En Europe occidentale, il semble bien que non : cette situation ne s'est jamais produite. En France, les "anciens combattants" ont opéré leur sortie de scène discrète et progressive tout au long des années 90 et 2000. Et à présent il n'y en a plus qui pourraient encore entretenir le traitement tragique de l'histoire autrement que comme manifestation ou événement costumé. Il n'y a plus de "mémoire tragique" qui ait accès à une parole publique. Il restait encore celle des Pieds-noirs, voire des combattants de l'OAS, qui furent les derniers à se taire tout à fait, accablés de torts historiques.
Toute cette génération de trentenaires, aidés en cela par leurs parents qui n'ont connu les tragédies du siècle que par ouïe-dire, ont occupé leur temps historique à faire fermer sa gueule à tout tragique humain (pas celui des catastrophes naturelles, remarquez bien, lesquelles, par défaut, semblent être venues occuper ce vide depuis les années 80, remplaçant le tragique humain temporairement éclipsé d'Occident pendant 40 années ou presque, jusqu'au 13 novembre 2015 à Paris, soit à trois semaines près la date du grand festival du tragique naturel anthropo-déterminé : la COP 21, comme si l'histoire assemblait ses hasards et ses coïncidences à la façon de l'ingénieur ses programmes). Le tragique que portent les actions humaines irrationnelles et persistantes, celui d'une violence entêtée qui ne connaît aucun fin mot de l'histoire, aucune conclusion consolatrice pour l'enfant, cette génération en est vierge et se montre admirablement dépourvue de "haine" (de tragique) quand le tragique et l'énorme difficulté de le penser font irruption dans sa vie. D'où le spectacle de ces adultes qui jouent avec des petits objets symboliques (bougies, peluches, cartes postales, coeurs de papier) comme des enfantelets de classe de grande maternelle s'occupant à leur dînette [*] quand le tragique aboie, rugit et les interpelle.
----------------------------
Pour les lecteurs qui seraient trop jeunes pour même savoir ce qu'était le jeu de la dînette :
Usuel. Jeu d'enfant qui simule un repas. Faire la dînette, jouer à la dînette. Pierrette (...) fit des parties de jeu, des dînettes avec les petites filles de ces dames (BALZAC, Pierrette, 1840, p. 66) :
2. Jeanne (...) s'égaya toute seule en jouant à la dînette.
Près d'elle, sur une chaise, elle avait assis sa poupée.
Fraternellement, elle lui passait la moitié de son dessert.
ZOLA, Une Page d'amour, 1878, p. 999.
P. méton. Jouet d'enfant qui est la réduction d'un service de table. Coffret dînette porcelaine carafe et verres (Catal. de jouets [Magasins du Bon Marché], 1936).