Le site du parti de l'In-nocence

Je vous en prie, réveillez-moi !

Envoyé par Francis Marche 
[etudiant.lefigaro.fr]

à l'époque où Sartre et Nizan étudiaient à la rue d'Ulm, Joséphine Baker drainait le Tout Paris à sa Revue Nègre, mais enfin, ils ne l'invitaient pas à l'ENS pour y donner des master class... à Paris, il y avait alors le cabaret, et, tout à fait séparément, il y avait à l'ENS, des jeunes gens qui, rentrés du cabaret, potassaient Sein und Zeit en oubliant le cabaret.

Les cloisons ont sauté. Et si l'ensauvagement, c'était ça et rien que ça : la fonte des cloisons et la liquéfaction entropique de tout dans le grand pastis universel et uniforme où plus rien n'existe, plus aucun lieu plus aucune tranche de temps isolable de toutes les autres. On n'échappe pas au rap et à toute cette ordure bavasseuse et prétentieuse qui éructe et tance son auditoire masochiste à coup de rimes d'enfants de cinq ans, où qu'on aille. Je suis sûr qu'à cette heure il est déjà dans les églises.
13 mars 2015, 19:03   Pinçons Francis
Je trouve que ça fait quand même très "univers bloc", ce que vous déplorez là, Francis, comme une espèce de flan étantique très condensé et pressuré où tout part dans tous les sens et plus rien n'est respecté, dans un décloisonnement alarmant des lieux, des temps, des consciences...
Avec le vivre-ensemble, pardon, le "mieux vivre-ensemble" (dixit une nouvelle directive sur laquelle, pauvre de moi, je suis récemment tombé), que, contraints et forcés, nous allons bientôt subir via l'orwellienne politique de peuplement que nous concocte Valls, les choses ne devraient pas s'arranger. Car, comme l'a rappelé il y a peu Finkielkraut (qui invoquait ce soir-là Lévi-strauss), le vivre-ensemble c'est le bruit infligé à autrui, cad le premier et le pire des dérangements, le plus antisocial, comme dirait quelqu'un, le plus nocent.

Voyons ce que disait Steiner de ces sortes de plaies dont nous parlons ici:

"Il est facile de s'asseoir ici, dans cette maison, et de dire : "Le racisme, c'est horrible, non ? " Mais posez -moi même la même question si je devais vivre dans une maison voisine d'une famille jamaïcaine de six enfants qui écoute du reggae et du rock'and'roll toute la journée ! Posez-moi la même question si un expert immobilier venait m'apprendre que la valeur de ma maison s'était effondrée depuis qu'une famille jamaïcaine avait emménagé à côté ! Demandez-moi la même chose à ce moment-là ! "
Là, vous avez bien raison : le bruit infligé est une des choses les plus pénibles. Je veux dire le bruit infligé intentionnellement ou avec sans-gêne, pas le bruit normal.

Je prends un exemple : tout le monde sait qu'un bébé peut pleurer très fort et qu'il est très difficile pour sa mère de le calmer. Un bébé qui pleure au milieu de la nuit cela dérange mais c'est une chose normale, involontaire et on ne peut pas raisonnablement en vouloir aux parents et on doit accepter ça de bonne grâce. Par contre des jeunes qui écouteraient nuitamment des mélopées orientales même bien moins fort feraient à mon avis un bruit intolérable.
D'ailleurs un bruit "normal" est bien moins gênant qu'un bruit intentionnel à intensité égale.
Jugez-vous "normal" le boucan infernal et lancinant de toutes ces saloperies d'espèces de camions qui nettoient les rues à partir de 5 heures du matin, tous les matins ?

Il est absolument impossible de faire la moindre remarque concernant le bruit émis par quiconque si l'on songe un seul instant au bruit "normal" qui règne sans un seul instant de répit dans n'importe quelle ville.
Je trouve que ça fait quand même très "univers bloc", ce que vous déplorez là, Francis, comme une espèce de flan étantique très condensé et pressuré où tout part dans tous les sens et plus rien n'est respecté, dans un décloisonnement alarmant des lieux, des temps, des consciences...

