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L'incréé vs la finitude

Envoyé par Francis Marche 
05 février 2015, 02:16   L'incréé vs la finitude
Je voudrais revenir sur cette réflexion d'Alain Eytan :

Justement, l’univers romanesque est créé, de toute pièce, pensé, concerté, repris, corrigé, mis en œuvre par le vecteur par excellence du sens, le langage, c'est pourquoi il est parfaitement cohérent et lisible, conçu par les mêmes facultés qui, le déchiffrant, rendent le texte intelligible, même s'il a été artificiellement et volontairement rendu inintelligible ; et si le roman crée un univers, l'univers apparaît comme parfaitement incréé, incohérent et chaotique au possible, péniblement assemblé en d'improbables "représentations" par une exigence éperdue de sens et de clarté : le réel, convenons-en, est un épouvantable chienlit, ou une trame parfaitement indéchiffrable.

Au fait, le Coran aussi, est incréé, c'est une autre caractéristique remarquable de cette religion : son texte fondateur se pose d'emblée, à l'exact opposé de la fiction, comme absolument réel.


La question de l'incréé bouscule celle de la temporalisation et de notre finitude humaine. Il faut se représenter que si l'islam considère que nous autres, qui ne sommes pas dans lui, qui ne sommes pas (encore) des convertis à cette foi, devons obéir à ses préceptes et interdits (p. ex. celui de ne pas représenter leur prophète alors même que nous ne nous sommes point assujettis à cette foi) c'est parce que la temporalisation -- en l'espèce le fait que notre conversion sur l'axe chronologique est non encore accomplie -- est écrasée par l'incréé qui voit nos conversion et appartenance à cette foi comme établies de toute éternité, jamais commencées, jamais à faire mais déjà là. L'islam estime que Jésus était déjà prophète de l'islam, qu'il n'en était pas conscient mais qu'il prophétisait le dévoilement d'une foi déjà présente car participant à un étant éternel et éternellement déjà là, d'avènement a-historial, et de même pour nous : nous ne nous tenons pas davantage que Jésus hors la règle de l'incréé à laquelle nous devons obéissance sans commencement ni fin. Notre conversion ne sera qu'une acceptation de ce qui est; en vérité, elle ne changera rien à notre devoir d'obéissance à la Loi incréée.

C'est une problématique très franchement métaphysique : la foi chrétienne pose l'historial. Elle autorise un Big Bang, une histoire, un déroulé, une eschatologie, une décadence, et elle s'articule sur le sentiment d'une finitude humaine ponctuée d'un Jugement dernier. Rien de cela avec l'Islam, qui ne pose aucune alliance fondatrice propre aux commencements. Rien n'est à commencer, ni à construire ou à édifier patiemment, tout ce qui est, soit l'éternité même, n'est qu'à reconnaître, et ce toujours tardivement, laquelle tardivité ouvre déjà la porte aux châtiments qui font cohorte à l'ultra-soumission.

L'a-historialité de l'islam est tentateur, il est ultra-moderne et s'accorde magnifiquement aux sociétés actuelles qui renient ou ignorent splendidement celles qui les ont précédées.

La foi chrétienne reconnaît le potentat, elle rend à César ce qui lui revient, elle remet son tribut à la durée des princes, elle connaît et reconnaît le caractère évolutif, temporalisable des puissances assujetties à la finitude. Cependant que l'islam, lui, ne reconnaît pas César, qui doit, pour faire un interlocuteur valable, d'abord reconnaître son erreur d'avoir cru devoir son ascension à sa naissance, à ses efforts, son génie militaire ou diplomatique, à sa force d'âme et à la bienveillance ou la grâce divines qui protégèrent ses pas, etc. alors qu'il ne doit tout ce qu'il est et ce qu'il a fait qu'à la volonté du Dieu qui l'a placé où il est et où il aurait été placé quoi qu'il fasse, hors toute durée propre à sa nature de césar. Si nous sommes sans durée propre, très logiquement nous devons déjà obéissance à cela même qui d'exister nous dépouille et nous libère de nos durée et finitude, et ceux qui envisagent notre être de la sorte ne manquent pas de cohérence lorsqu'ils s'indignent que nous n'obéissions pas aux règles de leur foi et de leur loi qui nous surplombent, et qui se trouvent niées par notre sommeil et notre réticence à ne point participer au règne de l'Eternel -- non point règne du Père éternel des chrétiens qui appelle à être rejoint par un cheminement long et semé d'embûches mais l'éternel halal du Frère éternel, tout déjà-là et qu'il suffit de reconnaître pour en étendre le domaine.

