Ainsi commence cet article, paru dans le Figaro du 4 février 1891 :
J'ai eu, hier, l'occasion de voir Paul Verlaine à l'hôpital où le poète a pris ses quartiers d'hiver. Chargé, par un ami commun, de m'informer de l'état de sa santé, je comptais m'acquitter simplement de cette modeste mission, lorsque le hasard, hasard facile à prévoir, d'ailleurs, amena la conversation sur la littérature contemporaine. Désireux d'obtenir enfin les éclaircissements que, depuis longtemps, je recherchais sur les tendances littéraires des décadents et des symbolistes, j'interrogeais Verlaine sur les espérances de ces conspirateurs des lettres..
Multiplication, prolifération même, des incises, des virgules, qui confèrent à la phrase toute sa nécessaire ampleur et son souffle. Cela n'existe plus de nos jours, n'est plus possible. Plus personne n'ose. Comme si chacun, à s'y risquer craindrait trop qu'on lui coupe le sifflet à mi-phrase. On prèfère faire mastoc, amphigourique, autorisé, ou bien on fait dans le style faussement parlé, donc télégraphique, elliptique et abscons, faussement téléphoné, cousin germain du je-me-comprends, à trois mots par phrase, plus sûr moyen de ne pas se faire couper la parole. Etre coupant pour ne pas se faire couper, tel est le régime du français post-moderne, tout dérivé de la presse radio-télévisuelle et influencé par elle, la presse au sens de l'homme pressé.
Lisez à haute voix (même intérieure) les trois phrases du paragraphe cité, et vous vous surprendrez à parler comme ces anciennes voix radiophoniques des années 40, avec allant, sur un ton tressautant, dans une diction nasalisée, et en hâchant les syllabes dans le souci généreux de se faire entendre, aux antipodes de la bouillie verbale, opaque et bourrue (bourrue aussi comme on le dit d'un vin à robe troublée), où nous pataugeons tous.
L'interdit, le tabou qui pèse sur l'incise, et la proposition incidente, participe au
mal-vivre français, fils caché, comme est caché un vice, de son père putatif, putassier aussi, et incestueux au possible --- le défaut de savoir-vivre.