Le père de cet enfant se dit seul responsable du drame. Et il faudrait que les Européens lui répondent "mais non, mais non, c'est nous voyons... qui sommes les responsables de tout ça, les vrais salauds égoïstes qui n'ouvrons ni assez vite ni assez grand nos frontières pour vous accueillir et vous prendre en charge... C'est nous les Européens qui aurions dû venir vous aider à convaincre votre épouse et à vos marmots d'enfiler des gilets de sauvetage et nous devons payer pour notre négligence coupable, etc... ô comme il serait normal que vous nous détestiez au fond de votre coeur, et comme vous êtes bon de ne point nous haïr et nous maudire comme nous le méritons... etc..."
L'Europe tout entière -- pleurs publics de la ministre suédoise, etc. --
barbote en pleine pathologie dans la triste affaire de cette noyade d'enfants.
La chaîne du sentiment de culpabilité fait le tour du monde plusieurs fois, elle en devient une trame, un ret : les Turcs peuvent l'éprouver avec quelques bonnes raisons pour avoir laisser cette famille prendre la mer sans appareil ni embarcation sûrs; les Syriens et les Irakiens (leurs autorités) d'avoir céder de leurs territoires au Daech; les Américains et la coalition (aux opérations militaires très confidentielles il faut bien le dire) de ne pas repousser le Daech et s'imposer par les armes contre lui; puis, pêle-mêle tous les autres, au général comme comme au particulier : la tante des enfants d'avoir remis de l'argent au père; les autorités canadiennes de leur avoir refusé un visa; et enfin les Européens pour ne pas être en reste, pour communier dans la mauvaise conscience avec le reste du monde, même de loin, même en invoquant des motifs indirects (guerre des Bush en Irak, soutien défaillant à Assad, soutien défaillant à la "résistance anti-Assad", etc.).
Le sentiment de culpabilité, quand il en devient ainsi
communiel, paralyse l'action, bien entendu, comme si l'action avait besoin encore de lui pour être paralysée.
Pendant soixante-dix ans au moins, on a enseigné aux enfants des écoles que "la violence ne résout rien", que "la guerre en aucun cas n'apporte de solution durable". Toute l'humanité s'est laissé piéger dans le pacifisme et la déploration larmoyante. L'heure est venue, malheureusement de penser que la guerre, dans certaines situations sans issue, peut apporter une solution durable à des conflits qui s'éternisent et descendent tous les jours davantage dans l'horreur. La guerre pour tuer la guerre, et non plus, comme au XXe siècle "pour instaurer la paix future", en devient la seule issue pensable, ou du moins est en passe d'être paradoxalement posée comme unique option viable contre le Daech. Si le
consensus coupable dans l'ensemble du monde civilisé que ce drame affreusement photogénique a suscité peut déboucher sur cette option, ce pauvre enfant ne sera pas mort pour rien. Paix à son âme.