Il est possible que l'affrontement avec l'islam prenne à plus ou moins brève échéance un tour militaire organisé et frontal (à la différence de la guerre oblique dans laquelle l'Occident est engagé contre lui aujourd'hui), il n'empêche : la confrontation, sous-jacente à tout éventuel conflit armée, demeure d'essence métaphysique et théologique.
05 février 2015, 14:33   Re : L'incréé vs la finitude
Citation
Francis Marche
le texte [le Coran] fondateur se pose d'emblée, à l'exact opposé de la fiction, comme absolument réel.

Un livre absolument réel, autrement dit un conte, composant un univers à part entière, mais en dehors de la réalité.

C'est, me semble-t-il, le cas de tout ouvrage qui n'a pas vocation à être lu.
Nombreux sont les livres conçus par et pour les conteurs (l'iliade et l'odyssé, Don Quichotte, ...).

Faisons l'hypothèse d'un moine, chrétien, arianiste, érudit, parlant l'araméen, le latin, les patois arabes, et vivant au Yemen (au hasard, 570 ap JC). Il croise les nomades du désert et souhaite leur révéler l'ancien et le nouveau Testament. Que peut-il faire? Ceux-ci ne savent pas lire. Il n'y a pas d'église, de toute façon, ils sont nomades. Alors, que reste-t-il ? Il reste les veillées au cours desquelles le moine pourrra conter à son auditoire chaque enseignement et chaque épisode qui ponctue la vie des ancien Testament et nouveau Testament.

Le texte devra être plaisant, sans faille, parfait car on ne tient pas un auditoire en halène si l'histoire n'est pas sans faille. Par ailleurs, le moine s'exprimera dans la langue indigène, celle que les nomades ont l'habitude d'entendre. Il aura donc à coeur de transcrire son texte dans leur patois et dans leur imaginaire; et pour ce faire, il lui faudra préparer des textes courts qui seront comme autant de pense-bêtes, un mélange d'araméen, de latin, de patois local, bref une belle 'sourate' sabir et sans faille.

Notre moine chrétien, arianiste, écrit donc en araméen (de droite à gauche) et comme le texte original est dense et que son style est efficace, l'écriture carrée devient progressivement plus ronde.
Bref, il invente l'écriture arabe en même temps qu'il invente le Coran.
Il invente une histoire racontée, qui sera enrichie par d'autres intervenants (plus belliqueux) , dans une écriture nouvelle, dans un nouveau patois sur le point de faire 'langue'. Il y a donc double création, l'écriture ainsi que le texte.
Le texte est incréé mais c'est dans la génèse de l'écriture arabe que se trouve l'explication.

Le Coran est incréé, car l'invention du livre et de l'écriture arabe sont concomitantes.
 
09 février 2015, 09:26   Amor fati
» C'est une problématique très franchement métaphysique : la foi chrétienne pose l'historial. Elle autorise un Big Bang, une histoire, un déroulé, une eschatologie, une décadence, et elle s'articule sur le sentiment d'une finitude humaine ponctuée d'un Jugement dernier. Rien de cela avec l'Islam, qui ne pose aucune alliance fondatrice propre aux commencements. Rien n'est à commencer, ni à construire ou à édifier patiemment, tout ce qui est, soit l'éternité même, n'est qu'à reconnaître


...et à advenir, scellé et arrêté avant même que d'être ; par quoi l'on renoue aussi avec certaines racines occidentales et la "situation tragique" : que ce qui doit être soit !
Pas étonnant que Nietzsche y ait à bien des égards trouvé son compte...
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