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Deux interventions de Renaud Camus

Envoyé par Marcel Meyer 
Je ne comprends pas que la synthèse soit si difficile (ou plutôt, étant donné les camps en présence, je le comprends très bien) : d'une part volonté génocidaire manifeste, encouragée par divers moyens, d'autre part coup de main inopinée de Mère Nature, les Yankees ayant dû se dire qu'ils agissaient with God on their side comme dirait l'autre...

Mais surtout, plutôt que de comparer cela à la famine organisée en Ukraine, à la tentative de génocide des Juifs d'Europe, ou aux exactions abominables des Khmers rouges, un parallèle plus intéressant ne serait-il pas celui de l'œuvre des Colonnes infernales ? Peu d'histoires de contamination, certes, mais une même volonté de vider un territoire de ses habitants, inaboutie in fine (malgré des résultas impressionnants, très variables selon les estimations...).
Ce que ce parallèle révèle peut-être, entre autres, c'est que, avant le XXe siècle, les volontés que nous appelerions génocidaires, qu'on appelait alors "populicide" comme Babeuf ou "dépopulation", ne pouvaient donner de résultats aussi effrayants qu'à présent sans ce genre de circonstances naturelles. Mais d'ailleurs, quels sont les génocides qui ont atteint leur terme (je pose la question ingénument, n'en trouvant pas d'emblée) ?
Je veux bien admettre que des corps déchiquetés aient été manipulés sans précaution et que les défenseurs en aient contracté la peste, comme la contracterait un médecin qui ferait une autopsie sans précaution.

Je crois cependant plus raisonnable de considérer que les mondes Mongol et Occidental étant en contact, leurs rongeurs l'étaient aussi, et que cela soit la cause réelle de la diffusion de l'épidémie.
Jean-Marc, ne soyez pas rabat-joie : l'hypothèse du lancer de corps vireux est beaucoup plus excitante pour l'esprit que la morne plausibilité du commerce d'anonymes et stupides rongeurs qui ne savent pas ce qu'ils font.
Du reste, le catapultage a été dûment consigné par un certain Gabriel de Mussis (seule source ?), dont on apprend de surcroît qu'il n'aurait en réalité jamais quitté sa ville natale, Plaisance, à l'époque des faits relatés...
Bien évidemment que je suis sérieux Marcel Meyer : quelle différence au juste voyez-vous entre l'attribution du phénomène à une élégante unification microbienne de l'humanité d'une part et d'autre part l'exonération de ses responsabilités génocidaires par l'affirmation qu'on y est pour rien ?

Si la responsable est cette séduisante unification microbienne de l'humanité alors à quoi bon parler des événements historiques et des choix politiques des uns et des autres ? Si toute guerre bactériologique, ouverte ou masquée, est subsumée sous le processus pseudo-scientifique objectif et indifférent aux actes politiques d'unification microbienne de l'humanité, tantôt "spontanée", tantôt "aidée", alors c'est tout bon : les génocidaires ne sont que "portés par le processus", sans responsabilité aucune. Ils sont innocents.
J'ai du mal à vous suivre.

On ne peut évidemment pas dire que les Européens ne sont "pour rien" dans l'effondrement démographique provoqué par leur arrivée en Amérique (et je ne crois pas que qui que ce soit l'ait prétendu ici), mais il est tout aussi évident que cet effondrement a été provoqué d'abord et essentiellement par le choc bactériologique et viral. Celui-ci était involontaire et est resté assez longtemps incompris.

Ce fait, parfaitement établi, n'excuse en rien les comportements ignobles dont vous avez donné des exemples. Le fait est cependant que si tous les Européens s'étaient comportés avec la relative retenue des Français (au reste, tous les Anglais n'ont pas été des génocidaires non plus, il s'en faut — et tous les Indiens n'ont pas non plus été généreux, nobles et amicaux avec les colons), ou même s'ils avaient décidé de rembarquer après la découverte, l'effondrement démographique aurait quand même eu lieu.

Cela ne change évidemment rien au fait que nous leur avons pris l'essentiel de leurs terres et que le sort que nous leur avons longtemps réservé a été rien moins qu'enviable. La discussion que nous avons à propos de ce choc microbien et viral ne change rien à cette réalité tragique.
Oui. Du fait même que ce choc "ne change rien à la réalité tragique", il cesse d'être pertinent à la discussion politique. Le processus d'unification microbienne de l'humanité mis à en avant par M. Page pour clore le débat sur des actes et responsabilités génocidaires en ressort donc comme manoeuvre rhétorique dilatoire, un peu comme l'évocation du mauvais temps, ou du froid dans les années 40 face à la responsabilité génocidaire de nazis.

Il fait très froid, vous mettez quelqu'un dehors dénudé et sans abri. Il meurt. C'est la faute au froid ? ou encore à l'"unification climatique de la planète" ?

Les Indiens étaient méchants, c'est entendu. Et la guerre est moche mais la guerre bactériologique ou l'anéantissement des moyens d'existence de populations se situent hors-la-guerre, en tout cas en dehors de ses lois modernes, et à ce titre sont condamnables de tous temps d'un point de vue éthique. S'il ne saurait être question de condamner des actes à deux siècles de distance, il n'est pas acceptable cependant que la reconnaissance de leur vraie nature soit empêchée aujourd'hui par l'argument pseudo-scientifique mettant en avant une "unification microbienne de l'humanité".
Citation
Francis Marche
la guerre bactériologique ou l'anéantissement des moyens d'existence de population se situent hors-la-guerre, en tout cas en dehors de ses lois modernes, et à ce titre sont condamnables de tous temps d'un point de vue éthique. S'il ne saurait être question de condamner des actes à deux siècles de distance, il n'est pas acceptable cependant que la reconnaissance de leur vraie nature soit empêchée aujourd'hui par l'argument pseudo-scientifique mettant en avant une "unification microbienne de l'humanité".

Un pourcentage absolument infime des pertes amérindiennes des actuels Etats-Unis est dû à la "guerre bactériologique".
Un pourcentage très faible est dû à la destruction de leurs moyens d'existence.
Un pourcentage très faible ou faible est dû à des massacres ou à de mauvais traitements.
A partir de là, dire que la régression démographique des Amérindiens des actuels Etats-Unis est due à leur extermination est faux.

Dire qu'ils ont été exterminés est trompeur.
Ce que vous pourriez dire, évidemment, c'est que certains (une toute petite proportion) ont été exterminés.
Je vous l'accorderais.
Mais alors on peut le dire d'à peu près tous les peuples. Par exemple avez-vous entendu parler de la façon dont les troupes du roi très chrétien ont traité les Lorrains au XVIIème siècle, ou dont les troupes de Napoléon traitaient les Espagnols ?
Bref, des Amérindiens des actuels Etats-Unis ont été exterminés, comme l'ont été des Lorrains ou des Espagnols.
Mais les Indiens des actuels Etats-Unis n'ont pas été exterminés.


La notion d'unification microbienne de l'humanité, j'e l'ai lue sous la plume de Le Roy-Ladurie, à propos de la Peste Noire. Elle n'a rien de "pseudo-scientifique" : au bout d'un certain temps, les deux populations n'en font qu'une du point de vue de l'infection microbienne : il y avait deux bassins microbiens, il n'y en a plus qu'un (au bout d'un certain temps, les Amérindiens survivants sont immunisés autant que le sont les Européens ; ils ne périssent plus de coqueluche ou de rougeole).
Citation
Jean Sercy
[...] avant le XXe siècle, les volontés que nous appelerions génocidaires, qu'on appelait alors "populicide" comme Babeuf ou "dépopulation", ne pouvaient donner de résultats aussi effrayants qu'à présent sans ce genre de circonstances naturelles. Mais d'ailleurs, quels sont les génocides qui ont atteint leur terme (je pose la question ingénument, n'en trouvant pas d'emblée) ?

En gros, plus on s'éloigne dans le temps, plus les populations civiles étaient massacrées pendant la guerre ou après la victoire. Dans Tacite vous avez l'expression récurrente : "ni le sexe ni l'âge ne sont épargnés".
A part ça, face à une population qui résistait (je veux dire, ou plus ou moins tous les hommes combattaient, pas seulement une minorité de guerriers ou de soldats), l'anéantissement était la règle. Cela a dû se produire notamment quand la guerre avait un caractère religieux. Un exemple : les guerres judéo-romaines.
Mais, une fois que la "paix des cimetières" était acquise, personne n'avait intérêt à tuer les survivants : on les faisait travailler pour soi. En somme, des massacres du genre de ceux de Staline, oui, et avec des conséquences bien pires, car les populations étaient beaucoup plus vulnérables, des tentatives d'exterminations complètes d'une population, sauf exceptions ça n'a dû exister que chez des populations très primitives, ne pratiquant pas l'esclavage, et encore : en général on s'approprie les jeunes femmes, on ne les tue pas.
(Sur le recul de la violence dans l'histoire, un livre impressionnant, extrêmement ambitieux et argumenté, du psychologue Steven Pinker : The better angels of our Nature).
En Europe, les Saxons (païens) ont probablement particulièrement souffert face à Charlemagne.
Certains ont prétendu que les vieux Prussiens (de langue balte, comme les Lituaniens et les Lettons, et païens, prédécesseurs des Allemands en Prusse, laquelle tient d'eux son nom), ont été exterminés par les chevaliers teutoniques, mais c'est une légende (en France propagée par Claude Hagège, anti-allemand de l'espèce frénétique, dans son : Le souffle de la langue) .
Il fait très froid, vous mettez quelqu'un dehors dénudé et sans abri. Il meurt. C'est la faute au froid ?

