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La rue

Envoyé par Thomas Rhotomago 
30 juin 2014, 17:26   La rue
« D’ailleurs un promeneur de 1950 qui marcherait dans notre capitale aujourd’hui croirait que notre pays et le monde entier sont tombés dans la misère. Tous les passants lui sembleraient des sous-prolétaires. La quasi-totale disparition de la bourgeoisie de la rue l’a abandonnée au lumpenprolétariat, ou à ce qui en aurait tout l’air d’un point de vue bourgeois d’ancien temps. » note Renaud Camus dans son Journal de 2007.

Le thème du voyage dans le temps est toujours propice à la rêverie car il est improuvable. Pour ma part, je ne pense pas que ce voyageur revenu à notre époque du fond de ses années 1950 ressente en premier lieu une idée de « misère » à la vue des passants nos contemporains. Pas plus que sa bourgeoisie il ne retrouverait ses prolétaires, moins encore ses « sous-prolétaires » (à la réserve des clochards purs et durs, des clochards « classiques », les seuls, peut-être, qui lui seraient familiers.) Je crois plutôt qu’il ne comprendrait pas de quoi les gens sont vêtus. Il me semble, par exemple, que l’invasion des tenues néo-sportives (qu’il ne reconnaîtrait pas en tant que telles) ne pourrait évoquer à ses yeux la « misère ». De même, les tenues bariolées, les « sweat-shirts » historiés, les « doudounes » de bonhommes Michelin, les coupes de cheveux, les tatouages sur des individus à la mine rien moins que patibulaire et tant d’autres traits le désarçonneraient bien plus qu’ils ne lui inspireraient l’idée d’une paupérisation générale. La disparition presque totale de l’élégance, qu’il observerait sans doute, ne l’inclinerait pas à un diagnostic social. Autrement dit, je crois qu’il ne lirait pas la rue du point de vue du déclin ou du progrès mais sous l’angle d’un changement profond dont les modalités lui échapperaient totalement. Et c’est bien là le problème.
30 juin 2014, 19:00   Re : La rue
Dans les années 1950, il y avait plus de pauvreté qu'aujourd'hui. L'appel de l'abbé Pierre date de 1954. La crise du logement était plus sensible que maintenant. Beaucoup de gens dormaient dans la rue ou dans des bidonvilles. Combien de personnes avaient accès à l'eau courante et à l'électricité ?

S'agissant des vêtements, je ne pense pas que la comparaison soit en faveur du passé. La vision de Renaud Camus est très subjective. Si une certaine élégance s'est perdue, les gens ne sont pas plus pauvrement vêtus. Ils s'habillent différemment. Je ratifie votre jugement. Le revenu moyen des Français a été multiplié par 3,5 entre 1950 et aujourd'hui. Ils se sont enrichis dans l'intervalle et je pense que cela se voit.

Il ne faut pas idéaliser le passé.
30 juin 2014, 20:18   Re : La rue
Je n'étais pas né en 1950, il s'en faut de vingt-cinq ans, mais si j'en crois les photos de ma famille (de souche strictement paysanno-prolétaire, pourtant), d'autres photos de famille, les cartes postales, les films, les documentaires et les livres, les années cinquante gagnent par K.O le combat des élégances.

Sans même parler des tenues (et Dieu sait que les tenues des femmes me désolent, quand elles ne m'horrifient pas), il me semble que c'est la tenue tout court qui semble avoir complètement cessé d'avoir la moindre importance. Cette manière qu'ont les jeunes gens de vouloir toujours s'affaler (préférablement sur des trottoirs et des murs crasseux) me sidère, et je crois que ma grand-mère les regarderait comme des clochards, oui, ces jeunes gens, qu'ils soient pauvres ou pas du tout.
30 juin 2014, 21:50   Re : La rue
Concernant les années 50, j'étais trop jeune et je n'ai pas de souvenir précis. Pour les années 1960, du moins avant 1968, je partage plutôt l'avis de M. Rothomago.

En province du moins, et en semaine, on voyait deux types de personnes, dans la rue : des prolétaires, identifiables immédiatement à leur tenue ; une immense masse petit-bourgeoise, en costume, se distinguant à la netteté de la coupe et à la cherté de l'étoffe. En 1965, tout employé de bureau, même le plus obscur gratte-papier, portait cravate. Il y avait une sorte de pauvreté en veston, vestes trop portées, pantalons qui perdaient leur forme, chemises élimées, chaussures hors d'âge, et sous la veste un gilet tricoté maison... les adolescents proprement mis mais aux pantalons deux fois allongés, les enfants portant les vêtements de leur frère, tout cela était légion... une image de propreté digne plus que de bourgeoisie.

Plus que le côté sous-prolétaire, c'est bien le côté étrange et bariolé qui frapperait le visiteur de 1965 revenu en France.
30 juin 2014, 22:20   Re : La rue
C'est ça : la sous-prolétarisation est une question de maintien et de langue, c'est-à-dire de civilisation, pas de niveau de vie matériel. On voit des jeunes gens assis dans la rue au milieu des crottes de chiens et des immondices laissés par leurs prédécesseurs, buvant de la bière comme les clochards d'antan buvaient du gros rouge, et parlant pire que ces derniers.
30 juin 2014, 22:27   Re : La rue
Concernant cette faune-là, je suis d'accord quant à son aspect : elle n'en constitue pas néanmoins un sous-prolétariat.

Les personnes que nous décrit M. Rothomago (qu'il me détrompe) sont plutôt la population générale, qui n'est pas vautrée par terre, mais en quelque sorte vautrée debout...
30 juin 2014, 23:26   Re : La rue
Voilà, c'est ça (que je vois sur les photos, films etc) : "une propreté digne", pour les moins riches.

Et pas de bermuda, passé quatorze ans.
01 juillet 2014, 06:43   Le mauvais exemple
Dire qu'il fallait être riche pour faire montre d'un certain relâchement, et laisser-aller... Ces scandaleuses prérogatives qu'étaient l’oisiveté, la paresse, le farniente, la mollesse même, la morbidesse, l’inutile et surtout l'inutilitaire n'étaient réservés qu'à ceux qui pouvaient se le permettre, matériellement d'abord, puis, disons, spirituellement... Aux autres, exemplairement laborieux et braves, la "dignité", du maintien et du reste, le collet monté, l'aseptique et méritoire propreté, le zèle, le garde-à-vous et la mort pour les autres.
Mais ces évolutions sont toutes naturelles, puisque ce sont évidemment les traits les plus facilement "acquérables" qui sont les premiers copiés.
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