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Génie de Flaubert

07 septembre 2013, 14:01   Génie de Flaubert
ART :

Le seul moyen de n’être pas malheureux c’est de t’enfermer dans l’Art et de compter pour rien tout le reste ; l’orgueil remplace tout quand il est assis sur une large base. Pour moi, je suis vraiment assez bien depuis que j’ai consenti à être toujours mal. (à Alfred Le Poittevin, 13 mai 1845)

[ L’art ] De tous les mensonges, c’est encore le moins menteur. » (à Louise Colet, 9 août 1846)

Qu’est-ce donc que l’Égalité si ce n’est pas la négation de toute liberté, de toute supériorité et de la nature elle-même ? L’Égalité, c’est l’esclavage. Voilà pourquoi j’aime l’Art. C’est que là, au moins, tout est liberté dans ce monde des fictions. On y assouvit tout, on y fait tout, on est à la fois son roi et son peuple, actif, et passif, victime et prêtre. Pas de limite. (à Louise Colet, 15-16 mai 1852)

Où la Forme, en effet, manque, l’idée n’est plus. Chercher l’un, c’est chercher l’autre. Ils sont aussi inséparables que la substance l’est de la couleur et c’est pour cela que l’Art est la vérité même. (à Louise Colet, 15-16 mai 1852)

L’art n’est pas un jeu d’esprit ; c’est une atmosphère spéciale. (à Louise Colet, 1er-2 oct. 1852)

L’œuvre de la critique moderne est de remettre l’Art sur son piédestal. On ne vulgarise pas le Beau, voilà tout. Qu’a-t-on fait de l’antiquité en voulant la rendre accessible aux enfants ? Quelque chose de profondément stupide ! Mais il est si commode pour tous de se servir d’expurgata, de résumés, de traductions, d’atténuations ! il est si doux pour les nains de contempler des géants raccourcis ! Ce qu’il y a de meilleur dans l’Art échappera toujours aux natures médiocres, c’est-à-dire aux trois quarts et demi du genre humain. (à Louise Colet, 17 mai 1853)

Si vous voulez à la fois chercher le Bonheur et le Beau, vous n’atteindrez ni à l’un ni à l’autre, car le second n’arrive que par le sacrifice. L’Art, comme le Dieu des Juifs, se repaît d’holocaustes. (...) La Passion s’arrange mal de cette longue patience que demande le métier. L’Art est assez vaste pour occuper tout un homme. En distraire quelque chose est presque un crime, c’est un vol fait à l’idée, un manque au devoir. (à Louise Colet, 21-22 août 1853)

Oh ! l’Art ! l’Art ! Qu’est ce donc que cette chimère enragée qui nous mord le cœur, et pourquoi ? Cela est fou de se donner autant de mal ! (à Louise Colet, 12 septembre 1853)

Ce qui me semble, à moi, le plus haut dans l’Art (et le plus difficile), ce n’est ni de faire rire, ni de faire pleurer, ni de vous mettre en rut ou en fureur, mais d’agir à la façon de la nature, c’est-à-dire de faire rêver. Aussi les belles oeuvres ont ce caractère. Elles sont sereines d’aspect et incompréhensibles.

BÊTISE :

Ah ! les tyrannies ont cela de bon qu’elles réalisent bien des vengeances impuissantes. Je suis si harassé par la bêtise de la multitude que je trouve justes tous les coups qui tombent sur elle. (à Louise Colet, 17 mai 1853)

BONHEUR :

Ce que je redoute étant la passion, le mouvement, je crois, si le bonheur est quelque part, qu’il est dans la stagnation. (à Ernest Chevalier, 13 août 1845)

Enfin je crois avoir compris une chose, une grande chose, c’est que le bonheur, pour les gens de notre race, est dans l’idée et pas ailleurs. (à Alfred Le Poittevin, septembre 1845)

C’est étrange comme je suis né avec peu de foi au bonheur. J’ai eu tout jeune un pressentiment complet de la vie. C’était comme une odeur de cuisine nauséabonde qui s’échappe par un soupirail. On n’a pas besoin d’en avoir mangé pour savoir qu’elle est à faire vomir. (à Maxime Du Camp, 7 avril 1846)

BOURGEOIS :

Oui, je soutiens (et ceci, pour moi, doit être un dogme pratique dans la vie d’artiste) qu’il faut faire dans son existence deux parts : vivre en bourgeois et penser en demi-dieu. Les satisfactions du corps et de la tête n’ont rien de commun. (à Louise Colet, 21-22 août 1853)

CHAIR :

J’ai travaillé la chair en artiste et je la connais. Je me charge de faire des livres à mettre en rut les plus froids. Quant à l’amour, ça a été le grand sujet de ma vie. Ce que je n’ai pas donné à l’art pur, au métier en soi, a été là ; le cœur que j’étudiais, c’était le mien. Que de fois j’ai senti à mes meilleurs moments le froid du scalpel qui m’entrait dans la chair ! (3 juillet 1852)

CRITIQUE :

C’est perdre son temps que de lire des critiques. (...) on fait de la critique quand on ne peut pas faire de l’Art, de même qu’on se met mouchard quand on ne peut pas être soldat. (à Louise Colet, 14 octobre 1846)

Je ne veux pas plus être membre d’une revue, d’une société, d’un cercle ou d’une académie, que je ne veux être conseiller municipal ou officier de la garde nationale. Et puis il faudrait juger, être critique ; or je trouve cela ignoble en soi et une besogne qu’il faut laisser faire à ceux qui n’en ont pas d’autre. (...) Il vaut mieux reporter tout cela dans une œuvre longue ; et puis, s’établir arbitre du beau et du laid me semble un rôle odieux. A quoi ça mène-t-il , si ce n’est à poser ? (à Louise Colet, 31 mars 1853)

Plus une oeuvre est bonne, plus elle attire la critique. C'est comme les puces qui se précipitent sur le linge blanc. (à Louise Colet, 1er juin 1853)

On peut calculer la valeur d’un homme d’après le nombre de ses ennemis et l’importance d’une œuvre au mal qu’on en dit. Les critiques sont comme les puces, qui vont toujours sauter sur le linge blanc et adorent les dentelles. (à Louise Colet, 14-15 juin 1853)

DÉFAITE :

Il n’y a de défaites que celles que l’on a tout seul devant sa glace, dans sa conscience. (à Louise Colet, 22 avril 1853)

DICTIONNAIRE DES IDÉES RECUES :

Ce sera la glorification historique de tout ce qu’on approuve. J’y démontrerais que les majorités ont toujours raison, les minorités toujours tort. J’immolerais les grands hommes à tous les imbéciles, les martyrs à tous les bourreaux, et cela dans un style poussé à outrance, à fusées. Ainsi pour la littérature, j’établirais, ce qui sera facile, que le médiocre, étant à la portée de tous, est le seul légitime et qu’il faut donc honnir toute espèce d’originalité comme dangereuse, sotte, etc. Cette apologie de la canaillerie humaine sur toutes ses faces, ironique et hurlante d’un bout à l’autre, pleine de citations, de preuves (qui prouveraient le contraire) et de textes effrayants (ce serait facile), est dans le but, dirais-je, d’en finir une fois pour toutes avec les excentricités, quelles qu’elles soient. Je rentrerais par là dans l’idée démocratique moderne d’égalité, dans le mot de Fourier que les grands hommes deviendront inutiles ; et c’est dans ce but, dirais-je, que ce livre est fait. On y trouverait donc, par ordre alphabétique, sur tous les sujets possibles, tout ce qu’il faut dire en société pour être un homme convenable et aimable. (...) Il faudrait que, dans tout le cours du livre, il n’y eût pas un mot de mon cru, et qu’une fois qu’on l’aurait lu on n’osât plus parler, de peur de dire naturellement une des phrases qui s’y trouvent. (à Louise Colet, 9 décembre 1852)

DIFFICULTÉ D’ÉCRIRE, lenteur maniaque, et corrections sans fin du manuscrit de MADAME BOVARY :

Je deviens d’une difficulté artiste qui me désole ; je finirai par ne plus écrire une ligne. (à Maxime Du Camp, 7 avril 1846)