J'ai sûrement, si j'ose dire, une guerre de retard mais c'est exactement à cette question de M. Marche à laquelle M. Page aurait dû répondre. Elle est la formulation parfaitement imagée d'un des chefs de génocide de la Cour pénale internationale, qui se lit comme suit: "Génocide par soumission intentionnelle de chaque groupe ciblé à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique". Des millions d'Ukrainiens, d'Indiens d'Amérique et de Darfouriens (Soudan) sont morts de multiples causes, par la faute d'autres hommes.
Citation
Pierre Jean Comolli
Il fait très froid, vous mettez quelqu'un dehors dénudé et sans abri. Il meurt. C'est la faute au froid ?

J'ai sûrement, si j'ose dire, une guerre de retard mais c'est exactement à cette question de M. Marche à laquelle M. Page aurait dû répondre. Elle est la formulation parfaitement imagée d'un des chefs de génocide de la Cour pénale internationale, qui se lit comme suit: "Génocide par soumission intentionnelle de chaque groupe ciblé à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique". Des millions d'Ukrainiens, d'Indiens d'Amérique et de Darfouriens (Soudan) sont morts de multiples causes, par la faute d'autres hommes.

Oui, vous avez une guerre de retard.
Je n'ai pas répondu car l'argument de Francis Marche témoigne d'une ignorance abyssale de ce qui s'est passé, comme il résulte de ce qu'ont écrit plusieurs intervenants.
Les épidémies, ça existe.
En 2014, il n'y a pas besoin d'être exposé au froid pour mourir du Sida. En 1918, il n'y avait pas besoin d'être affaibli par la faim pour succomber à la grippe espagnole. En 1348, il n'y avait pas besoin d'être maltraité pour être victime de la peste.
Les populations amérindiennes, isolées depuis douze mille ans, n'étaient pas immunisées contre tout un tas de maladies bénignes dans l'Ancien Monde.
C'est ça qui a entraîné des pertes gigantesques chez elles.
Le reste est absolument secondaire, démographiquement parlant.
C'est pour cela que parler d'extermination ou de génocide des Amérindiens en général, ou des Amérindiens des Etats-Unis en particulier, est complètement inadéquat.
Mais évidemment, les Amérindiens ont subi la loi du vainqueur, et tel ou tel peuple amérindien a pu être victime d'entreprises d'élimination physique qu'on peut légitimement qualifier d'exterminations ou de génocides. On est d'ailleurs plus enclin à employer ces mots dans les Amériques que dans l'Ancien Monde, car certains des peuples amérindiens avaient de très petites populations : si bien que le massacre de la population de trois villages, en Europe, on n'appelle pas cela un génocide, tandis qu'en Amérique, on peut parfois légitimement le qualifier ainsi.

Documentez-vous un peu et, à mon avis, vous verrez que le point de vue que j'exprime ici n'a rien d'original et correspond au consensus scientifique.
13 décembre 2014, 08:57   X interventions de QI QI
Les épidémies, ça existe.

Les forums, par exemple, sont parfois atteints de pagite aiguë.
Le bilan mondial du sida, sur trente ans, montre bien que la malnutrition, ou une alimentation carencée, est cause directe de mortalité dans cette maladie. C'est le Pr Montagnier lui-même qui l'affirme (dans une vidéo qui doit encore se trouver sur YouTube).

L'histoire montre que dans certains cas, les puissances coloniales ou post-coloniales d'Amérique du Nord au 18e et au 19e siècles, représentées dans cette discussion par l'Anglais Jeffrey Amherst, ont "mis à profit" certains facteurs sanitaires, certaines pathologies, qu'elles considérèrent comme heaven-sent, pour éliminer ou réduire démographiquement des populations. Cette stratégie, qui s'est accompagnée d'une destruction planifiée et systématique des ressources alimentaires des populations considérées, est génocidaire.

Que le bilan démographique de l'opération ait été "décevant" ou "insuffisant" du point de vue de ses instigateurs, voire minime du point de vue du démographe, ne change rien à la nature de l'acte. Le meurtre n'est pas uniquement une donnée statistique, l'élimination d'êtres humains, fussent-ils une poignée seulement, n'est pas un événement statistique mais un homicide, et quand les victimes sont bien plus qu'une poignée, c'est un meurtre de masse, et le terme de génocide est approprié quand une nation indienne dans sa totalité se trouve réduite comme on sait.

Je ne vois pas comment on peut discuter cela ou faire disculper les auteurs de ces actes, dûment avérés.
La propagation délibérée de la maladie par les Blancs chez des Amérindiens des actuels Etats-Unis a été un phénomène rarissime et absolument marginal.
Donc on ne peut pas, en ce sens, parler de "l'extermination des Indiens", ni de "génocide des Indiens".
Ce dont il est question.
(Et non pas de disculper les auteurs de ces actes - il est extraordinaire que vous éprouviez le besoin de combattre cette disculpation : vous inventez un adversaire inexistant dans cette discussion (ou vous me prêtez une position en faveur de laquelle je n'ai pas écrit une ligne et qui bien évidemment n'est pas la mienne)).

Quant à dire que les Amérindiens des actuels Etats-Unis, affaiblis par le sort à eux réservé par les Blancs, ont été davantage victimes des maladies qu'ils ne l'auraient été s'ils avaient vécu dans des conditions plus favorisées, je suppose que globalement c'est un peu vrai (à vrai dire, je n'en sais trop rien, mais je suis prêt à le croire).
Mais peut-on parler en ce sens d'une entreprise d''extermination des Indiens ?
Non.
Les Amérindiens des actuels Etats-Unis ont été dépossédés et submergés par les Blancs, ils n'ont pas été exterminés par eux.
13 décembre 2014, 17:12   Re : X interventions de QI QI
Citation
Thomas Rothomago
Les épidémies, ça existe.

Les forums, par exemple, sont parfois atteints de pagite aiguë.

Variété de grippe aviaire particulièrement obstruante ??
La destruction des sources de protéines ou des ressources alimentaires des populations, soit cela même dont eurent à pâtir les indiens dont les réserves de vivres furent anéanties par les hécatombes de bisons des plaines, dûment diligentées par l'administration coloniale d'abord, puis par les armées des Etats post-coloniaux --- acte qui équivaut à incendier les greniers à blé en Europe ou à les greniers à riz en Asie ---, crée un facteur d'aggravation de la mortalité en période d'épidémies, comme le montre l'épidémiologie du sida, maladie que vous-même avez évoquée : la géographie de l'épidémie se superpose à celle de la malnutrition.

Il en a résulté -- il a résulté de cette combinaison de facteurs savamment et intelligemment mis en place par les ennemis de ces populations autour des pathologies morbides -- un génocide, une extermination les mains propres, ou presque.

Mais basta !
Basta, d'accord cher Francis Marche, mais tout de même, en ce qui me concerne, encore ceci : la quasi-extermination des Bisons date de la seconde moitié du XIXe siècle, le choc microbien et viral est nettement antérieur (XVIe-XVIII). Cette discussion a d'ailleurs pâti de la confusion entre les deux phases. Pour s'en tenir à l'Amérique du Nord, l'effondrement démographique précède, pour l'essentiel, la période au cours de laquelle les Indiens ont subi les spoliations, tueries, déportations, enfermements.
Je suggère aux habitués de ce forum la lecture de la "Visión de los vencidos. Relaciones indígenas de la Conquista" de Miguel León-Portilla.

Cet ouvrage remarquable est la compilation de multiples codex nahuatl et nous donne, comme son nom l'indique, la vision des vaincus. Le degré d'avancement de la civilisation de l'ère mexicaine (je ne trouve pas le bon mot, je voudrais dire de la région de Mexico) permet de bien voir, d'un point de vue inhabituel, comment la Conquête s'est mise en place. Il y a des tueries, certes, mais on voit que les Espagnols avaient de puissants alliés locaux, qu'ils traitaient d'égal à égal, et ces alliés furent les premiers à succomber à la variole (laquelle joua ensuite un rôle majeur dans la prise de Mexico).

Cette variole -- et surtout son effet -- furent une immense surprise pour tout le monde, Espagnols compris. A contrario, on peut voir que la reconquête d'Haïti par la France échoue à cause de la fièvre jaune.


Le texte du codex sur cette épidémie, qui frappa aussi par sa soudaineté et sa courte durée, soixante jours (on comprend bien le sens général) :

Cuando se fueron los españoles de México y aún no se preparaban los españoles contra nosotros, primero se difundió entre nosotros una gran peste, una enfermedad general. Comenzó en Tepeílhuitl. 4 Sobre nosotros se extendió: gran destruidora de gente. Algunos bien los cubrió, por todas partes (de su cuerpo) se extendió. En la cara, en la cabeza, en el pecho.

Era muy destructora enfermedad. Muchas gentes murieron de ella. Ya nadie podía andar, no más estaban acostados, tendidos en su cama. No podía nadie moverse, no podía volver el cuello, no podía hacer movimientos de cuerpo; no podía acostarse cara abajo, ni acostarse sobre la espalda, ni moverse de un lado a otro. Y cuando se movían algo, daban de gritos. A muchos dio la muerte la pegajosa, apelmazada, dura enfermedad de granos.

Muchos murieron de ella, pero muchos solamente de hambre murieron: hubo muertos por el hambre: ya nadie tenía cuidado de nadie, nadie de otros se preocupaba.

A algunos les prendieron los granos de lejos: esos no mucho sufrieron, no murieron muchos de eso.

