Le choix d'un rappeur, un certain Black Machin, comme tête d'affiche du grand concert qui marquera la soirée de commémoration du centenaire de la bataille de Verdun paraît admirablement caractéristique de l'époque, et cela à plus d'un titre.
Par son côté “gorafique” d'abord : la première fois que l'on rencontre l'information on rit à la bonne blague et l'on se dit que la trouvaille du jour du “Gorafi” est excellente ; et, quand on s'aperçoit que c'est vrai, on a du mal à croire qu'ils sont allés aussi loin. On n'aurait donc pas pu faire un choix illustrant mieux la “gorafisation” du monde, cette difficulté de plus en plus grande à distinguer le réel actuel de sa caricature.
Il y a aussi là, évidemment, l'illustration exemplaire de la plus extrême déculturation et du triomphe de l'industrie de divertissement la plus vulgaire, la plus tapageuse, la plus bête et la plus laide. Là où l'on aurait naguère donné la Neuvième, mettons, où une œuvre commandée pour l'occasion à un compositeur contemporain, créée par un grand orchestre européen sous la direction d'un chef prestigieux, on choisit un rappeur — non mais vous avez vu sa dégaine ? Vous avez lu ses textes ? Vous avez entendu son “son” ? Dieu, comment avons-nous pu tomber si bas ? Jusqu'à quel fond de précipice cette chute vertigineuse, brutale et inexorable nous mènera-t-elle ?
Et puis il y a ce qu'est devenue la perception de notre passé et, en particulier, de cette tragédie-là, de l'extraordinaire héroïsme dont ont fait preuve ici nos soldats. Le fameux, douloureux mais épique « Ils ne passeront pas ! » est devenu un « Plus jamais ça ! » qui cache sa résignation veule et honteuse derrière un festivisme de fin du monde. Ils passent, et comment !