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Nobel français... mais nomade avant tout !

Envoyé par Quentin Dolet 
"Une polémique a éclaté dans les jours précédant l'attribution de ce Nobel de littérature, à la suite des propos du secrétaire permanent de l'Académie suédoise. Horace Engdahl a suscité un tollé en déclarant que les écrivains américains composaient des oeuvres trop repliées sur les Etats-Unis et ne participaient pas au "grand dialogue" de la littérature.

L'Américaine Toni Morrison est le dernier écrivain des Etats-Unis à avoir obtenu le Nobel de littérature, en 1993.

L'oeuvre de JMG Le Clézio est aux antipodes de la vision de la littérature stigmatisée par Horace Engdahl et ce dernier s'en est félicité: "Ses oeuvres ont un caractère cosmopolite. Français, il l'est, oui, mais c'est plus encore un voyageur, un citoyen du monde, un nomade", a dit Horace Engdahl lors de la conférence de presse pendant laquelle il a annoncé le nom du lauréat." (Le Temps)
Utilisateur anonyme
10 octobre 2008, 22:09   Re : Nobel français... mais nomade avant tout !
"Ses oeuvres ont un caractère cosmopolite. Français, il l'est, oui, mais c'est plus encore un voyageur, un citoyen du monde, un nomade",

(Ouf... je comprends mieux maintenant pourquoi je ne le lirai jamais.)
On peut dire cela de Gide, de Montherlant (qui se définissait lui-même comme "Romain"), de Stendhal (qui se voulait Milanais), de Loti (voir sa demeure), de Baudelaire ou de Marguerite Yourcenar. Les avez-vous lus ?
Utilisateur anonyme
10 octobre 2008, 22:28   Re : Nobel français... mais nomade avant tout !
"Montherlant (qui se définissait lui-même comme "Romain")

Montherlant, que j'ai beaucoup lu, se disait "Romain" dans le sens où il se conformait à une éthique, un style. Quel rapport avec ces purs produits de l'idéologie antiraciste que sont le cosmopolitisme, le nomadisme, la citoyenneté du monde ?
Il est vrai que le concept de "littérature-monde" a fait des ravages...
Il est en effet dommage que la justification du Prix se formule en termes aussi idéologiques. Peut-il en être autrement ? je veux dire : le Jury du Nobel lit-il les livres dans la langue originale, ou en traduction ? Quelqu'un le sait-il ?
10 octobre 2008, 22:44   Cosmopolitisme
Bien cher Pascal,

Prenez garde à ce mot ! "Cosmopolite" n'est plus (et n'est pas encore) une insulte en France.

Les auteurs que j'ai cités (dont une est Belge, d'ailleurs) ont ceci de commun : ils sont universels. Evidemment, tout les goûts étant dans la nature, on peut rêver d'un univers littéraire allant de Jean Richepin à Hector Malot.


Pour ce qui est de Montherlant, puisque vous l'avez lu, vous vous souviendrez de "La Rose de Sable", qui se passe à Alger, ville dans laquelle l'amour commun que Gide et lui avaient pour les jeunes arabes l'amena à résider.