Pero a muchos con esto se les echó a perder la cara, quedaron cacarañados, quedaron cacarizos. Unos quedaron ciegos, perdieron la vista.

El tiempo que estuvo en fuerza esta peste duró sesenta días, sesenta días funestos. Comenzó en Cuatlan: cuando se dieron cuenta, estaba bien desarrollada. Hacia Chalco se fue la peste. Y con esto mucho amenguó, pero no cesó del todo.

Vino a establecerse en la fiesta de Teotleco y vino a tener su término en la fiesta de Panquetzaliztli. Fue cuando quedaron limpios de la cara los guerreros mexicanos.

[quote="André Page"
En gros, plus on s'éloigne dans le temps, plus les populations civiles étaient massacrées pendant la guerre ou après la victoire. Dans Tacite vous avez l'expression récurrente : "ni le sexe ni l'âge ne sont épargnés".
A part ça, face à une population qui résistait (je veux dire, ou plus ou moins tous les hommes combattaient, pas seulement une minorité de guerriers ou de soldats), l'anéantissement était la règle. Cela a dû se produire notamment quand la guerre avait un caractère religieux. Un exemple : les guerres judéo-romaines.]



Lisant Les derniers jours de Michel De Jaeghere, je tombe par hasard sur quelques données démographiques concernant les guerres romaines. Il ressort que les nations vaincues par la République ou l'Empire étaient réduites en esclavage plutôt qu'exterminées, une fois gagnée la guerre proprement dite. Les pages 172 et suivantes de cet ouvrage donnent le détail du commerce d'esclaves entre Romains et Germains, des implantations de peuples et tribus (que l'auteur appelle drôlement "immigration choisie") depuis Auguste et Tibère jusqu'à Valentinien. La pénurie de paysans et de soldats romains, y apprend-on, n'est pas seulement un problème de l'empire tardif, elle est déjà sensible sous Auguste. Il n'y a donc pas de massacre généralisé, quoi qu'en dise Tacite (qui est à utiliser avec prudence, les historiens antiques étant d'abord des artistes).

Quant aux guerres juives, il semblerait qu'elles ne se soient pas terminées par l'anéantissement général des populations vaincues, mais par la réduction en esclavage des survivants. Il en va de même des conquérants antérieurs aux Romains : les Egyptiens du Nouvel Empire enrôlaient les guerriers vaincus des Peuples de la Mer, les Assyriens et les Babyloniens s'emparaient de la force de travail humaine des populations révoltées, etc ... Le projet génocidaire me semble étroitement lié à une idéologie forte, à un projet de rénovation du monde, de création du Nouvel Homme : c'est la Terreur française et ses suites.

Cela dit, un historien de la Grèce antique, dont le nom m'échappe totalement, a consacré un long travail à un épisode exceptionnel de l'histoire grecque, pendant lequel les dirigeants d'une cité avaient projeté d'éradiquer totalement la population d'une autre. Mais justement, c'était exceptionnel. Impossible de me rappeler le détail de l'épisode.
Le projet génocidaire me semble étroitement lié à une idéologie forte, à un projet de rénovation du monde, de création du Nouvel Homme : c'est la Terreur française et ses suites.

Idéologie forte, certainement cher Henri Bès. On notera cependant, s'agissant de la Terreur française et de ses suites, que l'infâme Jeoffrey Amherst sévissait au Nouveau Monde dans ce que l'historiographie américaine nomme Guerres françaises et indiennes, soit durant les années 1754-1763, ce qui, si le lien avec la Terreur française peut être supputé, placerait cette dernière à la remorque des conceptions et méthodes imaginatives et radicales de J.A.
15 décembre 2014, 07:32   Devoir de rancune
Amalek doit être totalement éradiqué de la surface de la terre, et ce jusqu'à figurer non plus un "projet génocidaire" mais véritablement un devoir génocidaire transmissible comme Commandement de génération en génération.
Qui est Amalek ? le mot en est probablement venu à désigner tous les ennemis d'Israël, réels, symboliques ou imaginaires...
Dans ce cas, cher Francis, c'est moins une pratique du génocide qu'inaugure la Terreur, qu'un nouveau discours de justification de la pratique. Est-ce J. Amherst a laissé des textes où il excluait du genre humain les Indiens d'Amérique ?
C'est la question de la "guerre totale", voire du concept, non encore entièrement formulé en ces termes à cette époque mais déjà opérant, de "solution finale" que l'on voit naître à ce moment dans l'esprit des J. Amherst en Amérique du Nord.

L'exclusion du genre humain apparaît bien en filigrane dans les écrits (correspondances) que nous a laissés cet individu. Il est devenu un serpent de mer en Occident à partir de ce moment. Il exista par exemple dans les campagnes de propagande américaine, des affiches qui date de la guerre du Pacifique, post Pearl-Harbour donc, sur laquelle "le Japonais" est décrit comme un rat à exterminer, images produites quatre ans avant Hiroshima et Nagasaki.

S'il est bien vrai que le génocide n'est pas l'apanage de l'homme occidental, des constantes de représentation, cependant, existent dans ce qu'il faudrait désigner comme "acte génocidaire à l'occidentale", où l'on voit l'exclusion du genre humain prise dans un logos, un "raisonnement", une forme rationnelle d'argumentation. Le génocidaire occidental, à la différence du génocidaire africain ou oriental, est un grand raisonnant, qui argumente sur "la phénotypie" (rats, cafards, etc.) ou encore sur le génotype de ses victimes. L'Occidental, que voulez-vous, c'est son petit péché mignon, ne peut s'empêcher d'être "scientifique", il ne se défait jamais de cette prétention, jusque dans la pratique de l'horreur absolu.
C'est pourquoi on pourrait établir une corrélation entre l'émergence de la science, et l'apparition de justifications scientifiques (recourant au langage de la science) pour des pratiques génocidaires. Je me souviens de l'histoire du Cannibale, écrite par Frank Lestringant, où l'on voit se développer, avec le scientisme, une incompréhension progressive du fait cannibale, que les premiers explorateurs du XVI°s avaient saisi d'emblée selon leurs catégories théologiques. Une autre question me vient à l'esprit : les mondes de pensée non-occidentaux (ce n'est pas une faute, j'ai bien écrit mondes) envisagent-ils un genre humain dans sa globalité, au-delà du groupe ethnique, ne serait-ce que pour déchoir tel ou tel du nom d'homme et justifier son extermination ?
Il me semble que si cette globalité est absente dans les sociétés primitives (qui, souvent, se désignent elles-mêmes, et exclusivement elles-mêmes par le nom qui signifie aussi "être humain") il y a cette conscience en Extrême-Orient. Je ne sais ce qu'il en est en Inde mais il m'étonnerait beaucoup que la notion de genre humain dans sa globalité n'y existe pas.
C'est une question passionnante. Pour en rester au XXe siècle, le cas des exactions de la soldatesque japonaise sur le sol chinois est édifiant. La question du genre humain, et de la nécessaire opération d'exclusion qui doit au préalable viser les victimes désignées par le génocidaire occidental, ne se pose pas au Japonais

Le donnée de cette exclusion n'affleure pas à sa conscience, il n'était point nécessaire d'argumenter : le fait japonais, qui distingue le Japonais du Chinois n'est point transcendant, il va de soi chez le sabreur qui tranchait les têtes étrangères dans ces guerres. Et les têtes qui tombaient naturellement n'était pas seulement chinoises, certaines furent françaises, en Indochine.

La particularité de l'Occidental est de rationaliser la chose. Il n'est point "Occidental" comme le Japonais est Japonais. L'Anglais Amherst n'était pas Anglais comme étaient Japonais ces généraux japonais que l'on exécuta pour crime de guerre en 1947. Il fallut à Amherst tout un détour d'intellection, avec justificatifs géostratégiques, pour conclure à l'indésirabilité d'une race humaine et à la nécessité de son élimination.

L'Occidental, en tout, et donc jusque dans le meurtre de masse, n'agit que raisonnablement, sa conscience ne se satisfait point de son être et ne l'autorise point d'agir sans fondement. Il lui faut pour être et agir et imposer son être à autrui ou au milieu, la justification du raisonnable. Il ne sait point oser être sans raison. C'est chez lui un biais ontologique. Le goût du massacre ne lui suffit pas, il lui faut le poivre et le sel de l'auto-conviction.
Citation
Francis Marche
Pour en rester au XXe siècle, le cas des exactions de la soldatesque japonaise sur le sol chinois est édifiant. La question du genre humain, et de la nécessaire opération d'exclusion qui doit au préalable viser les victimes désignées par le génocidaire occidental, ne se pose pas au Japonais

Le donnée de cette exclusion n'affleure pas à sa conscience, il n'était point nécessaire d'argumenter : le fait japonais, qui distingue le Japonais du Chinois n'est point transcendant, il va de soi chez le sabreur qui tranchait les têtes étrangères dans ces guerres.

Comme il est naturel, j'ai du mal à comprendre cela. Il est difficile de concevoir ce qui n'est pas pensé, ce qui ne vient pas à l'esprit. Lucien Febvre s'y exerce en démontrant l'impossibilité de l'athéisme au XVI°s, en expliquant que l'on ne disposait pas de l'outillage verbal et mental pour concevoir cette doctrine. Voulez-vous dire (parallèlement) que les Japonais ne pensaient pas en termes d'humanité ? que leur langue et leur monde de pensée rendaient inconcevable l'idée d'humanité ? qu'ils ne pouvaient penser que le non-Japonais, bien qu'étranger, est un humain ? Ou bien que son appartenance à l'espèce humaine étant admise, intellectuellement, c'était sans aucune conséquence pour la vie pratique ? Ils auraient été dans la situation inverse de celle de ces peuples que mentionne Marcel Meyer, les seuls à pouvoir se nommer hommes, à les croire, mais finalement peu portés à traduire en actes cette certitude.
Des entretiens de ces soldats japonais existent, des hommes très âgés, qui disent cela même : la question ne se posait pas, la problématique n'affleurait pas leur esprit, ils tuaient naturellement, organisaient des concours de têtes, dont les résultats étaient suivis par la presse japonaise, qui tenait un classement des meilleurs trancheurs de tête de civils, comme on le ferait de chasseurs et de tableaux de chasse.

