Jacques Rivette est mort hier.
Il se trouve que j'ai revu il y a une semaine, à l'Institut de l'Image d'Aix-en-Provence, où, pendant un mois, sont diffusés les films de Rivette, La Religieuse (deux heures un quart), censuré et interdit il y a près de quarante ans et cela pour des raisons qui paraissent dérisoires aujourd'hui : il a été reproché à Rivette d'avoir fait un film anticlérical et injurieux pour l'Eglise. En fait, il n'en est rien. Le film est une "lecture", intelligente et juste du roman de Diderot, qui devrait faire l'admiration de tous les amateurs de littérature. Ce n'est pas un pamphlet : la preuve, dans le film, les religieux, les religieuses, le clergé, la hiérarchie de l'Eglise sont tous attachés à la liberté de conscience et acceptent que la religieuse, en dépit de l'absence de dot, puisse changer de couvent. Les familles qui décident de sacrifier une fille pour mieux établir leurs autres enfants se montrent plus inhumaines que l'Eglise. Le sujet du film, comme celui du roman, n'est pas l'Eglise, encore moins la théologie, ni la famille, c'est le corps, ses pulsions, la nature. Voilà pourquoi la caméra de Rivette s'attarde dans de longs plans sur les corps, heureux ou souffrants, sur les mains qui se rapprochent ou qui se posent sur une épaule, sur le mouvement des corps qui bougent, courent, se déplacent, sur la nature et tout ce qui est physique, tangible, corporel... C'est moins l'enfermement qui fait l'objet du film et du roman que le corps entravé, empêché de sentir, de bouger, de toucher, couvert d'amples habits, caché, c'est-à-dire la "physis", la nature, ce qu'il y a de matériel en nous, et qui, comme la parole, a besoin de liberté pour s'"exprimer".