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Le Daech et la Croisade des enfants

Envoyé par Francis Marche 
Combien sont les jeunes gens qui, partis d'Occident (d'Europe mais aussi d'Amérique) s'en vont guerroyer sous la bannière noire de l'Etat islamique au Levant ? Chaque ville moyenne, désormais, en compte deux ou trois, à Lunel, gros bourg héraultais, ils sont une petite vingtaine croit-on savoir. Combien sont-ils en tout ? Impossible de le savoir, mais on peut affirmer néanmoins qu'ils sont plusieurs milliers.

La Croisade des Enfants sous la plume de cet infatigable documentaliste qu'était Mircea Eliade, en 1983, dans le troisième volume de son Histoire des croyances et des idées religieuses -- de Mahomet à l'âge des Réformes , p. 104 (Payot) :

Malgré la politisation des Croisades, ce mouvement collectif garda toujours une structure eschatologique. On en a la preuve, entre autres, dans les croisades d'enfants qui surgissent soudain en 1212, en France du Nord et en Allemagne. La spontanéité de ces mouvements semble hors de doute, "nul ne les excitant, ni de l'étranger, ni du pays" [*][Note du copiste : ce point est fondamental : l'élan eschatologique ne doit rien à une causalité inter-civilisation, il n'est point causé par des torts politiques commis par une civilisation tierce à l'encontre de celle chez qui se manifeste le ressort eschatologique, lequel n'est actionné que par une horloge interne à la civilisation qui s'émeut, et la politisation, la radicalisation politique de l'acte eschatologique dans tous les cas n'est chez elle qu'un habillage et un instrument de déclenchement de ce ressort], affirme un témoin contemporain. Des enfants, "caractérisés à la fois --- ce sont les traits de l'extraordinaire --- par leur extrême jeunesse et par leur pauvreté, de petits pâtres surtout" se mettent en marche et les pauvres se joignent à eux. Ils sont peut-être 30000 qui avancent en procession, en chantant. Quand on leur demandait où ils allaient, ils répondaient : "A Dieu". Selon un chroniqueur contemporain, "leur intention était de passer la mer, et, ce que les puissants les rois n'avaient réussi, de reprendre le sépulcre du Christ". Le clergé s'étaient opposé à cette levée d'enfants .

[*] Cette citation est extraite de l'ouvrage de Paul Alphandéry et A. Dupront, La chrétienté et l'idée de Croisade.

A quelque huit cents ans de distance des Croisades des enfants, voici que l'émotion et la tempête eschatologiques reprennent en Occident, et que leur vent pousse à nouveau des enfants vers l'Est, mais voici aussi que le signe de ce mouvement s'est inversé : ces enfants ne vont point libérer les chrétiens d'Orient de l'emprise mahométane mais aider les fanatiques djihadistes à mieux massacrer les chrétiens d'Orient. Le miroir eschatologique de l'An Mil, à l'instar de la rétine au fond de l'oeil, produit une image de l'histoire inversée, la tête en bas.

Ce départ des enfants pour le djihad au Proche-Orient n'est pas ainsi mis "en parallèle" avec la Croisade des Enfants, et aucune "analogie" n'est ici dressée avec les événements que produisit au XIIIe siècle l'eschatologie occidentale, et pas davantage il ne s'agit de concevoir cet événement comme une réplique musulmane politique aux "agressions" que l'islam aurait eu à subir de la part de l'Occident dans cette région du Proche-Orient au temps lointain des Croisades. Il s'agit de tout autre chose, bien plus extraordinaire : une inversion de phase sur une onde constante entre deux civilisations aux rythmes historiques dissonants.

Sur un plan plus "politique", Il vaut la peine de prendre connaissance, ne serait-ce que du quatrième de couverture de l'ouvrage de Georges Duby, l'An Mil, qui, précisons-le bien, parut en 1999 :

"‎Georges Duby se bat depuis longtemps contre les idées reçues à propos du Moyen Age. Dans ce livre d'entretiens conduit par deux journalistes et superbement illustré, le célèbre médiéviste persiste et signe: les terreurs de l'an mil, dit-il, sont une légende romantique. Les 7 ou 8 millions de gens qui vivaient en France voilà dix siècles n'étaient ni plus ni moins inquiets que nous à l'aube de troisième millénaire. Ils entraient même dans une formidable période d'expansion matérielle et démographique, signe d'un authentique optimisme. Duby poursuit au fil des pages ce parallèle entre les peurs médiévales et les peurs d'aujourd'hui: la peur de l'autre, de la misère, des épidémies, de la violence, de l'au-delà...Et raconte comment les hommes du Moyen Age avaient su inventer la solidarité pour conjurer l'inconnu."

Rien n'y manque : "peur de l'autre", "inventer la solidarité pour conjurer l'inconnu", etc..

Donc, en 1999, les "peurs d'aujourd'hui", que connaissaient les Français, selon Duby relevaient de l'irrationnel, disons le mot. Bien mesurer, donc, que cette irrationalité s'est brutalement inversée en rationalité dans le monde post-2001, et que l'irrationnelle "peur de l'autre", s'est trouvée, presque du jour au lendemain, d'un millénaire à l'autre, parfaitement fondée, de par la mise en acte de l'apocalyptique des autres.
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