Le statut d'humanité ne les concernait pas et ce doublement : il ne donnait lieu à statuer ni pour leurs victimes ni pour eux-mêmes.

La notion d'être humain, j'entends celle d'être et de se comporter humainement conjointement à celle d'être un être humain (et non un demi-dieu, non plus qu'un rat un cafard ou une fourmi), est très récente : dans le monde moderne, elle a dû attendre pour se forger complètement, la fin de la Seconde guerre mondiale.

Seconde guerre mondiale, et encore : les moins jeunes d'entre nous se souviennent du premier ministre de la République française Edith Cresson qui, en 1991, qualifiait publiquement les Japonais, justement, de fourmis.
Permettez-moi de ne pas être d'accord. Si, pour les Japonais, la question ne se posait pas c'est certes parce que la vie d'un Chinois n'avait pas d'importance, mais cela ne signifie absolument pas qu'il ne voyaient pas en eux des êtres humains, cela signifie que la vie d'un être humain n'avait, en soi, aucune importance — et la leur non plus du reste.

Chinois et Japonais ont un idéogramme qui signifie être humain ( 人 ), prononcé jin ou nin en japonais et qui entre dans la composition des différentes appellations d'hommes :

凡人 bonjin : personne ordinaire
知人 chijin : ami
外国人 gaikokujin : un étranger
日本人 nihonjin : une personne japonaise
黒人 kokujin : un Noir
et ainsi de suite pour toutes les nationalités, races et ethnies.
Et j'oubliais :

人類 jinrui : humanité, genre humain
Bien entendu, les limitations éventuelles du langage ne sont nullement en cause dans le cas japonais qui vient d'être évoqué.

Il reste que bon nombre de ces criminels de guerre japonais, arrêtés après la guerre, jugés et condamnés à mort, allèrent au bourreau sans tout à fait comprendre ce qu'on leur reprochait, sans avoir acquis l'intime et ultime conviction de leur crime contre l'humanité.

Les langues orientales des grandes civilisations (Chine, Japon) sont suffisamment souples pour intégrer sur-le-champ les concepts nouveaux de "crime contre l'humanité", ou "de travail humanitaire", par exemple; en Chine, de simples translittérations y suffisent, et ces sociétés elles-mêmes peuvent très rapidement intégrer des codes éthiques ou des normes de comportement nouveaux pour les appliquer avec zèle et rigueur. Cependant, le fait demeure que cette soldatesque, avant la défaite du Japon, n'avait nullement besoin de ratiociner sur "l'infériorité" des Chinois, par exemple, pour commettre ses atrocités, cependant que les hitlériens d'Europe, sur les Juifs et les Slaves, si.
Je précise ceci car mon message précédent peut prêter à confusion ou demeurer incompris:

Quand il y a nécessité de ratiociner pour établir "l'infériorité" d'un groupe ou d'un type humain, cela suppose qu'a été établie ou qu'est donnée une classe unique d'humanité au sein de laquelle des distinctions sont à opérer entre "supérieurs" et "inférieurs"; à l'inverse, quand cette classe unique n'est point donnée, n'est point une catégorie de pensée, la distinction ou le ravalement à des statuts inférieurs de groupes humains en son sein, n'a pas lieu, n'a point lieu d'être, est sans objet et la culpabilité d'avoir commis un "crime contre l'humanité", soit crime contre la classe d'appartenance générale qui ne siégea jamais dans la conscience du criminel, n'est point non plus.
à Marcel Meyer :

Les Japonais furent, plus tôt que les Anglais et comparses de J. Amherst, confrontés au natif indien qui, dans cet archipel se trouvait être blanc et velu : le Aïnu, dont le territoire s'égrene dans les mille îles qui séparent Hokkaïdo du Kamchatka;

la race humaine, et l'ontologique problème de sa définition, de son périmètre définitionnel, surgit, là comme ailleurs, en l'espèce de ce visage et de ce nom : comment faut-il nommer cet être autre et ce semblable qui ne l'est toujours qu'incomplètement ?

La réponse vint très vite, donnée comme nomination de la chose et du problème qu'elle posait : l'humain autre se fit nommer par l'humain supérieur humain. Le Japonais, alors, interpellé par l'insemblable, toléra l'humain qui le mit en garde par l'arme de son humanité, le mit en joue de son nom qui signifie, Ainü : je suis humain

Le Japonais, confronté à l'humanité autant qu'à l'inhumanité, retint son bras, et épargna l'Aïnu de la fin automatique par la lame:

L'humain (aïnu): アイヌ

[ja.m.wikipedia.org]#


Des mille îles inhumaines qui courent et s'égrènent du nord du Japon au Kamchatka:

[ja.m.wikipedia.org]

Dans ces îles, les Aïnu (les n'umains) optèrent pour la Chrétienté russe, orthodoxe, en rejetant le bouddhisme proposé par les Japonais, pourtant bons princes dans le domaine religieux.
La question du discours génocidaire, du logos souteneur du massacre, se pose avec acuité, sans réponse convaincante.

Des ami(e)s japonais(e)s m'ont aidé ce soir à y voir un peu plus clair, y compris dans l'épineux problème de la nécessité d'un discours accompagnateur des exterminations.

D'abord pourquoi, en Orient, au Japon en particulier mais aussi bien, et plus tard, au Cambodge, les massacres, les meurtres politiques de masse ne s'accompagnèrent point de discours de renforcement et d'auto-persuasion? Pourquoi Adolph Hitler se sentit-il obligé de discourir publiquement sur la nécessité du bien-fondé de ses campagnes, de ses offensives, de ses décisions quand il était seul maître à bord de son camp et de son pays, quand il disposait des armées les plus puissantes du monde, des meilleurs équipements militaires, des soldats les plus valeureux du monde moderne. Que ne s'est-il tu ? Qu'est-ce donc qui le poussait à parler, à s'exprimer publiquement, à argumenter dans le vide et l'éther, sans opposition concevable ?

Quel besoin tenaillait ce tout puissant de s'auto-convaincre ?

Hirohito, au Japon, ne parla point, ne fit jamais de discours d'"auto-renforcement" pavlovien de la puissance de son camp. Et les chefs de la soldatesque japonaise, qui ne consultaient Hirohito que pour la forme, itou : le terrible Tojo ne s'exprima jamais ni sur les ondes, ni bien sûr sur la place publique.

[ja.m.wikipedia.org]

Quelle était donc cette faille, cette plaie du besoin de discours accompagnateur de la Puissance ? C'est que l'homme occidental ne sait massacrer sans discourir. C'est terrible à dire mais c'est ainsi : la race qui ne sait s'imposer sans palabre est une race faible, aux prises avec la faille et le très gros problème de l'auto-persuasion. Il lui faut, pour vaincre, d'abord s'auto-(con)vaincre.

Il lui faut s'auto-convaincre qu'il est ce qu'il est, ce qui est un boulot formidable qui précède et excède son agir. Jusqu'ici, celui-ci lui a plutôt réussi, car ses partenaires et adversaires, qui lui font face et en sont encore à découvrir ce mode d'être, ce mode de conscience paradoxale, en sont encore sidérés, puis, très bientôt, viendra l'heure où la faiblesse qui sous-tend ce mécanisme leur apparaîtra. Il lui faudra alors, très vite, s'auto-interpréter autrement.
Je rappelais un peu plus haut que de nombreuses peuplades primitives se désignent elles-mêmes, et exclusivement elles-mêmes par le nom qui signifie aussi "être humain". C'est le cas des Aïnous comme des Inuits, et d'autres, il n'y a là aucune réponse particulière au choc avec les Japonais. Lévi-Strauss le rappelle dans La Pensée sauvage :

On a dit, non sans raison, que les sociétés primitives fixent les frontières de l'humanité aux limites du groupe tribal, en dehors duquel ils ne perçoivent plus que des étrangers, c'est-à-dire des sous-hommes sales et grossiers, sinon même des non-hommes : bêtes dangereuses ou fantômes.

Il nuance ensuite ce constat en expliquant que les classifications totémiques font éclater cette fermeture du groupe sur lui-même. (Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, chapitre VI, Universalisation et particularisation).