J’arriverai, j’en ai peur, à ne plus oser écrire une ligne. La passion de la perfection vous fait détester même ce qui en approche. (à Louise Colet, 17 septembre 1846)

Sache que je suis harassé d’écrire. Le style, qui est une chose que je prends à cœur, m’agite les nerfs horriblement. Je me dépite, je me ronge. Il y a des jours où j’en suis malade, et où la nuit, j’en ai la fièvre. Plus je vais et plus je me sens incapable de rendre l’Idée. Quelle drôle de manie que celle de passer sa vie à s’user sur des mots et à suer tout le jour pour arrondir des périodes ! Il y a des fois, il est vrai, où l’on jouit, démesurément ; mais par combien de découragements et d’amertumes n’achète-t-on pas ce plaisir ! (à Louise Colet, octobre 1847)

Si mon goût augmente, je n’en écris qu’avec plus de difficulté. La phrase ne coule plus, je l’arrache et elle me fait du mal en sortant. J’en suis arrivé, relativement à l’art, à ce que l’on éprouve relativement à l’amour quand on a passé déjà quelques années à méditer sur ces matières. Il m’épouvante. (à Louise Colet, fin 1847)

Au milieu de tout cela j’avance péniblement dans mon livre [[i]Madame Bovary[/i]]. Je gâche un papier considérable. Que de ratures ! La phrase est bien lente à venir. Quel diable de style ai-je pris ! Honnis soient les sujets simples ! Si vous saviez combien je m’y torture, vous auriez pitié de moi. (à Louise Colet, novembre 1851)

(...) j’éprouve quelquefois des tortures véritables pour écrire la phrase la plus simple. (à Louise Colet, 2 nov. 1852)

Dieu ! que ma Bovary m’embête ! J’en arrive à la conviction quelquefois qu’il est impossible d’écrire. (à Louise Colet, 10 avril 1853)

Mais franchement, il y a des moments où j’en ai presque envie de vomir physiquement, tant le fond est bas. (à propos de Madame Bovary, à Louise Colet, 13-14 avril 1853)

Je suis brisé de fatigues et de fatigue et d’ennui. Ce livre me tue ; je n’en ferai plus de pareils. Les difficultés d’exécution sont telles que j’en perds la tête dans des moments. On ne m’y reprendra plus, à écrire des choses bourgeoises. La fétidité du fond me fait mal au cœur. Les choses les plus vulgaires sont, par cela même, atroces à dire et, quand je considère toutes les pages blanches qui me restent encore à écrire, j’en demeure épouvanté. (...) Que c’est bête de se donner tout ce mal-là et que personne n’appréciera jamais ! (à propos de Madame Bovary, à Louise Colet, 16 avril 1853)

Il n’y a rien de pis pour moi que de corriger. J’écris si lentement que tout se tient et, quand je dérange un mot, il faut quelquefois détraquer plusieurs pages. (à Louise Colet, 2 juin 1853)

Quant à moi il n’y a qu’une seule chose qui m’effraye, c’est ma lenteur. Je crèverai que je n’aurai pas balbutié la moitié de ma pensée. (à Louise Colet, 11-12 juin 1853)

Quel miracle ce serait pour moi d’écrire maintenant seulement deux pages dans une journée, moi qui en fais à peine trois par semaine ! (à Louise Colet, 14-15 juin 1853)

(...) c’est une série de corrections et de recorrections des recorrections à n’en plus finir. (à Louise Colet, 28-29 juin 1853)

La tête me tourne d’embêtement, de découragement, de fatigue ! J’ai passé quatre heures sans pouvoir faire une phrase. Je n’ai pas aujourd’hui écrit une phrase, ou plutôt j’en ai bien griffonné cent ! Quel atroce travail ! Quel ennui ! Oh ! l’Art ! l’Art ! Qu’est ce donc que cette chimère enragée qui nous mord le cœur, et pourquoi ? Cela est fou de se donner autant de mal ! Ah ! la Bovary, il m’en souviendra ! J’éprouve maintenant comme si j’avais des lames de canif sous les ongles, et j’ai envie de grincer des dents. Est-ce bête ! Voilà donc où mène ce doux passe-temps de la littérature, cette crème fouettée. Ce à quoi je me heurte, c’est des situations communes et un dialogue trivial. Bien écrire le médiocre, et faire qu’il garde en même temps son aspect, sa coupe, ses mots même, cela est vraiment diabolique, et je vois se défiler maintenant devant moi de ces gentillesses en perspective pendant trente pages au moins. Ça s’achète cher, le style ! Je recommence ce que j’ai fait l’autre semaine. Deux ou trois effets ont été jugés hie par Bouilhet ratés, et avec raison. Il faut que je redémolisse presque toutes mes phrases. (à Louise Colet, 12 septembre 1853)

La littérature est un vésicatoire qui me démange. Je gratte par là jusqu’au sang. (...) Voilà deux ans que j’y suis ! C’est long, deux ans, toujours avec ces mêmes personnages, et à patauger dans un milieu aussi fétide ! Ce qui m’assomme, ce n’est ni le mot, ni la composition, mais mon objectif ; je n’y ai rien qui soit excitant. Quand j’aborde une situation, elle me dégoûte d’avance par sa vulgarité ; je ne fais autre chose que de doser de la merde. (à Louise Colet, 21-22 septembre 1853)

DOUTE :

La déplorable manie de l’analyse m’épuise. Je doute de tout, et même de mon doute. (à Louise Colet, 9 août 1846)

A moins d’être un crétin, on meurt toujours dans l’incertitude de sa propre valeur et de celle de ses œuvres. (...) Quand on se compare à ce qui vous entoure, on s’admire ; mais quand on lève les yeux plus haut, vers les maîtres, vers l’absolu, vers le rêve, comme on se méprise ! (à Louise Colet, 19 septembre 1852)

ÉCRIRE :

Il faut donc écrire comme on sent, et se foutre de tout le reste sur la terre. (à Louise Colet, 13-14 avril 1853)

Je voudrais faire des livres où il n’y eût qu’à écrire des phrases (si l’on peut dire cela), comme pour vivre il n’y a qu’à respirer de l’air. Ce qui m’embête, ce sont les malices de plan, les combinaisons d’effets, tous les calculs du dessous et qui sont de l’Art pourtant, car le style en dépend, et exclusivement. (à Louise Colet, 25-26 juin 1853)

ÉGALITÉ :

Qu’est-ce donc que l’Égalité si ce n’est pas la négation de toute liberté, de toute supériorité et de la nature elle-même ? L’Egalité, c’est l’esclavage. Voilà pourquoi j’aime l’Art. C’est que là, au moins, tout est liberté dans ce monde des fictions. On y assouvit tout, on y fait tout, on est à la fois son roi et son peuple, actif, et passif, victime et prêtre. Pas de limite. (à Louise Colet, 15-16 mai 1852)

FANATISME :

On ne fait rien de grand sans le fanatisme. Le fanatisme est la religion. (...) Dans l’Art aussi, c’est le fanatisme de l’Art qui est le sentiment artistique. ( à Louise Colet, 31 mars 1853)

FEMME :

Encore maintenant, ce que j’aime par dessus tout, c’est la forme, pourvu qu’elle soit belle, et rien au delà. Les femmes, qui ont le cœur trop ardent et l’esprit trop exclusif, ne comprennent pas cette religion de la beauté, abstraction faite du sentiment. (à Louise Colet, 8 août 1846)

Tu me parles des misères de la femme. ; je suis dans ce milieu. Tu verras qu’il m’aura fallu descendre bas, dans le puits sentimental. Si mon livre [[i]Madame Bovary[/i]] est bon, il chatouillera doucement mainte plaie féminine ; plus d’une sourira en s’y reconnaissant. (à Louise Colet, 1er septembre 1852)

FOLIE :

