La connaissance est la ressource des faibles. Le fort n'a point besoin de connaître le faible qui le met au défi. Le faible, si. Le faible a besoin de connaître le fort comme il a besoin de l'air qu'il respire.
La dynamique de la force et de la faiblesse, du dominant et du dominé, est inverse à celle de la connaissance et de la dispense de connaissance, de la luxueuse ignorance .
Le fort absolu, moi face au moustique, n'a point besoin de s'intéresser à connaître le moustique pour le tuer d'un claquement de mains.
Le moustique, lui, vit dans le tremblement de connaître mes réactions, mes constantes anthropologiques, les piliers intimes de mon être, tout ce qui est susceptible d'assurer son écrasement d'un claquement de mes mains, afin d'en déjouer l'occurrence.
Transposé au plan politique, cela se traduit dans l'histoire par les fluctuations classiques qui font du faible sûr un fort en puissance et du fort sûr de lui, un écrabouillé en puissance.
Le plus classique des exemples, que vous livreraient aujourd'hui Mencius comme Platon s'ils connaissaient le malheur de vivre parmi nous, est celui des Etats-Unis d'Amérique : quand les E.U. étaient puissants mais d'une puissance dont le caractère absolu restait débattable, ils respectaient la connaissance, ils continuaient de s'en faire une puissante auxiliaire pour leur ambitieuse et incomplète puissance. Anciens faibles, ils avaient encore recours à la connaissance, auxiliaire du triomphe militaire : en 1945, avant de bombarder le Japon et de le soumettre, les E.U s'enquirent de le connaître, de savoir et de mesurer à sa juste valeur la culture de ce pays, ses hauts sanctuaires (Kyoto, Nara) afin de les épargner en cas de conquête, en cas d'utile mise sous tutelle de ce pays et de ce peuple, respectant la connaissance ils en vinrent à respecter ce peuple, son histoire, son patrimoine, sa sensibilité.
Ils firent donc le pire, qu'ils unirent au meilleur, ils larguèrent l'horreur à Hiroshima et à Nagasaki, puis, entreprirent de faire du Japon un protectorat aimable, compréhensif et réparateur, reconstructeur, avec le général McArthur. Pour la connaissance avant les bombardements, avant le choix des cibles, qui devait épargner la capitale culturelle Kyoto, ils firent appel aux conseils d'une anthopologue, Ruth Fulton Benedict (https://en.wikipedia.org/wiki/Ruth_Benedict) qui leur dit sa connaissance aimante du Japon et instruisit le faible-devenant-fort de la connaissance utile à l'histoire à venir.
Le fruit de cette consultation fut que le Japon est resté, depuis cette époque, un des rares pays extrême-orientaux à avoir connu la prospérité sans passer par la case communisme.
Voilà pour le stade du faible-devant-fort usant de la connaissance.
Les Etats-Unis en 2003 décidèrent, en quelques jours, de se passer de connaissance pour lancer leur force au Moyen-Orient et détruire l'Irak sans poser le moindre regard connaissant, sinon bienveillant, sur la cible de leurs bombardements.
Pourquoi ? Parce qu'aucune Ruth Benedict, cette fois, ne fut sollicitée pour instruire les bombardiers de leurs cibles et de la conduite à tenir envers les faibles, parce que la force des Etats Unis d'Amérique en 2003 était
absolue, sans concurrence, sans aucune Union soviétique pour l'instruire à douter et à enquêter, sans personne pour mettre les E.U au défi. L'Amérique de George W. Bush fit l'économie de connaître ce que Shi'te et Sunnite pouvaient bien avoir de différent dans le pays cible de ses bombes qu'était l'Irak. Les Etats-Unis d'Amérique, fort absolu, firent ce que je fais quand j'aplatis un moustique dans un claquement de main : frapper dans l'ignorance et dans le mépris. Le résultat, depuis lors, qui est un beau
merdier comme aime à le rappeler le populaire,
is there for everyone to see : la fureur ignorante et méprisante d'un Georges Bush parce qu'elle était armée d'une puissance alors absolue, a produit de l'échec, tout à fait à l'opposé de la réussite obtenue par un McArthur au Japon quand l'enjeu du monde et de l'Histoire était ouvert et que tout doute était encore permis et donc toute connaissance requise.
Le frappement de mains qui sonne la fin du faible par l'ignorance en laquelle le tient le fort est aussi et du même coup le clap de fin de la force fermée à la connaissance.
Nos envahisseurs, qui ne se soucient pas de nous connaître, vont bientôt savoir ce qu'il en coûte de frapper sans connaître, ce qui leur coûtera de leur prétention à nous ignorer.