« D’ailleurs un promeneur de 1950 qui marcherait dans notre capitale aujourd’hui croirait que notre pays et le monde entier sont tombés dans la misère. Tous les passants lui sembleraient des sous-prolétaires. La quasi-totale disparition de la bourgeoisie de la rue l’a abandonnée au lumpenprolétariat, ou à ce qui en aurait tout l’air d’un point de vue bourgeois d’ancien temps. » note Renaud Camus dans son
Journal de 2007.
Le thème du voyage dans le temps est toujours propice à la rêverie car il est improuvable. Pour ma part, je ne pense pas que ce voyageur revenu à notre époque du fond de ses années 1950 ressente en premier lieu une idée de « misère » à la vue des passants nos contemporains. Pas plus que
sa bourgeoisie il ne retrouverait
ses prolétaires, moins encore
ses « sous-prolétaires » (à la réserve des clochards purs et durs, des clochards « classiques », les seuls, peut-être, qui lui seraient familiers.) Je crois plutôt qu’il ne comprendrait pas
de quoi les gens sont vêtus. Il me semble, par exemple, que l’invasion des tenues néo-sportives (qu’il ne reconnaîtrait pas en tant que telles) ne pourrait évoquer à ses yeux la « misère ». De même, les tenues bariolées, les « sweat-shirts » historiés, les « doudounes » de bonhommes Michelin, les coupes de cheveux, les tatouages sur des individus à la mine rien moins que patibulaire et tant d’autres traits le désarçonneraient bien plus qu’ils ne lui inspireraient l’idée d’une paupérisation générale. La disparition presque totale de l’élégance, qu’il observerait sans doute, ne l’inclinerait pas à un diagnostic social. Autrement dit, je crois qu’il ne
lirait pas la rue du point de vue du déclin ou du progrès mais sous l’angle d’un
changement profond dont les modalités lui échapperaient totalement. Et c’est bien là le problème.