La plupart du temps, le voisin du sixième ne me ressemble pas. Oui, la plupart du temps. Autant dire, j’en ai bien conscience, qu’il s’est mis à me ressembler
quelquefois. Quelquefois, ce n’est pas souvent, mais il fut un temps où il ne me ressemblait
jamais, pas une seule fois, je m’en souviens parfaitement, il me semble m’en souvenir, disons que la plupart du temps je me souviens qu’il fut un temps où le voisin du sixième ne me ressemblait jamais. Et qu’on ne vienne pas me dire que « jamais » et « quelquefois » c’est une différence négligeable ! Il y a un monde entre « jamais » et « quelquefois », il y a même un monde entre « jamais » et une seule toute petite fois et quand bien même le voisin du sixième ne se serait mis à me ressembler qu’une seule fois, j’aurais déjà de quoi me poser des questions, voilà ce que j’ai envie de répondre à ceux qui cherchent à me rassurer, qui me disent que j’exagère, il te ressemble quoi ? cinq minutes par semaine, à tout casser, et encore ! C’est pas la fin du monde quand même ! En effet. Ce n’est pas la fin du monde. Je les laisse dire, je les laisse tenter de relativiser, tout cela part d’une bonne intention, une bonne intention un peu suspecte, soit dit en passant, je me demande si, à travers moi, ils ne cherchent pas à se rassurer eux-mêmes, tout simplement parce eux-mêmes ont observé que leur voisin s’est mis à leur ressembler alors qu’au début, ils ne se trouvaient pas le moindre point commun avec lui et comme ça les tracasse secrètement, c’est moi qu’ils cherchent à rassurer. Classique acrobatie.
A vrai dire, la plupart du temps, je ne leur prête qu’une oreille distraite, je pense à autre chose, une autre hypothèse m’occupe, je me demande si en réalité ce ne serait pas plutôt moi qui me suis mis à ressembler au voisin du sixième. Bien sûr, la plupart du temps, je ne lui ressemble pas. Autant dire, j’en ai bien peur, que je me suis mis à lui ressembler
quelquefois. Quelquefois, ce n’est pas souvent mais il fut un temps où je ne lui ressemblais pas une seule fois, je m’en souviens parfaitement, il me semble m’en souvenir, disons que la plupart du temps je me souviens qu’il fut un temps où je ne ressemblais
jamais au voisin du sixième et ce n’est plus le cas. Comment savoir ce qui se passe vraiment ? Je puise alors un peu de consolation en pensant que le voisin du sixième est traversé par les mêmes doutes que moi ce qui confirme bien que, la plupart du temps, nous nous sommes mis à nous ressembler.