première Guerre mondiale, prise par l'Italie à l'Autriche contre la volonté de ses habitants, et conservée depuis par elle. Les élus de ce territoire sont presque tous membres d'un parti "italien" très particulier : le Südtiroler Volkspartei. C'est dire que, à l'époque où l'Autriche était un État allemand, membre du Deutsches Bund (la Confédération germanique), cette évocation n'avait rien d'expansionniste ou d'agressif.
La limite nord évoquée par le couplet est le détroit qui sépare le Danemark de l'Allemagne
Ce n'est pas donc pas l'hymne allemand qui par ces mentions géographiques, est expansionniste ou agressif, c'est vous, cher Monsieur, qui vous faites ici l'expression d'un préjugé français agressif : parce que voir l'agression où elle n'est pas, c'est être, peu ou prou, agressif.