Une analyse assez sagace de la crise actuelle. Trouvée sur le site Koztoujours.
Banques, régulation, libéralisme et toutes ces sortes de choses
Dans une économie libérale, la faillite n’est pas un bug, elle est une fonctionnalité. Elle incarne la destruction créatrice qui, dans un processus darwinien, élimine les entreprises devenues inefficaces pour laisser la place à d’autres, plus performantes, plus innovantes. Peut être plus important, elle représente le risque, le revers de la médaille, la contrepartie indispensable au profit. Sans le risque de perdre, la quête du profit n’est pas seulement immorale, elle devient inefficace.
Quand une entreprise fait faillite, les créanciers ou actionnaires perdent leurs avoirs à due proportion de leurs potentiels de rofit. Les salariés sont payés de tout ce que l’entreprise leur doit ; s’il reste quelque chose, les fournisseurs sont servis ensuite, puis les banquiers, puis les actionnaires. Dans la plupart des cas, le capital est irrémédiablement perdu et les actionnaires ne récupèrent rien. C’est très bien ainsi, c’est dans la nature des choses : l’essentiel du risque est porté par l’actionnaire et c’est aussi lui qui reçoit l’essentiel du profit si les choses vont bien.
J’ai le sentiment d’asséner des évidences, mais elles sont un point de départ important. Elles expliquent notamment pourquoi, dans les sociétés commerciales, le pouvoir réside (ou devrait résider) dans les mains des actionnaires. Ce sont eux qui prennent les risques, ce sont eux qui contrôlent la direction de la barque.
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Les banques sont des entreprises particulières parce que leur faillite peut entraîner des conséquences dommageables pour un autre type d’acteur : les épargnants. Les dépôts des épargnants ne doivent pas être perdus car ils ne bénéficient d’aucune rémunération du risque. L’actionnaire peut perdre son investissement, le prêteur ses créances, ce sont des risques acceptables, tolérables, avec lesquels nous savons vivre, pour lesquels les créanciers ont été rémunérés. Mais l’argent qu’on met sur son compte en banque doit être sécurisé, les économies de toute une vie ne doivent pas être balayées par l’erreur d’un banquier, ce serait inacceptable.
Cette volonté de protéger les dépôts des épargnants, pour indispensable qu’elle soit, a conduit les politiques à mettre en place des régulations qui ont eu pour but d’éviter les faillites bancaires. Tout ceci partait d’un bon sentiment, mais ça a eu des conséquences à long terme spectaculaires. Car en réduisant le risque de faillite pour les banques, on a enlevé un pied au diptyque risque-profit et profondément déséquilibré le système.
La première démarche, qui apparaît aujourd’hui comme pleine de sagesse, a été de forcer les banques de dépôts à réduire à la fois leurs risques et leurs profits. Le Glass-Steagall Act instauré en 1933 forçait les banques à choisir leur camp, soit elles acceptaient les dépôts et elles devaient se contenter d’activités à faible risque telles les prêts commerciaux, soit elles voulaient pouvoir investir en bourse et prendre plus de risque, mais elles devaient alors renoncer à recevoir les dépôts des épargnants.
Ca a marché assez longtemps, mais avec l’innovation financière et le développement de produits financiers de plus en plus sophistiqués, la distinction entre prêt et investissement est devenue de plus en plus floue. Accessoirement, la frontière rigide entre les deux types de banques créait une forme de cartellisation et réduisait la concurrence avec les conséquences habituelles en termes d’inefficacité et de rentes. Enfin, le Glass-Steagall Act régissait les banques américaines et elles seules alors que leurs concurrentes étrangères avaient les mains libres. Les Américains ont donc allégé Glass-Steagall pour finalement le répudier en 1999.
Parallèlement, et c’est sans doute beaucoup plus important, les banquiers ont progressivement réussi à convaincre les autorités qu’il y avait une autre raison de les empêcher de faire faillite. Les banques seraient tellement interdépendantes et essentielles au fonctionnement de l’économie que la faillite de l’une entraînerait la chute de tout le système financier ce qui asphyxierait l’économie. Comme elles se prêtent les unes aux autres, le défaut de l’une frapperait ses créancières ce qui pourrait entraîner un effet domino. Enfin, le spectre de la crise de 1929 exacerbée par les faillites bancaires a achevé d’ériger en dogme le principe de la non-faillite des banques.
Le ver était dans le fruit. Les autorités sont progressivement entrées dans une spirale de réglementation de plus en plus fine, de plus en plus profonde de l’activité des banques. Ratios prudentiels à respecter, muraille de Chine à ériger, conflits d’intérêts à éviter, exigences d’information, normes comptables toujours plus complexes…
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