Il me reste assez de cœur pour alimenter toutes mes oeuvres. Non, je ne regrette rien de ma jeunesse. Je m’ennuyais atrocement ! Je rêvais le suicide ! Je me dévorais de toutes espèces de mélancolies possibles. Ma maladie des nerfs m’a bien fait ; elle a reporté tout cela sur l’élément physique et m’a laissé la tête plus froide, et puis elle m’a fait connaître de curieux phénomènes psychologiques, dont personne n’a l’idée, ou plutôt que personne n’a jamais sentis. Je m’en vengerai à quelque jour en l’utilisant dans un livre (ce roman métaphysique et à apparitions, dont je t’ai parlé). [[i]cf. lettre à Louise Colet du 8-9 mai 1852][/i] Mais comme c’est un sujet qui me fait peur, sanitairement parlant, il faut attendre, et que je sois loin de ces impressions-là pour me les donner facticement, idéalement, et dès lors sans danger pour moi ni pour l’œuvre ! (à Louise Colet, 31 mars 1853)

Qu’ai-je donc ? Je sens bien en moi de grands tourbillons, mais je les comprime. Transpire-t-il quelque chose de tout ce qu’on ne dit pas ? Suis-je un peu fou moi-même ? Je le crois. Les affections nerveuses d’ailleurs sont contagieuses et il m’a peut-être fallu une constitution d’âme robuste, pour résister à la charge que mes nerfs battaient sur la peau d’âne de mon entendement. Pour moi, j’ai un exutoire (comme on dit en médecine). Le papier est là, et je me soulage. Mais l’humidité de mes humeurs peut filtrer au dehors et, à la longue, faire mal. Il faut qu’il y ait quelque chose de vrai là dedans. (à Louise Colet, 1er juin 1853)

La folie et la luxure sont deux choses que j’ai tellement sondées, où j’ai si bien navigué par ma volonté, que je ne serai jamais (je l’espère) ni un aliéné ni un Sade. Mais il m’en a cuit, par exemple. Ma maladie de nerfs a été l’écume de ces petites facéties intellectuelles. Chaque attaque a été comme une sorte d’hémorragie de l’innervation. C’était des pertes séminales de la faculté pittoresque du cerveau, cent milles images sautant à la fois, en feux d’artifices. Il y avait un arrachement de l’âme d’avec le corps, atroce (j’ai la conviction d’être mort plusieurs fois). Mais ce qui constitue la personnalité, l’être-raison, allait jusqu’au bout ; sans cela la souffrance eût été nulle, car j’aurais été purement passif et j’avais toujours conscience, même quand je ne pouvais plus parler. Alors l’âme était repliée toute entière sur elle-même, comme un hérisson qui se ferait mal avec ses propres pointes.
Personne n’a étudié tout cela et les médecins sont des imbéciles d’une espèce, comme les philosophes le sont d’une autre. Les matérialistes et les spiritualistes empêchent également de connaître la matière et l’esprit, parce qu’ils scindent l’un de l’autre. Les uns font de l’homme un ange et les autres un porc. (à Louise Colet, 7-8 juillet 1853)

GÉNIE :

Le génie n’est pas autre chose (...) : avoir la faculté de travailler d’après un modèle imaginaire qui pose devant nous. Quand on le voit bien, on le rend. La forme est comme la sueur de la pensée ; quand elle s’agite en nous, elle transpire en poésie. (à Louise Colet, 1er septembre 1852)

GLOIRE :

Quand on a quelque valeur, chercher le succès c’est se gâter à plaisir, et chercher la gloire c’est peut-être se perdre complètement. (...) Et n’ayant pas l’habitude pour me procurer le succès, ni le génie pour conquérir la gloire, je me suis condamné à écrire pour moi seul, pour ma propre distraction personnelle, comme on fume et comme on monte à cheval. (à Louise Colet, 23 octobre 1846)

GROTESQUE TRISTE :

Le grotesque triste a pour moi un charme inouï ; il correspond aux besoins intimes de ma nature bouffonnement amère. Il ne me fait pas rire mais rêver longuement. Je le saisis bien partout où il se trouve et comme je le porte en moi, ainsi que tout le monde ; voilà pourquoi j’aime à m’analyser ; c’est une étude qui m’amuse. (à Louise Colet, 21-22 août 1846)

Si la Bovary vaut quelque chose, ce livre ne manquera pas de cœur. L’ironie pourtant me semble dominer la vie. (...) Le comique arrivé à l’extrême, le comique qui ne fait pas rire, le lyrisme dans la blague, est pour moi tout ce qui me fait le plus envie comme écrivain. Les deux éléments humains sont là. (à Louise Colet, 8-9 mai 1852)

GUEULOIR :

J’ai la gorge éraillée d’avoir crié tout ce soir en écrivant, selon ma coutume exagérée. (à Louise Colet, 26-27 avril 1853)

HUMANITÉ :

Le seul moyen de vivre en paix, c’est de se placer d’un bond au-dessus de l’humanité entière et de n’avoir avec elle rien de commun, qu’un rapport d’œil. (à Louise Colet, 20 avril 1853)

IMAGINATION :

Voilà ce qui fait de l’observation artistique une chose bien différente de l’observation scientifique : elle doit surtout être instinctive et procéder par l’imagination, d’abord. (à Louise Colet, 6-7 juin 1853)

Je suis dévoré maintenant par un besoin de métamorphoses. Je voudrais écrire ce que je vois, non tel qu’il est, mais transfiguré. La narration exacte du fait réel le plus magnifique me serait impossible. Il me faudrait le broder encore. (à Louise Colet, 26 août 1953)

IMPERSONNALITÉ :

Je me suis toujours défendu de rien mettre de moi dans mes œuvres, et pourtant j’en ai mis beaucoup. - J’ai toujours tâché de ne pas rapetisser l’Art à la satisfaction d’une personnalité isolée. J’ai écrit des pages fort tendres sans amour, et des pages bouillantes sans aucun feu dans le sang. J’ai imaginé, je me suis ressouvenu, et j’ai combiné. (à Louise Colet, 14-15 août 1846)

Car il y a deux classes de poètes. Les plus grands, les rares, les vrais maîtres résument l’humanité ; sans se préoccuper ni d’eux-mêmes, ni de leurs propres passions, mettant au rebut leur personnalité, pour s’absorber dans celle des autres, ils reproduisent l’Univers, qui se reflète dans leurs œuvres, étincelant, varié, multiple, comme un ciel entier qui se mire dans la mer avec toutes ses étoiles et tout son azur. Il y en a d’autres qui n’ont qu’à crier pour être harmonieux, qu’à pleurer pour attendrir, et qu’à s’occuper d’eux-mêmes pour rester éternels. (...) Pour en revenir à moi, je [[i]ne[/i]] me suis vu ni assez haut pour faire de véritables œuvres d’art, ni assez excentrique pour pouvoir en emplir de moi seul. (à Louise Colet, 23 octobre 1846)

Tu peindras le vin, l’amour, les femmes, la gloire, à condition mon bonhomme, que tu ne seras ni ivrogne, ni amant, ni mari, ni tourlourou. Mêlé à la vie, on la voit mal ; on en souffre, ou on en jouit trop. L’artiste, selon moi, est une monstruosité, quelque chose hors nature. (à sa mère, Constantinople, 15 décembre 1850)

Je veux qu’il n’y ait pas dans mon livre un seul mouvement, ni une seule réflexion de l’auteur. (à propos de Madame Bovary ; à Louise Colet, 8 février 1852 )

(...) il n’y a rien de plus faible que de mettre en art ses sentiments personnels. Suis cet axiome pas à pas, ligne à ligne. (...) Refoulé à l’horizon, ton cœur t’éclairera du fond au lieu de t’éblouir sur le premier plan. Toi disséminée en tous, tes personnages vivront et au lieu d’une éternelle personnalité déclamatoire, qui ne peut même se constituer nettement, faute de détails précis qui lui manquent toujours à cause des travestissements qui la déguisent, on verra dans tes œuvres des foules humaines. (à Louise Colet, 27 mars 1852)

S’il suffisait d’avoir les nerfs sensibles pour être poète, je vaudrais mieux que Shakespeare et qu’Homère. (...) La passion ne fait pas les vers, et plus vous serez personnel, plus vous serez faible. J’ai toujours péché par là, moi ; c’est que je me suis toujours mis dans tout ce que j’ai fait. (...) Moins on sent une chose, plus on est apte à l’exprimer comme elle est (comme elle est toujours en elle-même, dans sa généralité et dégagée de tous ses contingents éphémères). Mais il faut avoir la faculté de se la faire sentir. Cette faculté n’est autre que le génie : voir, avoir le modèle devant soi, qui pose. (à Louise Colet, 5-6 juillet 1852)

