La phrase de Mill appartient à cette tradition d'exorde au lecteur, celle des "puisse le lecteur...", de la grande tradition classique
Comme ici, dans les oeuvres philosophiques de Vanini, traduites par Rousselot :
La plus belle parce que la plus outrancièrement litotique et séduisante qu'on connaisse est peut-être celle de Lautréamont dans les Chants de Maldoror :
Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu’il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison
Traduire fidèlement devrait commencer par ce travail d'identification des bribes intertextuelles dans la typologie des formes. Mais plus personne n'est prêt à entendre ça aujourd'hui (si quiconque le fût jamais) : la traduction, parce qu'elle est une restitution, procède du général au particulier, ce qui suppose une connaissance ou du moins une disposition pour accéder à la connaissance, du général. C'est ce bon vouloir à respecter les classes et les formes générales et typées, à les saluer au passage après les avoir reconnues, qui fait défaut à tous ceux qui se collettent à la tâche de traduction. La traduction cochonnée est le signe triste d'une lassitude d'être au monde chez qui ne s'en soucie plus vraiment au-delà de sa pitance et de l'assommante succession des jours à assurer. Ce doit être la même chose en art plastique, en sculpture, par exemple, davantage qu'en peinture où la liberté est trop grande.