Plus remarquable est le fait que les Japonais ont respecté cette appellation sans rajouter l'habituel 人 à leur nom, ni transcrire celui-ci en un idéogramme, se contentant du phonétique アイヌ
Les questions évoquées sont passionnantes. Le silence dont s'entoure le génocide dans certains cas, le discours qu'il génère dans l'autre, révèlent deux relations très différentes à la puissance. Savez-vous si l'état soviétique, pendant ses exterminations ethniques, se situait du côté asiatique, ou bien occidental ?
C'est la question que je me pose sur le Stalinisme. La réponse est probablement entre les deux, comme toujours avec ce pays. La rhétorique marxiste-léniniste justifiait le Goulag, bien sûr, mais les massacres d'Ukraine, les famines organisées, moins. Probablement parce que l'entreprise soviétique était à deux étages : révolution internationaliste d'une part (l'étage du dessus) et domination russe d'autre part sur les nations réticentes (étage inférieur), la partie discourante prenait en charge le premier étage tandis que les massacres de l'étage inférieur étaient tus. Mais ce n'est qu'une intuition.
Resterait à traiter la question de la honte et de la cachotterie. Les hitlériens avaient-ils honte de leur entreprise génocidaire ? ils sembleraient que oui. Ils la cachaient au monde, sans trop de précaution, comme le chat son déchet. Ailleurs dans le temps et dans l'espace (Amérique du Nord aux 18e et 19e siècle, Japon dans le milieu du 20e) la réponse paraît être non. Mais le cas des Khmers rouges, qui tuaient pour tuer, sans raison ni justification sérieuse, n'étaient ni fiers ni vergognieux de leurs actes : ils les justifiaient peu ou prou par des nécessités tant idéologiques que de contingence et les niaient au monde, opposant au monde le miroir réfléchissant de la propagande (le génocide n'était qu'une rumeur distillée par la propagande des impérialistes). Mais les Khmers rouges, même au moment fort de leur domination, lors de leur "libération" de Phnom Penh, ne connurent jamais la sécurité de la victoire, jamais leur victoire militaire ne fut définitivement acquise, à la différence du 3eme Reich qui avait fait signer des armistices en bonne due forme à ses ennemis. Le dictateur, alors, ayant tout pouvoir, ayant la victoire assurée "pour mille ans" disait-il, auraient pu se taire, la fermer pour de bon, comme un véritable Empereur. Aucune démocratie chez lui, aucun besoin de convaincre un électorat, d'unir un camp et pourtant la machine à discours auto-justificateurs continua son emballement.

La Shoah se donnait des justifications bizarres, pseudo-scientifiques, aberrantes, controuvées, quand il eut été tout à fait possible de déclarer tranquillement, sans que cela n'appelât le moindre commentaire critique ni la moindre réticence, et à peine un peu de gêne vite dissipée, qu'on "allait exterminer les Juifs pour se faire plaisir, parce que cela allait nous faire un bien fou", comme cela a pu arriver dans d'autres génocides que je ne nommerai pas. Eh bien non. Il fallait ratiociner, autant, au fond, pour se rassurer que pour s'auto-convaincre du bien que recèle le Mal.
Tout de même, cher Francis, on ne peut pas dire que les lâchers de puces infestées par la peste en 1942 et 1943, sur le territoire chinois, et les expérimentations de l'unité 731 aient bénéficié d'une large transparence. Il me semble qu'aujourd'hui encore, il ne fait pas bon en parler au Japon.

Il est vrai que lorsqu'il s'agit de ne pas perdre la face, on n'est plus dans la catégorie de la "cachotterie".

Quel lien faites-vous, à ce propos, entre la "honte" occidentale et le fait de "perdre la face" asiatique ?
17 décembre 2014, 05:14   Scheisserei
» La Shoah se donnait des justifications bizarres, pseudo-scientifiques, aberrantes, controuvées, quand il eut été tout à fait possible de déclarer tranquillement, sans que cela n'appelât le moindre commentaire critique ni la moindre réticence, et à peine un peu de gêne vite dissipée, qu'on "allait exterminer les Juifs pour se faire plaisir, parce que cela allait nous faire un bien fou"

Cela me rappelle cette discussion que nous eûmes, où j'avançais que le nazisme n'avait jamais été, à mon sens, particulièrement irrationnel :
« Mais en quoi le national-socialisme est-il particulièrement irrationnel ? Il s'appuie d'abord sur un fondement ultime qu'il répute historiquement irréfragable (le Volk), à partir de quoi il infère le plus rationnellement du monde sa ligne de conduite, axée exclusivement sur la préservation et la promotion de ses intérêts.
il n'y a rien de particulièrement irrationnel dans cette conception du monde, peut-être même au contraire, sont-ce des considérations d'ordre strictement morales, affectives ou sentimentales qui s'offusquent du déroulement inflexible des conclusions pratiques ainsi inférées : définition méticuleuse du Bien et de ses apanages, identification non moins pointilleuse des foyers du Mal pouvant le mettre en danger, mise en œuvre de la politique prophylactique idoine, tout en assurant l'aire de survie et d'expansion indispensables à la Nation-fétiche. »

Rien là, du point de vue de la cohérence, d'"aberrant" en soi, mais, comme dans nombre d'autres systèmes de pensée, il existe un présupposé tenu pour axiome, invérifiable en soi et évident (le Volk défini biologiquement), dont le bien-fondé n'a jamais eu besoin de justification ni à vrai dire de discours d'auto-persuasion, pour les acquis à la cause tout du moins : la seule chose qui pourrait être objet de discussion, c'est le choix des moyens les plus adéquats pour réaliser ces objectifs, mais là aussi, n'auront été retenus finalement que ceux qu sont apparemment les plus contraires à toute pensée un peu élaborée et ergoteuse : la rapidité de l’exécution, l'extrême brutalité et l'absence totale de scrupules.

Je ne pense pas non plus que la besogne de l'extermination fît aux nazis en général, ou à une partie au moins non négligeable d'entre eux, et la plus influente, "un bien fou", du moins pas au sens où vous l'entendez probablement, au contraire, c'était sale, pénible et répugnant, et l'exemple de la défécation, non seulement féline, l'illustre parfaitement : elle est aussi nécessaire que douteuse (sauf pour quelques pervers), et l'on se cache en général pour chier, les nazis ne faisant probablement pas exception à la règle. Il n'en demeure pas moins que l'excrément doit être dûment excrété.
Ce que je tenais à mettre en relief : la nécessaire pensée, ergoteuse, intelligente, qui doit, en Occident, accompagner l'acte horrible en l'enrobant de causalité ("les Juifs doivent être exterminés parce que ceci, parce que cela, parce qu'ils sont nuisibles et inférieurs, etc.") cependant que sous d'autres cieux ou en d'autres temps, la Puissance s'auto-suffit, se dispense du sel du discours qui en Occident la fonde et la refonde à l'infini.

C'est qu'en Occident c'est encore lui, le logos, il faut croire, qui fonde la Puissance originelle dans sa nudité.

Personne ne déclare jamais, en Europe ou en Amérique que "nous allons nous lancer dans une campagne génocidaire parce que nous le pouvons et que nous en éprouvons le désir", cependant qu'en Orient, en Afrique, cela arrive.

Enfin ce point me paraît fondamental : la hiérarchisation des groupes humains soutenue par un discours à prétention rationnelle n'est épistémologiquement envisageable que sur le socle de la reconnaissance implicite d'une humanité unique aux contours arrêtés, et il ne sera point besoin d'ergoter ni de hiérarchiser des sous-ensembles ou sous-catégories humaines à celui chez qui cette notion, l'humanité, n'est point nettement circonscrite.
La comparaison n'a pas de sens parce que les crimes de guerre commis par les Japonais, pour ignobles qu'ils aient pu être, n'ont jamais consisté en une entreprise d'extermination systématique d'une population.
Tout de même, cher Francis, on ne peut pas dire que les lâchers de puces infestées par la peste en 1942 et 1943, sur le territoire chinois, et les expérimentations de l'unité 731 aient bénéficié d'une large transparence. Il me semble qu'aujourd'hui encore, il ne fait pas bon en parler au Japon.

Plusieurs ordres de considérations annexes viennent parasiter la pureté de cet exemple. Les expérimentations en question étaient un secret militaire, et l'arme bactériologique devait être testée dans le secret, un peu comme fut secret le Projet Manhattan en Amérique peu de temps après.

Les puces infestées par la peste en 1942-43 : cet acte ne pouvait être ébruité un peu pour la même raison et aussi parce qu'il eût pu "donner des idées" à d'autres d'agir de même sur le Japon.

En outre, ceci : les populations japonaises redoutaient leurs propres militaires, qui faisaient régner sur elles un arbitraire politique et une tyrannie qui est restée assez peu commentée en Occident. Le "soutien populaire" dont jouissaient les armées japonaises at home ne fut pas exactement celui qu'on se figure généralement, et on peut conjecturer que l'Etat Major japonais n'avait pas besoin de se faire haïr et mépriser chez lui davantage qu'il ne l'était déjà. Bref, point de honte ni de gêne morale, simplement une précaution politique élémentaire.
Vraiment, il y en avait, des choses, dans les interventions de ce Camus...
Ci-après une discussion sur les génocides vietnamien et rwandais, qui comporte quelques allusions à la Shoah. C'est long, désolé, mais impossible de s'en tenir au lien vers l'article du monde.fr, qui, semble-t-il, a expiré.


Quels sont les ressorts psychiques, politiques et sociaux qui conduisent les hommes à devenir des tueurs de masse, qu’ils soient criminels de bureau ou tortionnaires de camp, grands ordonnateurs ou simples exécutants ? Comment comprendre le basculement dans la mécanique génocidaire, qui caractérise la barbarie nazie, la terreur hutu, le délire idéologique des Khmers rouges ?

Le Monde a invité le cinéaste Rithy Panh, le journaliste écrivain Jean Hatzfeld et l'historien et politologue Jacques Sémelin, à croiser leur réflexion sur la dynamique génocidaire.

Peut-on dresser un profil type des tueurs de masse, lors de génocides aussi différents que ceux commis par les nazis, les Hutu ou les Khmers rouges ?

