Ce qui ne laisse de fasciner (mais apparemment qui ne fascine que moi) : que jusqu'à la création de ce machin, l'Union européenne, en 1992 les nationalismes en Europe étaient, par toute l'élite européenne, cotés
plus plus plus, et jusqu'à celui de l'IRA en Irlande du Nord, ils étaient parés à leurs yeux de toutes les vertus : ils faisaient trembler le Goliath russe en Hongrie, à Prague, à Gandz en Pologne, le perfide empire britannique en Irlande, à Chypre et ailleurs, en Algérie, ils faisaient s'effondrer l'empire français honni de tout le Faubourg-Saint-Germain, Montparnasse et la Montagne Ste-Geneviève. L'élite pensante de l'Europe était partout pro-peuple et pro-nations, pro-émancipation des peuples dans et par leur nation dressée contre les Empires et les Grandes puissances. Ce que faisait Cuba était
le Bien parce que Castro faisait trembler l'empire Américain, comme était
le Bien ce que faisaient les Afghans contre les Russes, etc.
Or voilà que l'Empire Mol officiellement fondé, cette mythologie, ce culte aux nationalismes émancipateurs contre les empires, est devenu, en Europe tout particulièrement, le Mal absolu, il est méprisable, il est facho, arriéré, stupide, il est "sulfureux" et il est partout jugé intellectuellement crasse de s'en revendiquer, bref,
il fait honte au genre humain.
Le paradigme a basculé : alors que les eurosceptiques polonais, tchèques ou hongrois sont les mêmes nationalistes, parfois les mêmes acteurs historiques (p. ex. Lech Walesa) qui s'étaient dressés, pour certains les armes à la main, contre l'Empire russo-soviétique et ses valets, voilà tout à coup ces braves, ces vénérables être devenus des croquemitaines, des plus-qu'à-demi-fachos, des dinosaures, des cul-terreux de la politique, des ennemis du genre humain.
Le paradigme a basculé parce que l'Empire a déménagé : il est désormais chez nous,
il est nous, il s'incarne dans nos institutions supranationales et les mêmes valeureux qui en Pologne, et dans d'autres pays de l'Est, avaient mérité notre soutien engoué à leur cause anti-impérialiste dans les années 70 et 80, et qui depuis cette époque n'ont changé en rien leurs systèmes de valeur, leurs convictions nationalistes profondes, alors qu'ils sont restés sur ce plan immuables, se trouvent tout à coup du mauvais côté de la barrière qui sépare le Bien du Mal et se prennent à sentir mauvais, le rance, le pas-cool, le pas-présentable ; disons le mot sale par excellence : ils sont devenus des
populistes, et certains sont même cathos ! rendez-vous compte !
C'est que l'Empire Mol voit en eux le même ferment de subversion de ses projets que l'Empire Dur (Russo-soviétique) percevait en eux.
Essentiellement, le nationalisme est le Bien quand il se dresse contre un empire qui n'est pas le nôtre. Les nations, c'est très bien, tant qu'elles ne gênent que des visées impériales autres que les nôtres.
Fasciné disais-je par deux traits : cette inversion de statut du nationalisme en Europe a été aussi brutal que total mais surtout, il ne semble pas affleurer aux consciences intellectuelles de notre temps dans l'Europe de l'Empire Mol.
Koestler disait des sciences qu'on ne peut penser l'évolution d'un paradigme dans ce domaine
qu'en-dehors du paradigme. Il semble bien que cela soit applicable au paradigme politique : le néo-empire installé, les consciences ne perçoivent rien des changements qu'il a introduits dans les modes de pensée et de jugement sur des objets aussi déterminants et de poids aussi immense que les nations et le nationalisme. Personne ne semble voir que toute la haine du monde est désormais concentrée dans la pensée et l'action des No-Border, par exemple, qui sont à l'Empire Mol ce que les Cosaques étaient à l'empire Russe ou les S.A. au troisième Reich.