Ce que vous faites n’est pas pour vous, mais pour les autres. L’Art n’a rien à démêler avec l’artiste. Tant pis s’il n’aime pas le rouge, le vert ou le jaune ; toutes les couleurs sont belles, il s’agit de les peindre. (à Louise Colet, 27 juillet 1852)

Les prostitutions personnelles en art me révoltent. (à Louise Colet, 1er septembre 1852)

C’est avec la tête qu’on écrit. Si le cœur la chauffe, tant mieux ; mais il ne faut pas le dire. Ce doit être un four invisible et nous évitons, par là, d’amuser le public avec nous-mêmes, ce que je trouve hideux ou trop naïf, et la personnalité d’écrivain qui rétrécit une œuvre. (à Louise Colet, 22 nov. 1852)

L’auteur, dans son œuvre, doit être comme Dieu dans l’univers, présent partout, et visible nulle part. (...) L’Art étant une seconde nature, le créateur de cette nature-là doit agir par des procédés analogues. Que l’on sente dans tous les atomes, à tous les aspects, une impassibilité cachée et infinie. L’effet, pour le spectateur, doit être une espèce d’ébahissement. Comment tout cela s’est-il fait ? doit-on dire, et qu’on se sente écrasé sans savoir pourquoi. (à Louise Colet, 9 déc. 1852)

Les poètes sont heureux ; on se soulage dans un sonnet ! Mais les malheureux prosateurs, comme moi, sont obligés de tout rentrer. Pour dire quelque chose d’eux-mêmes, il leur faut des volumes et le cadre, l’occasion. S’ils ont du goût, ils s’en abstiennent même, car c’est là ce qu’il y a de moins fort au monde, parler de soi. Pourtant j’ai peur qu’à force d’avoir ce fameux goût, je n’en arrive à ne plus pouvoir écrire. Tous les mots maintenant me semblent à côté de la pensée, et toutes les phrases dissonantes. (...) Où est donc le style ? En quoi consiste-t-il ? Je ne sais plus du tout ce que ça veut dire. Mais si, mais si pourtant ! Je me le sens dans le ventre. (à Louise Colet, 29-30 janv. 1853)

Il faut écrire plus froidement. Méfions-nous de cette espèce d’échauffement, qu’on appelle l’inspiration, et où il entre souvent plus d’émotion nerveuse que de force musculaire. ( à Louise Colet, 27-28 févr. 1853)

Il me reste assez de cœur pour alimenter toutes mes œuvres. Non, je ne regrette rien de ma jeunesse. Je m’ennuyais atrocement ! Je rêvais le suicide ! Je me dévorais de toutes espèces de mélancolies possibles. Ma maladie des nerfs m’a bien fait ; elle a reporté tout cela sur l’élément physique et m’a laissé la tête plus froide, et puis elle m’a fait connaître de curieux phénomènes psychologiques, dont personne n’a l’idée, ou plutôt que personne n’a jamais sentis. Je m’en vengerai à quelque jour en l’utilisant dans un livre (ce roman métaphysique et à apparitions, dont je t’ai parlé). [[i]cf. lettre à Louise Colet du 8-9 mai 1852[/i]] Mais comme c’est un sujet qui me fait peur, sanitairement parlant, il faut attendre, et que je sois loin de ces impressions-là pour me les donner facticement, idéalement, et dès lors sans danger pour moi ni pour l’œuvre ! (à Louise Colet, 31 mars 1853)

Ce qui fait que je vais si lentement, c’est que rien de rien dans ce livre n’est tiré de moi ; jamais ma personnalité ne m’aura été plus inutile. (...) Tout est de tête.. (à propos de Madame Bovary - à Louise Colet, 6 avril 1853)

Je n’éprouve nullement le besoin d’écrire mes mémoires. Ma personnalité même me répugne, et les objets immédiats me semblent hideux ou bêtes. Je me reporte sur l’idée. (à Louis Bouilhet, 23 août 1853)

(...) adieu, c’est-à-dire adieu et pour toujours au personnel, à l’intime, au relatif. Le vieux projet que j’avais d’écrire plus tard mes mémoires m’a quitté. Rien de ce qui est de ma personne ne me tente. (...) Nos joies, comme nos douleurs, doivent s’absorber dans nos oeuvres. (à Louise Colet, 26 août 1853)

C’est pour cela que j’ai tant de mal à l’écrire, ce livre [[i]Madame Bovary[/i]]. Il me faut de grands efforts pour m’imaginer mes personnages et puis pour les faire parler, car ils me répugnent profondément. Mais quand j’écris quelque chose de mes entrailles, ça va vite. Cependant voilà le péril. Lorsqu’on écrit quelque chose de soit, la phrase peut être bonne par jets, (et les esprits lyriques arrivent à l’effet facilement et en suivant leur pente naturelle), mais l’ensemble manque, les répétitions abondent, les redites, les lieux communs, les locutions banales. Quand on écrit au contraire une chose imaginée, comme tout doit alors découler de la conception et que la moindre virgule dépend du plan général, l’attention se bifurque. Il faut à la fois ne pas perdre l’horizon et regarder à ses pieds. Le détail est atroce, surtout lorsqu’on aime le détail comme moi. Les perles composent le collier, mais c’est le fil qui fait le collier. Or, enfiler les perles sans en perdre une seule et toujours tenir son fil de l’autre main, voilà la malice. (à Louise Colet, 26 août 1853)

IMPUISSANCE (littéraire) :

J’éprouve le besoin d’épopées gigantesques. Mais la vie est si courte ! Je n’écrirai jamais, comme je veux, ni le quart de ce que je rêve. Toute cette force que l’on sent et qui vous étouffe, il faudra mourir avec elle et sans l’avoir fait déborder ! (à Louis Bouilhet, 23 août 1853)

INDÉPENDANCE & INDIVIDUALITÉ SOUVERAINES :

Mais quant à faire partie effectivement de quoi que ce soit en ce bas monde, non ! non ! et mille fois non ! Je ne veux pas plus être membre d’une académie, que je ne veux être conseiller municipal ou officier de la garde nationale. Et puis il faudrait juger, être critique ; or je trouve cela ignoble en soi et une besogne qu’il faut laisser faire à ceux qui n’en ont pas d’autre. (....) J’en reviens à la Revue. Si j’avais beaucoup de temps et d’argent à perdre, je ne demanderais pas mieux que de me mêler d’une Revue pendant quelque temps. Mais voici comme je comprendrais la chose : ce serait d’être surtout hardi et d’une indépendance outrée ; je voudrais n’avoir pas un ami, ni un service à rendre. Je répondrais par l’épée à toutes les attaques de ma plume ; mon journal serait une guillotine. Je voudrais épouvanter tous les gens de lettres par la vérité même. Mais à quoi bon ? Il vaut mieux reporter tout cela dans une œuvre longue ; et puis s’établir arbitre du beau et du laid me semble un rôle odieux. A quoi ça mène-t-il, si ce n’est à poser ? (à Louise Colet, 31 mars 1853)

LECTURE, LIVRES :

La bibliothèque d’un écrivain doit se composer de cinq à six livres, sources qu’il faut relire tous les jours. Quant aux autres, il est bon de les connaître et puis c’est tout. (à Louise Colet, 26 oct. 1852)

Comme l’on serait savant, si l’on connaissait cinq à six livres ! (à Louise Colet, 17 févr. 1852)

MADAME BOVARY :

Autant je suis débraillé dans mes autres livres [[i]allusion à ses œuvres dites de jeunesse : Novembre, Mémoires d’un fou, etc.[/i]], autant dans celui-ci je tâche d’être boutonné et de suivre une ligne géométrique. Nul lyrisme, pas de réflexions, personnalité de l’auteur absente. Ce sera triste à lire ; il y aura des choses atroces de misères et de fétidité. (à Louise Colet, 1er février 1852)

Je veux qu’il n’y ait pas dans mon livre un seul mouvement, ni une seule réflexion de l’auteur. (à Louise Colet, 8 février 1852)