Rithy Panh

On différencie trois types de bourreaux au Cambodge : ceux qui tuent de leurs propres mains, ceux qui délèguent et ceux qui instiguent. Les derniers sont souvent les plus pervers. A l’image de Douch, le directeur de la prison de Tuol Sleng et coresponsable du « santebal », la police politique, les instigateurs parlent plusieurs langues, maîtrisent parfaitement l’Histoire. Ce haut responsable khmer rouge a tout commandé, de la formation des bourreaux au processus d’effacement de toute trace d’humanité et d’histoire individuelle. Détruire le corps ne lui suffisait pas, il lui fallait détruire l’identité de ses victimes en leur faisant confesser des actes qu’ils n’avaient pas commis et auxquels, à force de torture, ils finissaient par croire.
Beaucoup ont également tué parce qu’ils croyaient aux mots simples et imagés utilisés dans les discours communistes. Ils comprenaient « détruire la bourgeoisie » dans un sens littéral et éliminaient effectivement les membres de la bourgeoisie. Je me suis rendu compte que créer un bourreau est bien plus facile que ce que l’on croit. Il suffit pour cela de donner le pouvoir et d’exercer la terreur simultanément sur un même individu. D’un côté vous lui donnez le pouvoir de vie et de mort, de l’autre vous l’écrasez et exigez de lui des résultats, et vous obtenez ainsi un redoutable assassin. Les têtes pensantes étaient, selon moi, les plus dangereuses, parce que les plus zélées.
Trente ans plus tard, on remarque que ce ne sont pas les moins éduqués qui ont le plus de mal à saisir les conséquences de leurs actes, mais les intellectuels. Ils n’arrivent pas à s’affranchir de quarante ans d’idéologie, ils se pensent toujours dans le cadre de l’exercice de la loi.

Jean Hatzfeld
Un instituteur rwandais disait que la culture ne rend pas l’homme meilleur, mais qu’elle le rend plus efficace. Penser que les gens cultivés auraient pu être des garde-fous est parfaitement faux, ils se sont comportés exactement comme les autres. Toutefois, sur les collines du Rwanda, les choses se sont déroulées différemment. Les bourreaux tuaient en bande. Ils ont d’ailleurs été assez inégaux dans l’intensité des massacres ; certains, très enthousiastes au début, se sont rapidement lassés, et d’autres ont épousé le schéma inverse. Les tueries étaient parfois accompagnées de pillage. Etait donc également en jeu un intérêt financier. C’était une sorte de rémunération, une récompense pour le travail accompli.
Ceux qui usaient beaucoup de la machette étaient prioritaires au moment des pillages. Mais il est difficile d’établir un profil type de tueurs. On dit souvent que les tueurs de masse sont des hommes ordinaires et ils l’étaient : c’étaient des agriculteurs, des commerçants qui n’avaient pas de passé extrémiste et n’avaient jamais été condamnés pour violence. Ce qui leur fait perdre ce statut d’hommes ordinaires, c’est leur attitude au cours des années qui ont suivi les massacres.

Quels sont les phénomènes qui président au déclenchement d’un génocide ? Quels sont les ressorts à l’œuvre dans cette fabrique du crime de masse ? Est-ce le contexte de guerre, l’endoctrinement, l’idéologie ?

Rithy Panh

Avant tout massacre, il y a une idée. Douch était un instituteur, professeur de mathématiques, licencié de littérature, féru de Marx, de Mao et Staline. Il a passé sa vie en prison, il avait manifesté contre la corruption, l’injustice et le mépris de la bourgeoisie intellectuelle citadine pour les classes populaires.
Douch se spécialise dans la tuerie en 1971. Entre 1971 et 1975, les Khmers rouges développent une méthode de torture, forgent une nouvelle langue ainsi qu’une formation destinés au génocide. Comment travailler la frustration, donner le pouvoir à ceux qui sont plus malléables et effacer l’Etat pour le remplacer par le parti ? En effet, qui dit Etat dit société civile, contre-pouvoir et désaccord politique. Mais, à partir de 1975, alors que le Cambodge n’est pas en guerre, le pays bascule dans le massacre et l’on tue au nom d’une idée, au nom de l’Angkar, c’est-à-dire de « l’organisation », du « Kampuchéa démocratique ».
Et, comme dans tout projet idéologique, il faut manipuler le langage puisque les mots sont le support des gestes. Les Khmers rouges ne parlent plus du peuple cambodgien mais du « nouveau peuple cambodgien ». Le parti est devenu l’Etat, la question de l’impunité ne se pose même plus puisque tous ces massacres se font dans le cadre de la loi.

Jean Hatzfeld

Il existe des analogies frappantes entre la Shoah et le génocide du Rwanda. D’abord, il y a l’avènement d’un dictateur qui déclare lors de sa première allocution publique que certains sont de trop dans la société. Ensuite des déclarations récurrentes s’insinuent dans les discours politiques mais aussi les pièces de théâtre, les blagues ou les jeux radiophoniques. Et, peu à peu, il y a un crescendo dans les violences physiques, dans le marquage, l’exclusion, la discrimination et l’exclusion de la population rejetée. Le sentiment d’immunité s’affirme. Et puis arrive la guerre. Sans le chaos qu’elle provoque, sans l’état de non-droit qu’elle installe, le crime de masse n’est pas possible.
Au Rwanda, on commence à tuer en 1959, en 1963, en 1973 et puis en 1982, avec chaque fois une immunité de plus en plus affirmée. C’est exactement ce qui s’est produit dans l’Allemagne des années 1930 : on commence par casser les vitrines des commerces juifs et puis, quand la guerre éclate, en 1939 en Allemagne et en 1992 au Rwanda, prendre la machette pour tuer son voisin devient possible. La guerre l’autorise. En temps de paix, des milices auraient pu se comporter comme ça, mais pas des agriculteurs. A la question : aurions-nous pu basculer dans le camp des bourreaux ? La réponse tient en une remarque : les grandes idées étaient contredites par l’expérience de la cohabitation avec les Tutsi et ceux chez qui cette contradiction permanente n’éveille pas la moindre remise en cause sont des bourreaux. Et les bourreaux ne sont pas exactement des hommes ordinaires.

Jacques Sémelin

Le passage à l’acte est parfois rapide mais il est pourtant préparé par des années de stigmatisation. Comment ce processus de destruction monte-t-il en puissance ? Je trouve cette citation de Tacite très éclairante : « Quelques-uns l’ont voulu, d’autres l’ont fait, tous l’ont laissé faire. » Or, l’exécuteur n’existe que parce qu’il y a derrière lui toute une chaîne de commandement au sommet de laquelle évoluent ceux qui pensent et organisent le génocide.
Certains ont fait des calculs stratégiques et politiques pour valider leur participation à l’organisation des massacres. Il s’agissait de conquérir le pouvoir en éliminant une partie de la population. Mais, cette vision rationnelle des choses ne permet pas de tout expliquer, quelque chose la dépasse qui relève d’un processus psychopathologique : une perception délirante de l’ennemi. Le massacre est avant tout un processus mental qui déforme les représentations de l’autre, au point qu’il devient possible de violer, de torturer ou de tuer. Les nazis ont eu une perception délirante et fantasmatique des juifs.
Dans la mécanique génocidaire, on est à la frontière de l’imaginaire et du réel. Et, dans des pays en crise, ces idéologies affirment que, si l’on se débarrassait de cette population, les choses iraient mieux. Les génocidaires induisent une polarisation « eux/nous » qui parle aux populations touchées par la crise. Or, ce contexte précède l’acte de tuer. Et lorsque cette idéologie accède au pouvoir, les mots préforment l’acte de tuer et de massacrer, car la population stigmatisée commence à ne plus appartenir à l’univers social. Et, dès que la guerre éclate, les hommes vont être capables de tuer au nom de la liberté ou de la patrie, en toute impunité.

Jean Hatzfeld

Les choses sont différentes au Rwanda parce qu’il y a deux ethnies, une histoire et beaucoup de fantasmes. Les Tutsi, peuple d’aristocrates, auraient opprimé les Hutu pendant leurs quatre cents ans de royauté. Ce qui est historiquement faux, mais qui prend néanmoins corps dans les fantasmes collectifs. Et parce que les Tutsi sont plus grands, moins noirs, ont les traits plus fins, sont plus arrogants, ils voudraient exploiter les Hutu, et profiter de la guerre qui se profile pour les asservir de nouveau.
Pourtant, depuis 1959, les Tutsi sont rentrés dans le rang et ont même disparu des sphères élevées de l’administration et de l’armée, conséquence des quotas mis en place. Perdure néanmoins ce fantasme sur l’ethnie. Les ethnies ne sont jamais un problème en période de croissance mais permettent la crispation en période de crise. Or, la guerre se profile, éclate et, avec le discours antitutsi toujours latent, les massacres commencent. Sont alors passés sous silence ces crimes, personne n’en parle ou alors de façon très concrète, en nombre de tués… A l’instant où les tueries commencent, le discours idéologique perd son importance, il n’a plus besoin d’être constamment justifié, il va de soi. Et la seule chose qui importe, c’est d’en finir le plus vite possible.

Dans quelle mesure la conformité au groupe de tueurs, la grégarité mimétique des individus en bande, la soumission à l’autorité favorisent-elles l’entrée dans la mécanique génocidaire ?