Mine de rien, vous mettez le doigt sur une contradiction qui, si elle est mienne, n'en est pas moins exceptionnellement française, un étirement vingtiémiste français : Paris fut l'unique capitale intellectuelle de l'Europe a être touchée simultanément (la deuxième moitié des années 20 du vingtième siècle) par Sein und Zeit et la Revue Nègre, soit la musique de jazz, syncopée qui proposait une joyeuse désagrégation du temps conscient. Ni Heidelberg, ni Vienne, ni Copenhague ou Rome ne furent ainsi touchés dans un même moment par ces deux bouleversements, ces deux flux : celui de la pensée venu par l'est, et celui des sens venu d'outre-Atlantique.

Ce phénomène exceptionnel (une conjonction de bouleversements en un lieu unique, Paris) féconda une bonne partie de ce qui se vit aujourd'hui en France comme engouement pour le métissage des genres et des univers esthétiques, notamment chez les jeunes idiots qui se massent à l'ENS de la rue d'Ulm pour les "master class" que l'on nous présente ce jour. Ce que la mode, Paris Match, dans les années 50 et 60 appela "la jeunesse existentialiste" est la progéniture de cette conjonction. Et pépé Sartre, qui fut jeune homme dans ce moment (la deuxième moitié des années 20), et sa compagne, furent naturellement, historiquement, pape et papesse de la chose originale que l'on voit ce jour se perpétuer sous nos regards ébahis. Et du coup les petits merdeux masochistes qui vont se gaver les yeux et les oreilles de rap et de slam à l'ENS s'inscrivent bien dans une tradition, courte mais réelle, centenaire, très fortement parisienne et d'origine très précisément datable.

Le concept d'univers-bloc gît ailleurs : il se propose à la pensée comme condition de toutes libertés; ne part de rien, ne va vers rien, n'enferme ni n'enferre point dans la temporalisation; le présent, non plus que le futur n'y sont assujettis au passé, lui-même réformable, remodelable, enfanté par l'édifice auquel il est partie, dont il est une part non plus fondamentale ni maîtresse que toute part présente et en devenir. Le temps désorienté y est ainsi dégagé, libéré de sa flèche. L'univers-bloc devrait être pensé comme champ d'une liberté, d'une émancipation absolument inédites: il faut, pour en saisir la dimension, à chaque fois qu'il est évoqué se ré-entraîner l'esprit à le penser.
Ca me semble bien tôt. Personnellement je n'ai jamais vu de nettoyage aussi tôt mais je veuf bien vous croire et si tôt c'est abusif. Par contre je me souviens qu'autrefois les villes commençaient à s'éveiller vers 6 heures, que vers 7 heures il y avait effectivement les bruits que vous dites mais cela ne gênait personne car tous étaient levés. Le soir le bruit à partir de 10 heures était très rare et très mal considéré.

C'est une chose assez moderne ces levers et couchers tardifs, je ne sais pourquoi.

Je persiste, cher Monsieur Rothomago, à faire une différence entre des bruits qui sont traditionnels (qui se serait plaint autrefois du bruit d'une menuiserie en habitant en ville ? elle n'était pas là par malice) et des bruits qui tiennent à l'absence de respect des voisins.
Je suis de l'avis de M. Changeur. L’intention nocente (ou la non-intention in-nocente) sont des facteurs très aggravants du dérangement subi. (Cf. a contrario le fameux “Rien à dire, c’est dans le code” barthésien).
Pour compléter cette idée de "Rien à dire, c'est dans le code", Monsieur Rothomago l'exemple des maisons situées près des voies ferrées. Il est notoire qu'autrefois leurs habitants n'entendaient pas les trains de nuit qui pourtant faisaient un fameux raffut. Cela parce que le train de nuit était à sa place de train de nuit.

Aussi frappant celui du climatiseur et de la chaussée.

Une chaussée sur une rivière fait un fameux vacarme mais autrefois personne ne s'en plaignait en fait on ne l'entendait pas, il faisait partie du paysage. Ce bruit ressemble à celui du climatiseur de votre voisin qui fait moitié moins de bruit mais qui est odieux parce qu'il vous dérange à son seul bénéfice.

