Je trouve que ça fait quand même très "univers bloc", ce que vous déplorez là, Francis, comme une espèce de flan étantique très condensé et pressuré où tout part dans tous les sens et plus rien n'est respecté, dans un décloisonnement alarmant des lieux, des temps, des consciences...
Mine de rien, vous mettez le doigt sur une contradiction qui, si elle est mienne, n'en est pas moins exceptionnellement française, un étirement vingtiémiste français : Paris fut l'unique capitale intellectuelle de l'Europe a être touchée
simultanément (la deuxième moitié des années 20 du vingtième siècle) par
Sein und Zeit et la
Revue Nègre, soit la musique de jazz, syncopée qui proposait une joyeuse désagrégation du temps conscient. Ni Heidelberg, ni Vienne, ni Copenhague ou Rome ne furent ainsi touchés dans un même moment par ces deux bouleversements, ces deux flux : celui de la pensée venu par l'est, et celui des sens venu d'outre-Atlantique.
Ce phénomène exceptionnel (une conjonction de bouleversements en un lieu unique, Paris) féconda une bonne partie de ce qui se vit aujourd'hui en France comme engouement pour le métissage des genres et des univers esthétiques, notamment chez les jeunes idiots qui se massent à l'ENS de la rue d'Ulm pour les "master class" que l'on nous présente ce jour. Ce que la mode,
Paris Match, dans les années 50 et 60 appela "la jeunesse existentialiste" est la progéniture de cette conjonction. Et pépé Sartre, qui fut jeune homme dans ce moment (la deuxième moitié des années 20), et sa compagne, furent naturellement, historiquement, pape et papesse de la chose originale que l'on voit ce jour se perpétuer sous nos regards ébahis. Et du coup les petits merdeux masochistes qui vont se gaver les yeux et les oreilles de rap et de slam à l'ENS s'inscrivent bien dans une tradition, courte mais réelle, centenaire, très fortement parisienne et d'origine très précisément datable.
Le concept d'univers-bloc gît ailleurs : il se propose à la pensée comme condition de toutes libertés; ne part de rien, ne va vers rien, n'enferme ni n'enferre point dans la temporalisation; le présent, non plus que le futur n'y sont assujettis au passé, lui-même réformable, remodelable, enfanté par l'édifice auquel il est partie, dont il est une part non plus fondamentale ni maîtresse que toute part présente et en devenir. Le temps désorienté y est ainsi dégagé, libéré de sa flèche. L'univers-bloc devrait être pensé comme champ d'une liberté, d'une émancipation absolument inédites: il faut, pour en saisir la dimension, à chaque fois qu'il est évoqué
se ré-entraîner l'esprit à le penser.