Voici comment l'auto-biographe narre la chose (C'est au moment où, après avoir été expulsé de France et vécu trois ans au Congo (de 1997 à 2000), il rentre en France et se range des voitures, renonce à ses activités délictueuses et cherche une voie pour mener une nouvelle vie dans la légalité) :
"Je me suis dit, je suis capable de faire des choses, de faire bouger les gens. J'ai vu qu'il y avait une possibilité avec les médias. J'ai commencé à me servir de mes relations, de mon réseau d'influence pour entrer dans le milieu de la télé, des journalistes. En observant, j'ai compris que le bordel créé par les mecs des quartiers représente une gigantesque pompe à fric. Les gens ne se rendent pas compte, mais ça permet aux journalistes et aux universitaires de faire un bouquin, à l'éditeur de le vendre, ça aide les politiciens pendant les élections et ça permet à la municipalité de récupérer de l'argent parce qu'on passe en zone sensible. Et les grands perdants dans cette histoire, ce sont les mecs qui sont en train de se casser la gueule parce que eux, ils ne comprennent pas ce qui se passe et ne touchent rien ou pas grand chose.
A partir du moment où j'ai compris cela, j'ai pu moi aussi gagner de l'argent sans plus avoir à foutre le bordel, à menacer, à affronter. Les journalistes n'arrivaient pas à entrer dans les Pyramides, dans les Tarterêts ni à la Grande Borne. J'avais fait quelques reportages avec Yumi Production ; nous avions tourné un film sur le bus 402. Je m'entendais bien avec des journalistes du
Républicain, de
Libération et du
Parisien. Je me suis rapproché des gens de France 2, France 3, qui avaient besoin d'entrer dans le quartier, pour faire leurs reportages. Je suis devenu pigiste, j'ai commencé à gagner de l'argent. Cela payait bien, même très bien. J'ai négocié mes contrats. Si je faisais trois ou quatre reportages dans le mois, je m'en sortais bien. Pour un reportage je gagnais entre six cent et mille euros. Les reportages passaient au 13 heurs et au 20 heures. [...] Après j'ai bossé à
Libération aux services généraux et pour France 2 avec un journaliste qui est ensuite passé à TF1. J'ai participé à des reportages sur les trafics de voiture, sur les filières pour retaper les voitures. J'aurais pu le faire tout seul. Tout ce qui me manquait, c'était un cameraman, une formation de journaliste. Le journalisme, c'est comme le bizness ; chacun pense à sa carrière. Les gens ne t'appellent que quand ils ont quelque chose à te demander."
Op. Cit.
De façon générale, il ressort, à la lecture de ce récit, qu'on ne saurait dire que ces "quartiers sensibles" sont peuplés de "branleurs qui ne foutent rien". Ce qui l'emporte de loin, c'est au contraire une activité incessante, fût-elle au service d'activités plus qu'illégales qui se changent, quand il s'agit de se ranger des voitures, en activités politiques, sociales, journalistiques (peut-être artistiques, mais il semble que ce soit plus rare). La nonchalance n'est pas au programme, plutôt une sorte de "struggle for life" permanent qui fait des "dirigeants" de bandes (organisées d'ailleurs en véritables "organigrammes" bien hiérarchisés), des hommes particulièrement "overbookés", appelés à régler toute sorte de questions, ratissant très large, menant leurs affaires avec un sens aigu de l'opportunisme et une appréciation fine de leur environnement, des "créneaux" du moment. Ils n'ont pas les traits des "classes dangereuses" de jadis, n'aspirent pas à la marginalité du crime ni à une quelconque remise en question de l'ordre social. Ils cherchent à devenir des notables, voilà tout.