L'effet d'un bruit dépend aussi du moment : autrefois des enfants faisant grand bruit à cinq heures du soir ne dérangeait personne car on comprenait que sortis de l'école ils aient besoin de jouer. Par contre il était inconcevable que le même bruit soit fait par des enfants à 9 heures l'été, les parents les auraient fait se calmer parce que ça ne se faisait pas.
Le degré de nuisance ou la définition de la nuisance commence où s'arrête l'amour. Cela peut surprendre mais c'est ainsi.

La vie d'expatrié, et l'observation des expatriés en terrain inconnu, très exotique, sont édifiantes à cet égard. A une époque où le monde n'était pas aussi uniforme qu'aujourd'hui, il y a une trentaine d'années, j'ai pu en faire l'observation. Il y avait ceux qui s'engouaient pour la Chine, qui y trouvaient tout merveilleux, la saleté des lieux publics y était jugée par eux pittoresque, bon enfant, la langue râpeuse (dans le Sud) enchanteresse, la nourriture, même la plus basse, délicieuse, et il y avait ceux qui, mal dans leur couple, rendus là de mauvais gré, trouvaient tout ça odieux, insupportable, en étaient malades, et finissaient par en partir du jour au lendemain.

J'ai connu des heures délicieuses, parmi les plus délicieuses de ma vie alors qu'un effroyable jack-hammer (marteau-pilon géant) à cinquante mètres de là, enfonçaient dans le sol des poutres de fer de quinze mètres en produisant un fracas de tous les enfers. J'étais amoureux. Et ma compagne et moi avions fini par trouver ce marteau-pilon charmant, incitatif, aimablement accompagnateur et imitateur de nos gestes et mouvements.

En clair, là où le "code d'acceptation" est inconnu, non assimilé (pays exotiques, environnement social et ethnique nouveau), c'est le "code amoureux" (le code passionnel) qui prend naturellement le relais et devient code d'acception ou de rejet de la nocence. C'est là un processus normal et sain, que nos dingues de l'anti-racisme hystérique et justicier entendent condamner et faire réprimer, tant par les tribunaux que par les "politiques de peuplement forcé" qu'a décidé d'imposer le premier ministre français actuel.

[message augmenté]
De l'application spontanée du "code passionnel d'acceptation" découlent de multiples stratégies des pouvoirs publics consistant à "faire aimer" la nocence que l'on ne peut commodément éliminer.

Vient à l'esprit à ce sujet le cas des corbeaux en milieu urbain au Japon. Toutes les grandes villes japonaises sont envahies de corbeaux qui nichent partout et se nourrissent de tout. Ces oiseaux ne sont pas spontanément attendrissants, comme certains trouvent les pigeons de Paris attendrissants, "parisiens", etc. Toutes les tentatives des pouvoirs publics effectuées en vue de leur élimination physique ayant échoué, une sorte de "propagande" a été mise en oeuvre, visant la jeunesse, les scolaires, à l'intention de qui on a produit des livres illustrés présentant ces bêtes dans leur univers domestique (papa corbeau apprenant à voler à ses jeunes, etc.) anthropomorphisé qui les rend particulièrement sympathiques, touchantes. Faute de pouvoir éliminer la nocence on a entrepris de la faire aimer, en mobilisant le mécanisme de transfert d'un code d'acceptation sociale en échec vers le code passionnel.

Je précise bien qu'il ne s'agit aucunement là d'une "fable animale" représentant une situation sociologique qui nous serait familière.
Oui ce qui est aimé n'est pas une nocence, vous avez bien raison Monsieur Marche. L'artisan lyonnais aimait son bien nommé bistanclaque et la vendeuses des halles le bruit de la foule.

Pour Monsieur Rothomago un point : les années 60 étaient très bruyantes dans la journée en ville, je me rappelle du trafic automobile en plein centre de Lyon (les nationales 6 et 7 passaient en ville), des voies ferrées et des tramways brinquebalants. Je me rappelle aussi avoir visité de la famille à Clermont et Renaud Camus j'en suis sûr se souviendra du bruit des autos et des klaxons sur le boulevard Gergovia pare choc contre pare choc. La voiture était tellement aimée qu'on lui passait beaucoup de choses.

Après, dans la soirée, tout s'appaisait. Il ne serait venu à l'esprit de personne de stationner moteur tournant et auto-radio à fond discutant sous les fenêtres des gens.
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