Un mot sur cette illusion d'une histoire qui s'accélèrerait dans et par le "progrès technologique". Quelle histoire ? L'histoire universelle, mais quelle universalité quand une civilisation comme l'islam exclut de l'universel toutes celles qui ne sont pas elle ? Dès lors que le smart phone et la bombe au plutonium et le virus informatique fonctionnent entre toutes les mains, sont "universels", il n'y a plus aucun progrès qui tienne ! Le progrès, s'il n'est plus réservé à la civilisation qui en enfante les créations, remet tous les compteurs à zéro, opère une tabula rasa par l'"égalité" des armes entre le barbare et le civilisé. Ce fut le piège de l'encyclopédisme et de l'humanisme moderne qui cessa de réserver la science au civilisé :
en l'offrant à tous, en la diffusant indifféremment, le barbare s'en sert pour rester barbare !
Ma conjecture personnelle est que le courant encyclopédiste et l'universalisme militant (celui des Jésuites, notamment, au siècle de Louis XIV) peuvent avoir été induits par l'illusion d'omnipotence des créations spirituelles et intellectuelles de l'Occident dans un monde désormais dépourvu de toute contestation à leur égard, l'islam ayant été circonvenu par le truchement d'une circumnavigation.
La totalité du monde et sa possession matérielle rendue possible furent ainsi à la source d'une illusion que l'on a appelé humanisme ou Lumières, illusion qui fit projeter la civilisation dominante, unique et solitaire sur la globalité du monde, et qui n'était telle que grâce à une providentielle conjoncture (effondrement de l'islam conquérant qui aurait pu lui opposer sa contestation), et avec elle
sa science (la science était chrétienne jusqu'aux mathématiques et à l'astronomie -- cf. Neper, Kepler, etc.) comme étant absolument
la civilisation de tout le monde, et, corrélativement à cela, cette civilisation en vint à être considérée aussi
comme n'étant plus chrétienne qu'accidentellement. Etant universelle, elle ne pouvait l'être que par-dessus l'existant civilisationnel divers (cf. la Chine et le Japon que rencontrèrent les Jésuites missionaires) ce qui entraîna un mouvement de
re-catholicisation neo-paulinienne (je veux dire re-universalisation et donc dé-christianisation, comme Paul avait dé-judaïsé la spiritualité monothéiste) des savoirs dans le mouvement encyclopédiste et l'organisation d'une diffusion transcivilisationnelle des savoirs par les Missions. Ce mouvement humaniste universaliste indifférenciant, négligea, dans son étalement, le berceau de la civilisation qui l'avait propulsé.
La négligence des populations européennes et chrétiennes par les maîtres de l'Europe (jusqu'à ceux de l'Union européenne, chez qui elle s'avère aujourd'hui criminelle) vient de loin : elle fut et elle demeure un phénomène politique aux dimensions multiples qui trouve son foyer historique dans cette illusion d'omniscience/omnipotence créée par l'endiguement au seizième siècle de toute opposition civilisationnelle menaçante pour l'Europe chrétienne, dont la plus sérieuse, celle de l'Islam, armé d'une spiritualité à prétention universaliste concurrente. Cette illusion consiste à se représenter que ce qui est archi-dominant est au-dessus du particulier qui l'a enfanté, et que cette mère de l'universel qu'est le particulier n'est plus bonne qu'à jeter aux poubelles de l'histoire passé l'heure de l'enfantement.
Cette illusion, nous continuons de la payer cher puisque c'est par son cheminement que la Chrétienté s'est trouvée relativisée au siècle dernier avant d'être aujourd'hui bafouée sur ses territoires européens : l'explosion de l'universel et l'érection spirituelle de la figure de l'Homme bardée de droits, l'effacement de la dichotomie qui distinguait le Civilisé du Barbare, banalisèrent la chrétienté comme espace et siège d'une histoire particulière qui, désormais, et à cause de l'illusion universaliste, n'appelle plus aucun effort dédié pour en perpétuer et en défendre la précieuse singularité.
Ce que je propose de mettre en évidence par cette lecture de Toynbee : que cette illusion, fort coûteuse, qui révèle aujourd'hui sa dangerosité, eut en effet et très véritablement des causes historiques rien moins que conjoncturelles, presques triviales, et que cette conjoncture de la fin du XVe siècle, où tout bascula en une poignée d'années pour entraîner une dynamique qui dura près d'un demi-millénaire (jusqu'en 2001, disons, avec des prémisses enclenchées dans les années 1970) a vu depuis un demi-siècle ses termes s'inverser. Il s'agit bien d'une inversion de la conjoncture de 1500 s'agissant des positions relatives de l'islam et de l'Occident : c'est à présent lui, l'islam, qui voit son histoire s'accélérer comme nous avions accéléré la nôtre dans ce moment et qui est en passe aujourd'hui de nous soumettre par l'arme de
son universel.
Aussi divisé soit-il aujourd'hui entre Sunnites et Chiites, etc., bien retenir qu'il l'est moins que l'Occident pouvait l'être à la fin du XVe siècle quand ce dernier prit la haute main sur les affaires du monde.
(message modifié)