Jacques Sémelin

Le psychologue américain Stanley Milgram (1933-1984) s’est intéressé à ce phénomène, dans l’une de ses expériences de psychologie sociale destinées à étudier le fonctionnement dit « agentique ». Le chercheur prend un sujet ignorant tout de son expérience, qu’il place dans la peau d’un exécuteur à qui il enjoint d’envoyer des décharges électriques (fictives) à un autre sujet (qui est en réalité un comédien) si celui-ci ne répond pas correctement à la question posée par l’autorité scientifique. Plus cet « élève » se trompe, plus la décharge est importante, les cris effrayants. La question est de savoir à partir de quel moment l’individu va cesser de l’envoyer. Or, au moins 60 % des gens envoient des doses quasi-mortelles.
A partir d’un moment, celui supposé envoyer les décharges demande à l’expérimentateur s’il prend toute la responsabilité de ce qui peut se passer. Ce dernier acquiesce et, à partir de ce moment-là, le sujet se concentre uniquement sur les manettes. Il va entrer dans un fonctionnement agentique et ça se vérifie sur le terrain : pendant les massacres, la question de la finalité n’est plus posée.

Jean Hatzfeld

Et ce phénomène est renforcé par le sentiment d’accomplir un travail en partant massacrer des gens. Au Rwanda, les journées des bourreaux ressemblaient à des journées aux champs, on partait le matin, on tuait et on revenait vers 15 heures. Et tous devaient prétendre participer aux massacres, au risque de recevoir une lourde punition. C’est en tout cas ce qu’ils pensaient : la première fois que vous désobéissiez, vous deviez vous acquitter d’une amende de 1 000 à 2 000 francs. Sachant qu’une bière valait à l’époque 300 francs, la punition était en fait très légère. Mais les bourreaux se sentaient néanmoins contraints de prendre part aux tueries. Et comme personne ne disait rien, le sentiment d’immunité allait crescendo : ni l’Eglise, ni les Burundais, ni les casques bleus ne s’interposaient. Or, le travail étant commencé, il fallait le finir, et plus vite on le terminerait, plus vite on serait débarrassé de cette situation et on n’aurait plus à parler de cette histoire.

Mais la dynamique de groupe et l’effet d’entraînement ne jouent-ils pas également un grand rôle dans les tueries ?

Jacques Sémelin

Bien sûr, la volonté de faire comme les autres est le facteur principal du passage à l’acte, selon l’historien américain Christopher Browning. Pour moi, l’individu n’est pas monstrueux en tant que tel, il le devient quand il est impliqué dans la dynamique monstrueuse d’un crime de masse. Or l’opérateur de cette métamorphose, c’est le groupe. C’est l’influence du groupe primaire de tueurs qui entraîne la population et engendre cette puissance destructrice.

Jean Hatzfeld

Un cultivateur rwandais a un jour dit : « Quand les tueries commencent, on se trouve moins gêné à manier la machette qu’à recevoir les moqueries et les gronderies des camarades. Dans ces situations, les railleries des collègues sont terribles à contrer. Si elles se répandent dans ton voisinage, elles sont du venin pour l’avenir. » Pour lui, les railleries sont plus difficiles à affronter que le sang sur la machette.

Rithy Panh

Au Cambodge, on retrouve cette idée du groupe dans la logique du parti. Tu n’es plus fils de ton père, mais fils du parti. Tout lien social ou familial disparaissait à la seconde où tu intégrais une unité d’élimination. On effaçait l’histoire du bourreau au même titre que celle de la victime, on le désintégrait. J’ai toujours pensé que la mauvaise conscience, celle qui vous dit que tuer est mal, était présente chez tout le monde. Mais quand vous faites le vide autour d’un individu et que vous l’intégrez à un groupe d’individus également vidés, ça peut aller très loin.

Les massacreurs ont-ils des états d’âme ? Se rendent-ils compte qu’il franchissent des frontières morales ?

Jacques Sémelin

On peut penser qu’à partir du moment où l’on a violé des femmes et éventré des gens, on entre dans un autre univers. Mais comment repasse-t-on véritablement de l’autre côté du miroir ? Certains parviennent à reprendre une vie normale après le conflit ? Ces gens sont une énigme. N’ont-ils pas franchi encore plus le Rubicon quand ils ont massacré des enfants ? De tels actes sont très perturbants psychologiquement, individuellement et sur le plan collectif. Tout comme l’attaque de la filiation, du voisinage, surtout au Rwanda, où il y a eu une explosion du noyau familial.

Jean Hatzfeld

C’est comme si l’on considérait que les enfants étaient hors de la société, ce qui est parfaitement absurde dans une logique génocidaire. Je dois dire que j’ai plutôt été frappé par l’observation contraire chez les bourreaux des collines du Rwanda. Dans une guerre « classique », on constate toujours que ceux qui ont été au front conservent des stigmates de leur passage. La guerre a changé leur comportement. En rentrant, certains deviennent alcooliques, d’autres misanthropes, extrémistes ou pacifistes. Mais presque tous deviennent quelqu’un d’autre en revenant. Ce qui n’est pas du tout le cas des tueurs à la machette que j’ai fréquentés au Rwanda. Ils ne sont marqués par rien, et si parfois ils font un effort pour se rendre humains et disent qu’ils regrettent, la seule chose qu’ils regrettent c’est d’avoir causé du tort à leur famille en allant en prison où en ayant perdu leur commerce. Ils n’ont aucun mot pour les victimes. Je suis étonné par ce blocage psychologique et leur incapacité à reconnaître l’atrocité de ce qu’ils ont fait. Ils se considèrent comme des victimes d’une machine idéologique.

Jacques Sémelin

S’ils prenaient conscience de leurs actes, ils s’effondreraient psychiquement. Donc soit ils sont dans la négation, soit ils considèrent que leurs actions étaient nécessaires et dictées par la guerre.

Rithy Panh

Les bourreaux ne peuvent se considérer que comme des victimes, sinon ils se pendraient. Mais ce n’est pas pour autant que leurs actes ne les ont pas marqués dans leur chair. Ils sont parfois atteints de fièvre et d’épuisement, parce qu’ils ont conservé la mémoire des gestes. Pendant les massacres, ils ne se contentaient pas de tuer le père, ils s’en prenaient également au fils et à la femme.
L’Etat est très friand de réconciliation, qui constitue un apogée politique. On passe très vite du jugement à la réconciliation et ça blesse les victimes quand cette transition n’est pas accompagnée de mots et de paroles écrites. Beaucoup de bourreaux se sont tournés vers la religion, pour obtenir la rédemption sans avoir à s’investir dans la société. C’est plus facile pour eux que pour les victimes. Comme on part de la pensée, il faut s’en sortir par la pensée. Mais les victimes supportent bien plus longtemps la souffrance des massacres.

Pourquoi ceux qui tuent en masse et se livrent au génocide d’une population s’adonnent-ils à des violences particulièrement cruelles, comme la torture ou le viol ? Tuer ne leur suffit pas ?

Jacques Sémelin

L’un des plus beaux textes de Primo Levi parle de cette violence inutile. Puisqu’il s’agit de les tuer tous, pourquoi les faire souffrir, en effet ? C’est la question la plus dérangeante des sciences sociales. Question à laquelle on peut apporter une multiplicité de réponses. Il fallait rassembler les juifs en troupeaux pour qu’ils perdent toute individualité et que les bourreaux perçoivent des masses et non des êtres humains.
En dépit de l’idéologie et des ordres, ces gens qu’il faut tuer ont encore terriblement face humaine. Dès lors, est-ce que le crime de proximité ne revient pas à défigurer sa victime pour qu’elle n’ait plus rien d’humain ? Il se pourrait que le bourreau la déshumanise afin de ne pas avoir l’impression de s’attaquer à l’humanité.

Jean Hatzfeld

Au Rwanda, les bourreaux étaient souvent bien plus cruels avec les victimes qu’ils connaissaient. C’est comme si le fait de connaître leur bourreau octroyait aux victimes le droit d’exiger d’eux une mort rapide. Or les bourreaux ne pouvaient pas l’accepter. Et comme on ne peut pas tuer quelqu’un qui vous parle, ils se montraient bien plus atroces avec ceux qui priaient. Cela décuplait leur rage parce que ces gestes religieux les ramenaient à la chrétienté, à quelque chose de connu. On tue plus facilement ce qui rampe. Dès qu’il y avait une demande, même implicite, un simple regard, ça exacerbait leur cruauté. Tout ce qui faisait déraper la mécanique les perturbait, ils craignaient l’humanité.

Comment éviter que de telles atrocités se reproduisent ?

Jacques Sémelin

On a déjà dit : « Plus jamais ça », et ça a quand même recommencé… Mais quand on travaille sur ces questions, on se doit d’interroger cette problématique de la prévention. Parce que je suis pessimiste ou réaliste, je ne pense pas qu’on puisse un jour éradiquer des modes de pensée qui consistent à accuser l’autre d’être responsable d’une situation de crise. Il y aura toujours des boucs émissaires. Dès lors, il y a deux réponses : la première est à chercher du côté du mouvement social de lutte contre ces idées, de l’éducation et de l’action sociale, voire politique ; l’autre réponse est du côté de l’Etat. L’Etat démocratique doit fixer les limites, et les sociétés dont nous avons parlé sont des sociétés où l’Etat a légitimé ces discours de haine. On préfigure le crime de masse à travers des mots, la situation devient grave quand ces idées s’incarnent dans des institutions. Le verrou c’est l’Etat. C’est par lui que l’on peut juguler le développement de ces idéologies.