Toute la valeur de mon livre, s’il en a une, sera d’avoir su marcher droit sur un cheveu, suspendu entre le double abîme du lyrisme et du vulgaire (que je veux fondre dans une analyse narrative. (à Louise Colet, 20-21 mai 1852)

Bon ou mauvais, ce livre aura été pour moi un tour de force prodigieux, tant le style, la composition, les personnages et l’effet sensible sont loin de ma manière naturelle. (à Louise Colet, 13 juin 1852)

Les livres que j’ambitionne le plus de faire sont justement ceux pour lesquels j’ai le moins de moyens. Bovary, en ce sens, aura été un tour de force inouï et dont moi seul aurai jamais conscience : sujet, personnage, effet, etc., tout est hors de moi. Cela devra me faire faire un grand pas par la suite. (à Louise Colet, 27 juillet 1852)

Tu me parles des misères de la femme. ; je suis dans ce milieu. Tu verras qu’il m’aura fallu descendre bas, dans le puits sentimental. Si mon livre est bon, il chatouillera doucement mainte plaie féminine ; plus d’une sourira en s’y reconnaissant. (à Louise Colet, 1er septembre 1852)

Que ma Bovary m’embête ! (...) Je n’ai jamais de ma vie rien écrit de plus difficile que ce que je fais maintenant, du dialogue trivial ! (à Louise Colet, 19 septembre 1852)

Je crois que ma Bovary va aller ; mais je suis gêné par le sens métaphorique qui décidément me domine trop. Je suis dévoré de comparaisons, comme on l’est de poux, et je ne passe mon temps qu’à les écraser ; mes phrases en grouillent. (à Louise Colet 27 déc. 1852)

Je m’épuise à réaliser un idéal peut-être absurde en soi. Mon sujet peut-être ne comporte pas ce style. Oh ! heureux temps de Saint-Antoine, où êtes-vous ? J’écrivais là avec mon moi tout entier ! (à Louise Colet, 29-30 janv. 1853)

(...) ma Bovary est tirée au cordeau, lacée, corsetée et ficelée à étrangler. Les poètes sont heureux ; on se soulage dans un sonnet ! Mais les malheureux prosateurs, comme moi, sont obligés de tout rentrer. Pour dire quelque chose d’eux-mêmes, il leur faut des volumes et le cadre, l’occasion. S’ils ont du goût, ils s’en abstiennent même, car c’est là ce qu’il y a de moins fort au monde, parler de soi. Pourtant j’ai peur qu’à force d’avoir ce fameux goût, je n’en arrive à ne plus pouvoir écrire. Tous les mots maintenant me semblent à côté de la pensée, et toutes les phrases dissonantes. (...) Où est donc le style ? En quoi consiste-t-il ? Je ne sais plus du tout ce que ça veut dire. Mais si, mais si pourtant ! Je me le sens dans le ventre. (à Louise Colet, 29-30 janv. 1853)

Je ne sais pas ce qu’il en sera de ma Bovary, mais il me semble qu’il n’y aura pas une phrase molle. C’est déjà beaucoup. Le génie, c’est Dieu qui le donne ; mais le talent nous regarde. (à Louise Colet, 23 févr. 1853)

La Bovary ne va pas raide : en une semaine deux pages ! ! ! Il y a de quoi, quelquefois, se casser la gueule de découragement ! si l’on peut s’exprimer ainsi. Ah ! j’y arriverai, j’y arriverai, mais ce sera dur. Ce que sera le livre, je n’en sais rien ; mais je réponds qu’il sera écrit, à moins que je ne sois complètement dans l’erreur, ce qui se peut. Ma torture à écrire certaines partie vient du fond (comme toujours). C’est quelquefois si subtil que j’ai du mal moi-même à me comprendre. Mais ce sont ces idées-là qu’il faut rendre, à cause de cela même plus nettes. Et puis, dire à la fois proprement et simplement des choses vulgaires ! c’est atroce. (...) Vouloir donner à la prose le rythme du vers (en la laissant prose et très prose) et écrire la vie ordinaire comme on écrit l’histoire ou l’épopée (sans dénaturer le sujet) est peut-être une absurdité. (à Louise Colet 27 mars 1853)

Beaucoup de Rouennais ignorent mon existence. J’ai si bien suivi la maxime d’Epictète « Cache ta vie » que c’est comme si j’étais enterré. La seule chance que j’aie de me faire reconnaître, ce sera quand Bovary sera publiée ; et mes compatriotes rugiront, car la couleur normande du livre sera si vraie qu’elle les scandalisera. (...) Dieu ! que ma Bovary m’embête ! J’en arrive à la conviction qu’il est impossible d’écrire. (à Louise Colet, 10 avril 1853)

Ce livre, tout en calcul et en ruses de style, n’est pas de mon sang, je ne le porte point en mes entrailles, je sens que c’est de ma part une chose voulue, factice. (...) Les grandes tournures, les larges et pleines périodes se déroulant comme des fleuves, la multiplicité des métaphores, les grands éclats du style, tout ce que j’aime enfin, n’y sera pas. (21-22 mai 1853)

La vulgarité de mon sujet me donne parfois des nausées, et la difficulté de bien écrire tant de choses si communes encore en perspective m’épouvante. (à Louise Colet, 12 juillet 1853)

Tout ce qu’on invente est vrai, sois-en sûre. La poésie est une chose aussi précise que la géométrie. L’induction vaut la déduction, et puis, arrivé à un certain point, quant à tout ce qui est de l’âme. Ma pauvre Bovary sans doute, souffre et pleure dans vingt villages de France à la fois, à cette heure même. (à Louise Colet, 14 août 1853)

Avec la Bovary finie, c’est l’âge de raison qui commence. (à Louis Bouilhet, 23 août 1853)

MATURITÉ :

Pour moi, je ne sens plus ni les emportements chaleureux de la jeunesse, ni ces grandes amertumes d’autrefois. Ils se sont mêlés ensemble et cela fait une teinte universelle où tout se trouve broyé et confondu. J’observe que je ne ris plus guère et que je ne suis plus triste. Je suis mûr. (à Alfred Le Poittevin, septembre 1845)

J’ai été bousculé de passions dans ma jeunesse (...) c’est pour cela que mon cœur en a gardé un air ahuri. Je me sens vieux là-dessus. Ce que j’ai usé d’énergie dans ces tristesses ne peut être mesuré par personne. Je me demande souvent quel homme je serais si ma vie avait été extérieure au lieu d’être intérieure ; ce qui serait advenu si ce que j’ai voulu autrefois je l’eusse possédé... (24 avril 1852)

MISANTHROPIE & DÉMOPHOBIE, HAINE DE LA MÉDIOCRITE, DE LA FOULE ET DU VULGAIRE :

Eh bien, oui, je deviens aristocrate, aristocrate enragé ! (...) je déteste fort mes semblables et ne me sens pas leur semblable. (à Louise Colet, 26-27 mai 1853)

Il faut se renfermer et continuer tête baissée dans son œuvre, comme une taupe. Si rien ne change, d’ici à quelques années, il se formera entre les intelligences libérales un compagnonnage plus étroit que celui de toutes les sociétés clandestines. A l’écart de la foule un mysticisme nouveau grandira. Les hautes idées poussent à l’ombre et au bord des précipices, comme les sapins. Mais une vérité me semble être sortie de tout cela ; c’est qu’on n’a nul besoin du vulgaire, de l’élément nombreux des majorités, de l’approbation, de la consécration, 89 a démoli la royauté et la noblesse, 48 la bourgeoisie et 51 le peuple. Il n’y a plus rien, qu’une tourbe canaille et imbécile. Nous sommes tous enfoncés au même niveau dans une médiocrité commune. L’égalité sociale a passé dans l’esprit. On fait des livres pour tout le monde, de l’Art pour tout le monde, de la science pour tout le monde, comme on construit des chemins de fer et des chauffoirs publics. L’humanité a la rage de l’abaissement moral, et je lui en veux de ce que je fais partie d’elle.
(à Louise Colet, 21-22 ? septembre 1853)

MYSTICISME :

