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Dans les deux dés, la substance du temps est strictement identique, inaltérée, et le couteau ou le fil qui aura découpé ces dés n’aura en rien entamé l’immuabilité et l’homogénéité de la pâte-substance : la disparité de ces deux dés de fromage vous représente celle de deux lots historiaux et n’influe en rien sur la nature de la substance temporelle qui n’est pas plus fluide, labile, ou visqueuse, ou « qui ne coule pas plus vite ou moins vite » dans l’un que dans l’autre dé
Ce n'est pas ce que postule la théorie de la relativité, que voulez-vous, mais libre à vous de ne pas être d'accord en n'incluant pas les trous de la pâte à fromage dans le fromage ; il semble bien du reste que cette disparité dans l'écoulement du temps est vérifiée expérimentalement, en RR :
« Une vérification expérimentale a été menée en 1960 par les physiciens Robert Pound (en) et Glen Rebka (en) en accélérant des atomes par augmentation de la chaleur (les atomes restent sur place car ce sont les atomes d'un cristal radioactif vibrant autour de leur position d'équilibre par agitation thermique), ce qui a donné une diminution de la fréquence des rayons gamma émis (ce qui signifie un ralentissement du temps propre des atomes par rapport à celui des atomes non accélérés), les mesures étant en accord avec les prévisions avec 10% de marge d'erreur.
On a observé que les particules instables se désintègrent plus lentement du point de vue de l'observateur lorsqu'elles se meuvent à grande vitesse par rapport à celui-ci, notamment dans les accélérateurs de particules.
Cet effet est également observé pour les muons atmosphériques produits par la collision des rayons cosmiques (particules très énergétiques en provenance de l'espace cosmique) et les molécules de l'atmosphère. Ces muons, animés d'une vitesse proche de celle de la lumière, atteignent le sol où ils sont observés et ce malgré leur courte durée de vie propre, la dilatation du temps leur donnant le temps nécessaire pour atteindre les détecteurs.
Un autre cas observé de dilatation temporelle est le décalage entre horloges atomiques au sol et en vol ; mais il se complique dans ce dernier cas de considérations gravitationnelles de sorte que le cadre de la relativité restreinte est insuffisant et qu'on doit considérer les effets de Relativité générale. Incidemment l'expérience réelle d'horloges atomiques embarquées en avion est une version réalisable, et souvent réalisée, de l'expérience des jumeaux, laquelle exploite l'effet de ralentissement des horloges en mouvement.
Signalons également que l'on observe aussi une dilatation du temps lorsqu'on mesure la durée de l'évolution de la luminosité des supernovas lointaines, mais que ce dernier effet est dû à l'expansion de l'Univers. »
En RG :
« En 1977, une expérience embarquant des horloges atomiques dans une fusée a confirmé les prévisions théoriques avec une précision de 0,01 %. En 1959, Robert Pound (en) et Glen Rebka (en) ont pu vérifier expérimentalement que la différence d'altitude de 22,6 mètres d'une tour de l'université Harvard donnait une différence de fréquence de la lumière conforme aux prévisions de la relativité générale (expérience de Pound-Rebka mettant en évidence le décalage d'Einstein). En 2009, une équipe de physiciens a mesuré avec une précision 10 000 fois supérieure à la précédente expérience (Gravity Probe A (en)) cette dilatation du temps sans déceler de différence avec les prédictions de la relativité générale. »
Pour Thibault Damour, relativiste conséquent, c'est également un point acquis :
« Sur quoi Einstein s’est il fondé pour conclure que, je cite, « le temps subjectif avec son « maintenant » ne doit avoir aucune signification objective » ?
Il s’est fondé sur une conséquence observable de la relativité qui a été amplement vérifiée par l’expérience (cette conséquence joue d’ailleurs un rôle important dans les systèmes modernes de localisation comme le système GPS qui ne fonctionne que parce que l’on a inclus la théorie de la relativité dans son logiciel). Si l’on considère deux jumeaux dont l’un (figuré par la ligne verticale marron) reste sur Terre alors que l’autre (figuré par la ligne brisée verte) s’éloigne à grande vitesse avant de revenir sur Terre, le jumeau voyageur sera plus jeune que son frère quand il le retrouvera au point C. (C’est cette conséquence centrale de la relativité que Bergson n’a jamais voulu accepter, car elle faisait trop violence à son intuition de la durée.) »
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La sensation du temps vécu demeure illusoire – votre identité, votre iris, votre groupe sanguin ne varient point et dans le vieillard qui devient, demeurent les angoisses et les rêves et les penchants du petit enfant, et dans le petit enfant, guettait le vieillard ou le turbulent adulte qui mourra prématurément d'un accident de santé ou de maladresse
Écoutez, Francis, la "sensation du temps vécu", je le répète, est l'expérience humaine fondamentale, concrète et jamais démentie relative à l'impossibilité de se reporter en arrière de la flèche du temps, dans le passé, pour ce qui concerne le déroulement de notre existence.
Impossibilité, vous dis-je ! C'est "illusoire", cela ? Comment cela, illusoire, vous plaisantez ??
Impossibilité : nous retrouvons en quelque sorte le point de départ d'où était partie notre discussion, comme je prenais le contre-pied de la "possibilité" de Heidegger.
Je n'ai rien à redire à ce que je vous avais écrit naguère, qui me semble toujours, plus que jamais, indubitable, complètement évident, écrasant.
« Si l'on accepte de rester borné par l'expérience, seul critère un peu solide et garde-fou de certaine utilité dans la démarche intellectuelle, alors le temps n'est pas caractérisé par la possibilité, c'est-à-dire l'à-venir, comme c'est le cas chez H., mais bien par l'impossibilité pure et simple, avérée, patente, de rendre présent (c'est-à-dire accessible par les sens) ce qui est en-allé comme passé, et n'est retenu et enregistré comme tel que par le fil de la mémoire : le temps se donne à vivre comme expérience fondamentale d'une impossibilité, d'un départ irrattrapable entre les états successifs du monde donnés comme présent (qui n'est pas un présent statique mais continuellement mouvant) formant à présent le passé, et ce présent. Ce que nous appelons communément le "temps" est l'effet sur nous de cette disparition perpétuelle, et proprement stupéfiante, des divers états du réel dont nous avons été témoins, et je m'en tiens à cela, étant dans l'incapacité totale de dépasser cette limitation et de me porter hors de cette incompréhension-là, pour trouver une sorte d'instance première, récapitulative et unitaire qui donnerait la clé de cette étonnante dérobade constitutive. »