Jean Hatzfeld

En effet, chaque fois qu’il y a un Etat, il y a des limites. C’est lorsque l’Etat est en voie d’éclatement que peut se produire un génocide. Un Etat bien constitué et serein sur cette question ne se pose même pas la question. Je pense qu’il n’y aurait pas eu de génocide tutsi ou juif s’il n’y avait pas eu la guerre. L’idée d’extermination est encore plus mystérieuse que celle de la conquête, de la domination ou de la guerre. Je vais conclure sur une citation d’une jeune agricultrice : « S’il y a eu un génocide, il peut y en avoir un autre, puisque la cause est toujours là et qu’on ne la connaît pas. »
L'échange sur la question du sort des enfants a constitué, pour moi, et en dépit de sa brièveté, un début de réponse (je pense au propos d'Hatzfeld). La perpétration actuelle de massacres, de masse (en Syrie) ou sporadiques (RDC, Soudan et Soudan du Sud, Moyen-Orient, Pakistan, Afghanistan), d'enfants n'est pas analysée, elle ne fait pas l'objet d'un traitement spécifique. Les milices Janjaweed ont pratiqué l'assassinat à grande échelle d'enfants darfouriens, qu'ils brûlaient vifs. Les documents onusiens recensent ces actes sans se risquer à la moindre analyse. En-dehors de cette documentation essentiellement factuelle, je ne trouve pas de "bonnes" réflexions ou d’œuvres d'art sur les massacres de ces enfants dans des situations qui, pourtant, sont examinées ou décrites chaque mois par le Conseil de sécurité et des centaines d'agences de l'ONU, d'ONG et d'organes de presse. Claude Lanzmann demandait de se représenter 300 adolescents à qui un kapo donnait un quart d'heure pour lui dire comment ils préféraient être tués. A cette eau glacée dans laquelle nous précipite sans ménagement Lanzmann, Hatzfeld substitue ce qu'il nomme "perplexité", un état qui permet au moi de rester saisi de cet effroi sans perdre l'équilibre.
Depuis la découverte de l'ampleur du goulag et le livre de Furet, beaucoup ont renvoyé dos à dos nazisme et communisme et même considéré que, dans un sens , le communisme avait été pire parcequ'il avait voulu donner à ses crimes une justification généreuse, humaniste, valable pour tous les peuples, du genre " la fin de l'exploitation de l'homme par l'homme" ou "à chacun selon ses besoins". Les nazis n'avaient pas eu cette hypocrisie : ils entendaient tuer les juifs parcequ'ils les haïssaient et qu'ils les suspectaient d'être nuisibles à la nation allemande. Point final. C'est ce qui faisait dire à quelqu'un comme Revel : le communisme c'est l'imposture ajoutée au crime.
19 décembre 2014, 08:21   L'enfer c'est le collectif
» Enfin ce point me paraît fondamental : la hiérarchisation des groupes humains soutenue par un discours à prétention rationnelle n'est épistémologiquement envisageable que sur le socle de la reconnaissance implicite d'une humanité unique aux contours arrêtés, et il ne sera point besoin d'ergoter ni de hiérarchiser des sous-ensembles ou sous-catégories humaines à celui chez qui cette notion, l'humanité, n'est point nettement circonscrite

Soit, Francis, mais le fait est que l'absence "d'une reconnaissance d'une humanité unique aux contours arrêtés", comme vous dites, est une chose difficilement figurable alors que le concept de "genre humain" semble bien présent et est spécifiquement désigné par un idéogramme : cela signifie que tel homme particulier (un Européen, un Chinois) peut bien être subsumé sous le concept plus général d'"humain", et que nul coupeur de têtes ne prendra un Anglais ou un Aussie pour un lézard albinos, et soit dit en passant, un tel concept n'est jamais, pratiquement par définition, "à contours arrêtés", en extension s'entend, mais est au contraire intrinsèquement indéfini : un quantificateur universel ne peut se donner par avance le nombre précis d’individus qu'il désigne (curieusement, du reste, ce 人 ressemble au quantificateur universel logique, mais inversé, le ∀, qui est lui-même le A inversé de alle).
Disposant donc incontestablement des outils rationnels et linguistiques pour opérer la subsomption de l'homme particulier sous l'humain générique (d'autant, comme vous savez bien, que les Japonais sont de sacrés QIistes !), manqueraient-ils d'autre part d'"humanité", non plus "intellectuelle" cette fois, mais affective ?
Souffriraient-ils d'une lacune de certaines facultés empathiques et sympathiques, qui sont probablement à l'origine de la constitution du "sentiment moral", ou du moins, ces facultés sont-elles dans certaines conditions plus facilement oblitérées chez eux que chez l'Occidental ?

Qui dit meurtres de masse implique une masse de perpétrateurs : il m’a toujours semblé qu’y soit nécessaire une "collectivisation" plus facile des esprits, une dépersonnalisation de l’individu lui faisant temporairement abdiquer les tendances presque "naturelles" d’empathie et d’identification à autrui et à sa souffrance, au profit de la dynamique de groupe et de l’ukase collectif réalisant une véritable dépossession de l’âme singulière pour un comportement type de masse, qui est en principe totalement imperméable à l’objection de conscience et ses scrupules moraux.
Dans cette optique, les peuples qui seraient culturellement les plus enclins au grégarisme, à l'obéissance et la discipline collective, à la soumission inconditionnelle à l'autorité publique, bref, les plus "civils", en un sens, seraient-ils aussi ceux qui succomberaient le plus dangereusement aux dérives les plus inhumaines, voire génocidaires ? Japonais et Allemands en sont peut-être un assez bon exemple, mais les Hutus, je ne sais pas...
Le livre de Robert Merle ,la mort est mon métier, présente un bon éclairage sur l'evolution d'un individu assez banal vers la barbarie.
En effet, Alain, il doit exister deux chemins qui, après avoir radicalement divergé, se rejoignent dans le meurtre de masse.

La discipline du civilisé, laquelle a pour fonction de brider l'empathie et tous les penchants naturels, dans la convention militaire agit d'abord comme frein, aux moments où elle est mise en oeuvre pour assurer une maîtrise pacifique des pulsions destructrices, en éloignant la perspective ou le risque du meurtre de masse dionysiaque (du type génocide rwandais); mais comme vous semblez l'indiquer, se durcir l'âme sous le fer de la discipline peut conduire à insensibiliser le sujet, à éteindre en lui toute flamme d'humanité et le conduire un jour à jouer mécaniquement, de manière surdisciplinée, qui du katana à la chaîne qui de la vanne à Zyklon B.

Le meurtrier de masse "civilisé", suivant l'adage, se révèle alors, bien évidemment, supérieurement efficace au meurtrier sauvage dont le geste ne fut jamais soumis à discipline, canalisé par l'ordre.

Le meurtrier de masse organisé et obéissant, sur le banc des accusés, est généralement prompt à faire porter le blâme sur ses chefs. Au vrai, on aurait tort d'y voir de sa part un simple réflexe d'autodéfense et de survie : le maître des disciplines, le supérieur hiérarchique parce qu'il incarne la discipline est ainsi objectivement coupable à double titre : il donna les ordres de tuer et il est l'incarnation même de l'ordre disciplinaire à la source de l'efficacité meurtrière.

Il faut supposer, dans le cas des atrocités japonaises commises sur le sol chinois et indochinois, moins une inconscience native de l'humanité commune aux victimes et aux bourreaux qu'une insensibilisation de commande, induite par la discipline militaire qui apprend aux hommes à occire sans tressaillir comme à trépasser sans une plainte.

Mais en amont de cela, il faut aussi suspecter une indifférence native au fait humain, second au fait japonais ou plus exactement englobé par ce dernier dans l'esprit de ceux qui perpétrèrent ces crimes; et du reste, comme je l'ai évoqué, des entretiens, certains filmés, de ces hommes existent dans lesquels ils reconnaissent cette indifférence d'alors. L'un d'eux y affirme : "nous étions des bêtes".

Des "bêtes tuant d'autres bêtes", pourrait-on ajouter.
Je viens de lire Le suicide de la France, de Renaud Camus.
Celui-ci, dans son entretien au Bréviaire des patriotes, donnait ceci comme cause de l'existence de l'immigrationnisme : "[l'appât du gain] d’industriels et de financiers avides, eux, d’une main-d‘œuvre bon marché qui les rendent moins dépendants du travail indigène et permette de casser les prix. Plus récemment est apparu un appât électoral : celui de partis politiques avides de nouveaux électeurs".
Explication que je juge dérisoire et antidémocratique (je l'ai dit plus haut dans ce fil, le 29 novembre). J'ai lu aussi (je ne sais plus où), comme explication donnée par Renaud Camus à l'existence de la position qu'il combat, la propagande médiatique.
Autre explication dérisoire et antidémocratique.
Dans Le suicide, carrément, il n'y a aucune interrogation sur l'origine du fait que tout le monde ne pense pas comme Renaud Camus (et même : que presque personne ne pense comme lui) .

Le hasard a fait que je relisais récemment le texte de Raymon Aron sur la guerre d'Algérie, de mai 1957. Raymond Aron, résigné à l'indépendance algérienne, était largement aussi seul que Renaud Camus l'est. Mais il comprenait l'origine de la position adverse - il disait même partager les sentiments qui l'inspiraient - il écoutait les arguments adverses, et il y répondait méthodiquement.
C'est évidemment la seule position possible, quand on est minoritaire. (Dans ses Mémoires, il donne même la parole au meilleur de ses opposants, sans lui répondre, pour montrer comment il y avait des arguments contre la politique qu'il préconisait, et comment il y avait conflit de valeurs).
Tant que Renaud Camus continuera de combattre la position adverse sans admettre qu'il y a des motifs pour qu'elle soit adoptée par un relativement brave homme relativement intelligent, son discours sera très faible. Postuler qu'on est seul au milieu d'un monde de scélérats et d'imbéciles est un peu facile.
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