Autre aspect du "cosmopolitisme" de Montherlant, son emblème, un cercle barré avec deux traits au-dessus, censé représenter une tête de taureau stylisée (Montherlant a aussi une forte composante espagnole) mais symbolisant en réalité une paire de fesses juvéniles et ibériques.
10 octobre 2008, 22:48   Voyage
Notez, bien cher Pascal, que je vous ai épargné, dans cette petite liste, les "cosmopolites professionnels" que sont les diplomates, dont Alexis Léger (Guadeloupéen, circonstance aggravante), Paul Claudel et Paul Morand.
Il est évident qu'il ne s'agit pas d'inclure le cosmopolitisme dans cette critique, mais du côté un peu slogan de la "littérature-monde", de la citoyenneté du monde, qui éclipse le jugement littéraire (un peu comme si on jugeait un "message", une "littérature à idées", pour parler comme Céline). Tout grand écrivain est bien entendu du monde, tout à fait d'accord avec Jean-Marc.
La différence fondamentale, c'est qu'on ne reprochait pas à un écrivain - avant l'ère du Métissage Universel - son repli territorial, son provincialisme et sa sédentarité. S'il était voyageur, "ouvert au monde", on pouvait mettre cette disposition d'esprit à son actif, mais on ne le sommait pas de renoncer à son amour patriotique ou à son enracinement. Il n'était pas suspect de chauvinisme, de refus de l'altérité ou, pourquoi pas, de xénophobie pour autant.
Utilisateur anonyme
10 octobre 2008, 22:52   Re : Nobel français... mais nomade avant tout !
Et moi qui croyais un peu naïvement que Morand était un affreux raciste...
Utilisateur anonyme
10 octobre 2008, 22:55   Re : Nobel français... mais nomade avant tout !
Merci pour ce message, cher Olivier. C'est en effet toute la différence !
Il nous faut relire les pages de notre hôte sur la lontananza et l'étrangèreté.
(Re)lisez Bouddha vivant de Morand, et vous constaterez que l'on peut être tout à la fois "cosmopolite" (sens d'avant-guerre), nomade et (parfois) "raciste". Très beau roman sur la violente attraction-répulsion qu'éprouve "l'aventurier" pour tout ce qu'il touche, dans tous ses vifs dépaysements comme dans la lassitude générale qu'ils lui inspirent à l'occasion.
Mais aussi tout Flaubert en Orient.
10 octobre 2008, 23:04   Obligations du comité
Je rappelle que le Comité est tenu par la volonté expresse d'Alfred Nobel, telle que formulée dans son testament du 27 novembre 1895, à savoir que le prix doit être attribué à "the person who shall have produced in the field of literature the most outstanding work in an ideal direction".


Cette "ideal direction" a fait, je le reconnais, l'objet de nombreux débats, voir les arguments de Strindberg en 1910.

"Ideal" est la traduction du suédois "idealisk", dont le sens précis m'échappe.


Cela étant, il est tout à fait possible de créer un prix "Pascal Orsoni" qui sera remis par le marquis de Pursayeux et réservé aux auteurs ayant chanté les vertus du terroir.
10 octobre 2008, 23:06   Claudel et le Japon
Je crois aussi que Claudel se montra fort critique envers le Japon, mais j'ai du mal à me souvenir dans quel écrit exactement.
10 octobre 2008, 23:10   Re : Claudel et le Japon
"Fort critique" envers quels aspects, cher Jmarc. J'ai souvenance du contraire, pour ma part.
10 octobre 2008, 23:10   Exemple de Borges
Bien cher Pascal,


Où classeriez-vous le réactionnaire Borges ?


Est-il Argentin, Anglais ou universel ?
10 octobre 2008, 23:19   Critique du Japon
Je m'aperçois m'être fort mal exprimé : il s'agit des écrits peu connus de Claudel à titre diplomatique, durant son séjour comme ambassadeur. Cet homme effectivement amoureux du Japon, grand connaisseur de sa civilisation se montrait sévère quant au Gouvernement japonais. Il est vrai que l'expansion japonaise en Asie contrariait fort les ambitions occidentales dans la région.
Prix Nobel de littérature en 1904 : Frédéric Mistral, défenseur du provençal, marié à une bourguignonne, qui voulut "raviver le sentiment de race", c'est-à-dire "un peuple lié par la langue, enraciné dans un pays et dans une histoire".

En 1905, Henryk Sienkiewicz, chantre de l'histoire polonaise, symbole du nationalisme polonais qui figure sur les billets de 500 000 zlotys.

En 1923, William Butler Yeats, impliqué dans le nationalisme irlandais, fondateur du mouvement littéraire "Irish Literary Revival", récompensé pour sa "poésie toujours inspirée, dont la forme hautement artistique exprime l'esprit d'une nation entière".

En 1930, Sinclair Lewis, premier Nobel décerné aux Etats-Unis, dont tous les romans décrivent la société américaine, ainsi que l'oeuvre de Faulkner, récompensée en 1949, très centrée sur le Sud des Etats-Unis.