Je tourne à une espèce de mysticisme esthétique (si les deux mots peuvent aller ensemble), et je voudrais qu’il fut le plus fort. Quand aucun encouragement ne vous vient des autres, quand le monde extérieur vous dégoûte, vous alanguit, vous corrompt, vous abrutit, les gens honnêtes et délicats sont forcés de chercher en eux-mêmes quelque part un lieu plus propre pour y vivre. Si la société continue comme elle va, nous reverrons, je crois des mystiques comme il y en a eu à toutes les époques sombres. Ne pouvant s’épancher, l’âme se concentrera. (à Louise Colet, 4 septembre 1852)

Sans l’amour de la forme, j’eusse été peut-être un grand mystique. (à Louise Colet, 27 décembre 1852)

NATUREL :

Ce qui m’est naturel à moi, c’est le non-naturel pour les autres, l’extraordinaire, le fantastique, la hurlade métaphysique, mythologique. (à Louise Colet, 6 avril 1853)

OBJECTIVITÉ :

La littérature prendra de plus en plus les allures de la science ; elle sera de plus en plus exposante, ce qui ne veut pas dire didactique. Il faut faire des tableaux, montrer la nature telle qu’elle est, mais des tableaux complets, peindre le dessous et le dessus. (à Louise Colet, 6 avril 1853)

Ne blâmons rien, chantons tout , soyons exposants et non discutants. (à Louise Colet, 13-14 avril 1853)

ORIENT :

Ce que j’aime au contraire dans l’Orient, c’est cette grandeur qui s’ignore, et cette harmonie des choses disparates. (...) Tu me dis que les punaises de Ruchiouk-Hânem te la dégradent ; c’est là, moi, ce qui m’enchantait. (...) Je veux qu’il y ait une amertume à tout, un éternel coup de sifflet au milieu de nos triomphes, et que la désolation même soit dans l’enthousiasme. (...) Ne sens-tu pas combien cette poésie est complète, et que c’est la grande synthèse ? Tous les appétits de l’imagination et de la pensée y sont assouvis à la fois ; elle ne reste rien derrière elle. (à Louise Colet, 27 mars 1853)

ORGUEIL :

Pour avoir du talent, il faut être convaincu qu’on en possède, et pour garder sa conscience pure, la mettre au-dessus de celles de tous les autres. Le moyen de vivre avec sérénité et au grand air, c’est de se fixer sur une pyramide quelconque, n’importe laquelle, pourvu qu’elle soit élevée et la base solide. Ah ! ce n’est pas toujours amusant et l’on est tout seul ; mais on se console en crachant d’en haut. (à Louise Colet, 30 mai 1852)

ORIGINALITÉ :

Il y a une conjuration permanente contre l’original, voilà ce qu’il faut se fourrer dans la cervelle. (à Louise Colet, 2à juin 1853)

PESSIMISME & NIHILISME :

(...) si jamais je prends une part active au monde, ce sera comme penseur et comme démoralisateur. Je ne ferai que dire la vérité, et elle sera horrible, cruelle et nue. (à Ernest Chevalier, 24 février 1839)

Pour moi, je suis vraiment assez bien depuis que j’ai consenti à être toujours mal. (à Alfred Le Poittevin, 13 mai 1845)

C’est étrange comme je suis né avec peu de foi au bonheur. J’ai eu tout jeune un pressentiment complet de la vie. C’était comme une odeur de cuisine nauséabonde qui s’échappe par un soupirail. On n’a pas besoin d’en avoir mangé pour savoir qu’elle est à faire vomir. (à Maxime Du Camp, 7 avril 1846)

Personne plus que moi n’a le sentiment de la misère de la vie. Je ne crois à rien, pas même à moi, ce qui est rare. Je fais de l’art, parce que ça m’amuse, mais je n’ai aucune foi dans le beau, pas plus que dans le reste. (à Louise Colet, 8 août 1846)

Ce qui m’empêche de me prendre au sérieux quoique j’aie l’esprit assez grave, c’est que je me trouve très ridicule, non pas de ce ridicule relatif qui est le comique théâtral, mais de ce ridicule intrinsèque à la vie humaine elle-même, et qui ressort de l’action la plus simple et du geste le plus ordinaire. (à Louise Colet, 21-22 août 1846)

J’ai en moi, au fond de moi, un embêtement radical, intime, âcre et incessant, qui m’empêche de rien goûter et qui me remplit l’âme à la faire crever. Il reparaît à propos de tout comme les charognes boursouflées des chiens qui reviennent à fleur d’eau, malgré les pierres qu’on leur a attachées au cou pour les noyer. (à Louise Colet 20 décembre 1846)

Moi aussi, je suis établi, en ce sens que j’ai trouvé mon assiette comme centre de gravité. (...) je suis résigné à vivre comme j’ai vécu ; seul avec une foule de grands hommes qui me tiennent lieu de cercle, avec ma peau d’ours, étant un ours moi-même, etc. Je me fiche du monde, de l’avenir, du qu’en dira-t-on, d’un établissement quelconque, et même de la renommée littéraire, qui m’a jadis fait passer tant de nuits blanches à la rêver. Voilà comme je suis ; tel est mon caractère. (à sa mère, Constantinople, 15 décembre 1850)

Je veux qu’il y ait une amertume à tout, un éternel coup de sifflet au milieu de nos triomphes, et que la désolation même soit dans l’enthousiasme. (à Louise Colet, 27 mars 1853)

POÉSIE :

Autrefois on croyait que la canne à sucre seule donnait le sucre. On en tire à peu près de tout maintenant ; il en est de même de la poésie. Extrayons-la de n’importe quoi car elle gît en tout et partout : pas un atome de matière qui ne contienne la pensée ; et habituons-nous à considérer le monde comme une œuvre d’art dont il faut reproduire les procédés dans nos œuvres. (à Louise Colet, 27 mars 1853)

La poésie n’est qu’une manière de percevoir les objets extérieurs, un organe spécial qui tamise la lumière et qui, sans la changer, la transfigure. Eh bien, si vous voyez le monde exclusivement avec cette lunette-là, le monde sera teint de sa teinte et les mots pour exprimer votre sentiment se trouveront donc dans un rapport fatal avec les faits qui l’auront causé. Il faut, pour bien faire une chose, que cette chose-là rentre dans votre constitution. (à Louise Colet, 31 mars 1853)

La poésie est une chose aussi précise que la géométrie. (à Louise Colet, 14 août 1853)

PROSTITUTION :

C’est peut-être un goût pervers, mais j’aime la prostitution et pour elle-même, indépendamment de ce qu’il y a en dessous. Je n’ai jamais pu voir passer aux feux du gaz une de ces femmes décolletées, sous la pluie, sans un battement de cœur, de même que les robes des moines avec leur cordelière à noeuds me chatouillent l’âme en je ne sais quels coins ascétiques et profonds. Il se trouve, en cette idée de la prostitution, un point d’intersection si complexe, luxure, amertume, néant des rapports humains, frénésie du muscle et sonnement d’or, qu’en y regardant au fond le vertige vient, et on apprend là tant de choses ! Et on est si triste ! Et on rêve si bien l’amour ! Ah ! faiseurs d’élégies, ce n’est pas sur des ruines qu’il faut aller appuyer votre coude, mais sur le sein de ces femmes gaies. (...) Je ne fais qu’un reproche à la prostitution, c’est que c’est un mythe. La femme entretenue a envahi la débauche, comme le journaliste la poésie ; nous nous noyons dans les demi-teintes. La courtisane n’existe pas plus que le saint. (à Louise Colet, 1er juin 1853)

PUBLICATION :

Quant à écrire, j’y ai totalement renoncé, et je suis sûr que jamais on ne verra mon nom imprimé. (à Ernest Chevalier, 23 juillet 1839)

Je doute bien souvent si jamais je ferai publier une ligne. Sais-tu que ce serait une belle idée que celle du gaillard qui, jusqu’à cinquante ans, n’aurait rien publié et qui, d’un seul coup, ferait paraître, un beau jour, ses œuvres complètes, et s’en tiendrait là ? (à Maxime Du Camp, avril 1846)

(...) je ne veux rien publier. C’est un parti pris, un serment que je me suis fait à une époque solennelle de ma vie. Je travaille avec désintéressement absolu et sans arrière-pensée, sans préoccupation ultérieure. (à Louise Colet, 9 août 1846)