Ces écrivains étaient-ils particulièrement nomades, voyageurs, tournés vers l'universel, apatrides ? Il me semble que ce n'est qu'à partir des années cinquante que l'"universalité" devient un critère essentiel d'attribution du Nobel de littérature. Et ce qui fut d'abord une réaction face aux dérives de l'esprit national est devenu une authentique religion du déracinement.
11 octobre 2008, 00:45   Universalité
Pour cette même période, comment classez-vous Tagore, Anatole France Romain Rolland et Thomas Mann ?
Utilisateur anonyme
11 octobre 2008, 00:47   Re : Nobel français... mais nomade avant tout !
Pour moi, Morand c'est un peu comme Gary... je veux dire qu'avant tout, ce qui m'intéresse, c'est la vie de ces deux écrivains plutôt que leur oeuvre (j'ai toujours trouvé que Gary, en tant qu'écrivain, était surestimé, quant à Morand il ne se voyait pas comme un grand écrivain).
11 octobre 2008, 00:49   Paul Morand
Je suis surpris par votre remarque : Morand ne se voyait peut-être pas comme un grand écrivain, mais c'est la réputation qu'il avait...
Comprenons-nous bien Jmarc : Tagore, Mann, Rolland pouvaient recevoir le Nobel ; aujourd'hui, Mistral - un Mistral - ne serait sans doute pas récompensé : trop indifférent au "grand dialogue" de la littérature.
11 octobre 2008, 01:18   Accord
Nous sommes d'accord.

La vigueur de mes remarques tient au fait que j'apprécie beaucoup Le Clézio, que j'avais eu l'occasion de rencontrer il y a une vingtaine d'années, alors que j'exerçais mes fonctions à la Réunion. M'intéressant à la littérature de l'océan indien, je m'étais rendu à l'une rencontre à laquelle il participait à Maurice.

Il continue d'ailleurs à s'y occuper d'un petit prix littéraire.
11 octobre 2008, 04:43   Grand dialogue des cultures
Mistral était un tantinet plus complexe. Il avait par exemple invité chez lui, au mas du Juge, à Maillane, des représentants d'une tribu Sioux, épisode qui a laissé des traces photographiques remarquables, visibles dans sa demeure transformée en musée. Sur ces clichés, paradoxalement, Mistral, coiffé d'un grand feutre à large bord, barbichette grise, buste droit, chaussé de bottes de cuir à longue tige astiquée, encadré de ces sauvages emplumés, se prend à ressembler au général Custer.

(Mistral était une sorte de militant identitaire internationaliste, si l'on veut à la "Identitaires de tous les pays, unissez-vous!")
On se tromperait en croyant que l'universalité d'un écrivain dépend des sujets qu'il aborde. Cette qualité ne s'obtient pas par un effort de la volonté, un choix idéologique ou stylistique, encore moins par des déclarations de principe. Le caractère universel d'une oeuvre, c'est sa capacité à parler aux hommes au-delà des espaces nationaux et des temps historiques, parfois au prix de "contresens créateurs", comme dit David Roskies. A cet égard, je trouve Proust, avec ses "Français de Saint-André-des-Champs", plus universel que Loti. Dante, Montaigne parlent plus et mieux à beaucoup de lecteurs, en dialecte toscan pour l'un, avec ses gasconismes pour l'autre, qu'Erasme écrivant dans un latin impeccable et lisible de Londres à Cracovie. On a parfois remarqué, ici et là, que le comble de l'universalité était souvent le comble de l'enracinement. Cette qualité dépend, encore une fois, des lecteurs, non des déclarations des auteurs ou même de leurs choix esthétiques délibérés. Souvent d'ailleurs, les plus lucides des écrivains "voyageurs", comme l'admirable Victor Segalen, sont clairement conscients de la vanité de l'exotisme en littérature, mais ne se précipitent pas pour autant, par mécanisme idéologique, dans l'exaltation du terroir, entreprise aussi sotte, aussi peu littéraire, que l'éloge de son contraire.
C'est une belle intervention, merci Cher Henri Bès.
Très convaincant en effet. Mais, si l'exaltation du terroir est une entreprise aussi sotte, aussi peu littéraire, que l'éloge de son contraire, que dites-vous de Millet ? Il est vrai qu'il n'exalte pas un terroir mais écrit l'interminable chant funèbre de sa disparition, n'est-ce-pas ?
Cher Jmarc, je n'ai aucune antipathie envers Le Clézio, que j'aime beaucoup écouter parler, si je ne suis pas lecteur de ses livres. Je notais simplement le caractère quelque peu idéologique de l'élection du Nobel aujourd'hui (mais sur ce point, je pense que nous nous sommes compris).

Merci à Francis et Henri pour leurs intelligentes remarques. Ce que dit Henri de l'universalité est très pertinent.