J’écris pour moi, pour moi seul, comme je fume et comme je dors. C’est une fonction presque animale, tant elle est personnelle et intime. (...) et il me semble que mon œuvre perdrait même tout son sens à être publiée. (à Louise Colet, 16 août 1847)

Je ne me sens pas la force physique de publier (...) Autant travailler pour soi seul. (à Louis Bouilhet, 4 juin 1850)

Si je publie, ce sera le plus bêtement du monde, parce qu’on me dit de le faire, par imitation, par obéissance et sans aucune initiative de ma part. Je ne me sens ni l’envie ni le besoin. (à Maxime Du Camp, 21 octobre 1851)

La typographie me pue tellement au nez que je recule devant elle, toujours. J’ai laissé la Bovary dormir six mois après sa terminaison et, quand j’ai eu gagné mon procès, sans ma mère et Bouilhet, je m’en serais tenu là et n’aurais pas à en faire un autre. Quant à celle qui vient d’être faite, elle me devient absolument indifférente et, si je la fais voir au public, c’est par bêtise et en vertu d’une idée reçue qu’il faut publier, chose dont je ne sens pas pour moi le besoin. Je ne dis même pas là-dessus tout ce que je pense, dans la crainte d’avoir l’air d’un poseur. (à Ernest Feydeau, 2 ? janvier 1862)

Non, sacré nom de Dieu ! non ! je n’essaierai jamais de publier dans aucune revue. Il me semble que, par le temps qui court, faire partie de n’importe quoi, entrer dans un corps quelconque, dans n’importe quelle confrérie ou boutique, et même prendre un titre quel qu’il soit, c’est se déshonorer, c’est s’avilir, tant tout est bas. (à Louise Colet, 3-4 mai 1853)

RÉALISME :

Il y a en moi, littéralement parlant, deux bonshommes distincts : un qui est épris de gueulades, de lyrisme, de grands vols d’aigle, de toutes les sonorités de la phrase et des sommets de l’idée ; un autre qui fouille et creuse le vrai tant qu’il peut, qui aime à accuser le petit fait aussi puissamment que le grand, qui voudrait vous faire sentir presque matériellement les choses qu’il reproduit ; celui-là aime à rire et se plaît dans les animalités de l’homme. (à Louise Colet, 16 janvier 1852)

SACERDOCE DE L’ECRIVAIN ou « L’HOMME-PLUME » :

Travaille, travaille, écris, écris tant que tu pourras (...) La lassitude de l’existence ne nous pèse pas quand nous composons. Il est vrai que les moments de fatigue et de délassement qui suivent n’en sont que plus terribles ; mais tant pis ! (...) Enfin je crois avoir compris une chose, une grande chose, c’est que le bonheur, pour les gens de notre race, est dans l’idée et pas ailleurs. (...) Je cherche à passer le temps de la manière la moins ennuyeuse, et je l’ai trouvée. Fais comme moi : romps avec l’extérieur, vis comme un ours - un ours blanc - envoie faire foutre tout, tout et toi-même avec, si ce n’est ton intelligence. (à Alfred Le Poittevin, septembre 1845)

Je lis ou j’écris régulièrement de huit à dix heures par jour ; et si l’on me dérange, j’en suis tout malade. (...) J’ai soif de longues études et d’après travaux. La vie interne, que j’ai toujours rêvée, commence enfin à surgir. (à Maxime Du Camp, avril 1846)

Lisez et ne rêvez pas. Plongez-vous dans de longues études ; il n’y a de continuellement bon que l’habitude d’un travail entêté. (à Louise Colet, 26 juillet 1851)

Je suis un homme-plume. Je sens par elle, à cause d’elle, par rapport à elle et beaucoup plus avec elle. (...) Il y a pourtant au fond quelque chose qui me tourmente, c’est la non-connaissance de ma mesure. Cet homme qui se dit calme est plein de doutes sur lui-même, il voudrait savoir jusqu'à quel cran il peut monter et la puissance exacte de ses muscles. Mais demander cela, c’est être ambitieux, car la connaissance précise de sa forme n’est peut-être autre que le génie. (à Louise Colet, 1er février 1852)

Ma vie est si plate qu’un grain de sable la trouble. Il faut que je sois dans une immobilité complète d’existence pour pouvoir écrire. (à Louise Colet, 15 avril 1852)

Je mène une vie âpre, déserte de toute joie extérieure et où je n’ai rien pour me soutenir qu’une espèce de rage permanente, qui pleure quelquefois d’impuissance, mais qui est continuelle. J’aime mon travail d’un amour frénétique et perverti, comme un ascète le cilice qui lui gratte le ventre. (à Louise Colet, 24 avril 1852)

Ce qui m’écrase parfois, c’est quand je pense à tout ce que je voudrais faire avant de crever, qu’il y déjà quinze ans que je travaille sans relâche d’une façon âpre et continue, et que je n’aurai jamais le temps de me donner à moi-même l’idée de ce que je voulais faire. (à Louise Colet, 8-9 mai 1852)

Ne nous lamentons sur rien ; se plaindre de tout ce qui nous afflige ou nous irrite, c’est se plaindre de la constitution même de l’existence. Nous sommes faits pour la peindre, nous autres, et rien de plus. (à Louise Colet, 4 septembre 1852)

J’ai des plans d’œuvres pour jusqu'au bout de ma vie. (à Louise Colet 27 mars 1853)

Il faut, pour bien faire une chose, que cette chose-là rentre dans votre constitution. (...) On n’arrive à ce degré-là que quand on est né pour le métier d’abord, et ensuite qu’on l’a exercé avec acharnement pendant longtemps. (à Louise Colet, 31 mars 1853)

Oui, je soutiens (et ceci, pour moi, doit être un dogme pratique dans la vie d’artiste) qu’il faut faire dans son existence deux parts : vivre en bourgeois et penser en demi-dieu. Les satisfactions du corps et de la tête n’ont rien de commun. (...) Réservons la moelle de notre cœur pour la doser en tartines, le jus intime des passions pour le mettre en bouteilles. Faisons de tout notre nous-même un résidu sublime pour nourrir les postérités ! Sait-on ce qui se perd chaque jour par les écoulements du sentiment ? (...) Si vous voulez à la fois chercher le Bonheur et le Beau, vous n’atteindrez ni à l’un ni à l’autre, car le seconde n’arrive que par le sacrifice. L’Art, comme le Dieu des Juifs, se repaît d’holocaustes. (...) Ne cherchons donc que la tranquillité, ne demandons à la vie qu’un fauteuil et non des trônes, que de la satisfaction et non de l’ivresse. La Passion s’arrange mal de cette longue patience que demande le métier. L’Art est assez vaste pour occuper tout un homme. En distraire quelque chose est presque un crime, c’est un vol fait à l’idée, un manque au devoir. (à Louise Colet, 21-22 août 1853)

Il faut se renfermer et continuer tête baissée dans son œuvre, comme une taupe. (à Louise Colet, 21-22 ? septembre 1853)

SAINT-ANTOINE :

Saint-Antoine ne m’a pas demandé le quart de la tension d’esprit que la Bovary me cause. C’était un déversoir ; je n’ai eu que plaisir à écrire, et les dix-huit mois que j’ai passés à en écrire les 500 pages ont été les plus profondément voluptueux de toute ma vie. (à Louise Colet, 6 avril 1853)


STOÏCISME :

Il faut devenir stoïque quand on vit dans les tristes époques où nous sommes. (à Louise Colet, 26-27 avril 1853)

SOUFFRANCE :

Certaines natures ne souffrent pas, les gens sans nerfs. Heureux sont-ils ! Mais de combien de choses aussi ne sont-ils pas privés ! Chose étrange, à mesure qu’on s’élève dans l’échelle des êtres, la faculté nerveuse augmente, c’est-à-dire la faculté de souffrir. Souffrir et penser seraient-ils donc la même chose ? Le génie, après tout, n’est peut-être qu’un raffinement de la douleur, c’est-à-dire une plus complète et intense pénétration de l’objectif à travers notre âme. (à Louise Colet, 30 septembre 1853)

SUJET EN LITTÉRATURE :

Si le livre que j’écris avec tant de mal arrive à bien, j’aurai établi par le seul fait de son exécution ces deux vérités, qui sont pour moi des axiomes, à savoir : d’abord que la poésie est purement subjective, qu’il n’y a pas en littérature de beaux sujets d’art, et qu’Yvetot donc vaut Constantinople ; et qu’en conséquence l’on peut écrire n’importe quoi aussi bien que quoi que ce soit. L’artiste doit tout élever ; il est comme une pompe, il a en lui un grand tuyau qui descend aux entrailles des choses, dans les couches profondes. Il aspire et fait jaillir le soleil en gerbes géantes ce qui était plat sous terre et ce qu’on ne voyait pas. (à Louise Colet, 25-26 juin 1853)

STYLE :

J’aime par-dessus tout la phrase nerveuse, substantielle, claire, au muscle saillant, à la peau bistrée : j’aime les phrases mâles et non les phrases femelles... (7 juin 1844)

On n’arrive au style qu’avec un labeur atroce, avec une opiniâtreté fanatique et dévouée. (à Louise Colet, 14-15 août 1846)

(...) tu n’ôteras pas la forme de l’Idée, car l’Idée n’existe qu’en vertu de la forme. Suppose une idée qui n’ait pas de forme, c’est impossible ; de même qu’une forme qui n’exprime pas une idée. (à Louise Colet, 18 septembre 1846)

Serre ton style, fais-en un tissu souple comme la soie et fort comme une cotte de mailles. (à Louise Colet, 14 octobre 1846)

Il faut se méfier de tout ce qui ressemble à de l’inspiration et qui n’est souvent que du parti pris et une exaltation factice que l’on s’est donnée volontairement et qui n’est pas venue d’elle-même. D’ailleurs on ne vit pas dans l’inspiration. (...) Il faut lire, méditer beaucoup, toujours penser au style et écrire le moins qu’on peut, uniquement pour calmer l’irritation qui vient de l’Idée qui demande à prendre une forme et qui se retourne en nous jusqu'à ce que nous lui en ayons trouvé une exacte, précise, adéquate à elle-même. (à Louise Colet, 13 décembre 1846)

J’ai commencé hier au soir mon roman [[i]Madame Bovary[/i]]. J’entrevois maintenant des difficultés de style qui m’épouvantent. Ce n’est pas une petite affaire que de faire simple. (à Louise Colet, 20 septembre 1851)

Oh mon Dieu ! si j’écrivais le style dont j’ai l’idée, quel écrivain je serais ! (...) Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l’air, un livre qui n’aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela se peut. Les oeuvres les plus belles sont celles où il y a le moins de matière ; plus l’expression se rapproche de la pensée, plus le mot colle dessus et disparaît, plus c’est beau. Je crois que l’avenir de l’Art est dans ces voies. (...) C’est pour cela qu’il n’y a ni beaux ni vilains sujets et qu’on pourrait presque établir comme axiome, en se posant au point de vue de l’Art pur, qu’il n’y en a aucun, le style étant à lui tout seul une manière absolue de voir les choses. (à Louise Colet, 16 janvier 1852)

Depuis qu’on fait du style, je crois que personne ne s’est donné autant de mal que moi. (à Louise Colet, 25 janvier 1852)

J’aime les phrases nettes et qui se tiennent droites, debout tout en courant, ce qui est presque une impossibilité. (à Louise Colet, 13 juin 1852)

La bonne prose pourtant doit être aussi précise que le vers, et sonore comme lui. (à Louise Colet, 19 juin 1852)

Quelle chienne de chose que la prose ! Ça n’est jamais fini ; il y a toujours à refaire. Je crois pourtant qu’on peut lui donner la consistance du vers. Une bonne phrase de prose doit être comme un bon vers, interchangeable, aussi rythmée, aussi sonore. Voilà du moins mon ambition (il y a une chose dont je suis sûr, c’est que personne n’a jamais eu en tête un type de prose plus parfait que moi ; mais quant à l’exécution, que de faiblesses, que de faiblesses mon Dieu !). (...) Tout le talent d’écrire ne consiste après tout que dans le choix des mots. C’est la précision qui fait la force. Il en est en style comme en musique : ce qu’il y a de plus beau et de plus rare c’est la pureté du son. (à Louise Colet, 22 juillet 1852)

N’importe, j’aime les viandes plus juteuses, les eaux plus profondes, les styles où l’on en a plein la bouche, les pensées où l’on s’égare. (à Louise Colet, 17 févr. 1853)

Où est donc le style ? En quoi consiste-t-il ? Je ne sais plus du tout ce que ça veut dire. Mais si, mais si pourtant ! Je me le sens dans le ventre. (à Louise Colet, 29-30 janv. 1853)

La forme est la chair même de la pensée, comme la pensée en est l’âme, la vie. Plus les muscles de votre poitrine seront larges, plus vous respirerez à l’aise. (à Louise Colet, 27 mars 1853)

Vouloir donner à la prose le rythme du vers (en la laissant prose et très prose) et écrire la vie ordinaire comme on écrit l’histoire ou l’épopée (sans dénaturer le sujet) est peut-être une absurdité. (à Louise Colet, 27 mars 1853)

Ah ! quand donc pourrai-je écrire en toute liberté un sujet Pohétique ? Car le style à moi, qui m’est naturel, c’est le style dithyrambique. (à Louise Colet, 2 juin 1853)

...Oui, il faut se brider le cœur, le tenir en laisse comme un bouledogue enragé et ensuite le lâcher tout d’un bond dans le style, au moment opportun. (à Louise Colet, 14-15 juin 1853)

TALENT :

C’est une chose, toi, dont il faut que tu prennes l’habitude, que de lire tous les jours (comme un bréviaire) quelque chose de bon. Cela s’infiltre à la longue. (...) Le talent, comme la vie, se transmet par infusion et il faut vivre dans un milieu noble, prendre l’esprit de société des maîtres. (à Louise Colet, 6-7 juin 1853)

THÉÂTRE :

Le fond de ma nature est, quoi qu’on en dise, le saltimbanque. J’ai eu dans mon enfance et ma jeunesse un amour effréné des planches. J’aurais été peut-être un grand acteur, si le ciel m’avait fait naître plus pauvre. (à Louise Colet, 8 août 1846)

VÉRITÉ :

La bonne et la mauvaise société doivent être étudiées. La vérité est dans tout. Comprenons chaque chose et n’en blâmons aucune. (à Ernest Chevalier, 23 février 1842)

(...) ce qui me soutient, c’est la conviction que je suis dans le vrai, et si je suis dans le vrai, je suis dans le bien, j’accomplis un devoir. (à Louise Colet, 10 avril 1853)

VISION TRANSCENDANTALE DE L’ÉCRITURE :

Le mot le plus banal me tient parfois en singulière admiration. (...) A force de vouloir tout comprendre, tout me fait rêver. Il me semble pourtant que cet ébahissement-là n’est pas de la bêtise. Le bourgeois par exemple est pour moi quelque chose d’infini. (...) Pour qu’une chose soit intéressante, il suffit de la regarder longtemps. (à Alfred Le Poittevin, sept. 1845)

Toutes les couleurs sont belles, il s’agit de les peindre. (à Louise Colet, 1er septembre 1852)

VOCATION :

C’est une question de vie ou de mort. Quand j’aurai pris mon parti, rien ne m’arrêtera, dussé-je être sifflé et conspué par tout le monde. (22 janvier 1842)

J’ai dit à la vie pratique un irrévocable adieu. Je ne demande d’ici à longtemps que cinq ou six heures de tranquillité dans ma chambre, un grand feu l’hiver, et deux bougies chaque soir pour m’éclairer. (à Alfred Le Poittevin, le 13 mai 1845)
07 septembre 2013, 14:07   Re : Génie de Flaubert
FLAUBERT :

Etait analphabète à 10 ans et ses parents le considéraient comme un débile léger.

(Nouveau dictionnaire des idées reçues)
08 septembre 2013, 17:09   Re : Génie de Flaubert
Oui, Thomas, contrairement à Balzac qui était précoce, Flaubert fut un génie grandet.
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