Finalement n'est-ce pas un questionnement que l'on pourrait étendre aux genres de la littérature : parfois, un journal intime (suivez mon regard) peut toucher de plus près l'"universel" qu'un roman d'aventures exotiques.
Merci de vos encouragements, chers Anna et Olivier. Vous répondez vous-même à votre question, cher Marcel Meyer. Je pratique peu Millet, mais je me souviens qu'on a souvent lu Giono comme un écrivain régionaliste et paysan, ou Proust comme un romancier de la haute société. On leur reprochait l'étroitesse de leur champ d'action et le caractère exagérément particulier de leurs personnages, comme M. Hengdahl reproche à la littérature américaine de ne parler de que l'Amérique (qui est un univers plutôt vaste et varié, d'ailleurs). Mais certains héros de Giono ou de Proust sont universels par leur particularité même, et non malgré elle, quand le romancier les fait accéder au niveau de types humains confrontés à ce que notre condition a d'universel. De Millet, je n'ai lu qu'un roman, à grand peine, et je m'intéressais au portrait qu'il donnait d'un professeur : je ne saurai vous dire s'il atteint l'universel. De Giono, il m'a fallu lire plusieurs fois de nombreux romans, pour l'école, qui m'inspirèrent un ennui moindre que ceux de Millet. Son Langlois, héros des Récits de la demi-brigade et du Roi sans divertissement, est à la fois intensément particulier, en bon héros de roman, et très parlant pour le lecteur à cause de sa condition d'homme confronté au vide et à l'ennui. Pour Proust, cela va de soi, me semble-t-il. La sottise de l'éloge du terroir ou du nomadisme vient de ce que l'on cherche à ranger l'entreprise littéraire sous une bannière morale. C'est la sottise de l'engagement obligatoire des écrivains, au nom de grands idéaux généreux ou pas. On les met en demeure de faire la morale, de donner le bon exemple, ce qui implique de ne voir dans leur écriture qu'un instrument de propagande. Or la fin de l'écriture littéraire est l'écriture elle-même, comme expression du monde intérieur d'un individu, non l'éloge ou le blâme de ce qu'une collectivité honore ou réprouve pour un court moment, selon ses intérêts plus ou moins honnêtes et avoués.

Ah, et j'oubliais de vous citer cette remarque de Nabokov, dont je n'ai pas la provenance: "En tant qu'artiste et homme d'étude, je préfère le détail particulier à la généralisation, les images aux idées, les faits obscurs aux symboles évidents et le fruit sauvage à la confiture synthétique." Ceci permet peut-être de rappeler que la littérature n'a pas besoin de montrer patte blanche aux grandes autorités morales du moment, de leur faire la preuve de son universalité, pour être intéressante.
L'universalité d'une oeuvre n'est peut-être que l'équivalent de sa puissance symbolique. Le récit d'un voyage autour du monde qui serait dénué de tout contenu symbolique, de toute expression d'une grande aspiration humaine, ne toucherait finalement personne. Tandis que le récit d'une bataille "locale" entre Achéens et Troyens, contée par le Poète, peut traverser les âges.
Là, vous exprimez exactement ce que je cherche à faire comprendre à un des commentateurs sur le blog de Didier Goux, cher Henri.
M'autorisez-vous à vous citer ?
Merci, Henri, pour votre intervention, à chaque mot de laquelle je puis souscrire. Millet, que je pratique beaucoup ces derniers temps, atteint, il me semble, à l'universel. Le thrène est un genre qui traverse le temps et l'espace. Et sa langue, pour être au plus près de la terre, du local, est si classique qu'elle en devient traduisible (mais pas au sens où l'idiome y perdrait). Enfin, cela dit, il y a très peu de romans de Millet traduits, je crois... La Voix d'alto est un chef d'oeuvre (et le terroir français y est peu présent, c'est plutôt le Québec).
Merci, mon cher Bruno Chaouat, pour vos remarques sur Richard Millet. La lamentation sur le passage du temps et la mort des choses est un bon exemple de sentiment enraciné de l'être, et d'universalité : on voit bien là que les deux ne s'opposent que dans les articles des journalistes.

Merci à vous aussi, chère Anna. Citez donc, et attirez votre correspondant ici en lui disant qu'il y a beaucoup d'autres plumes intéressantes dans le Forum de l'In-nocence!
Je vais de ce pas vous citer, cher Henri, en vous remerciant. Mon "correspondant" connait sûrement le forum de l'In-nocence,déjà , car Didier a en permanence en ligne sur son blog, le lien vers tous les sites de Renaud Camus. Je le lui signalerai quand même, c'est comme pour les vaccins, il faut veiller aux piqûres de rappel.
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