Cher Renaud Camus, il n'y a pas que
Valeurs actuelles dans la vie, il y a aussi
L'Huma, qui vous fait l'honneur d'une amène critique :
Tribune libre -
Article paru le 17 septembre 2008
La chronique de Cynthia Fleury
La déculturation démocratique
Collège des Bernardins. Le « parlement du monde savant » - dixit Gabriel de Broglie, président de l’Institut - se tient prêt à accueillir Benoît XVI.
Les sciences, les arts et la culture sont à l’écoute du souverain pontife. Le discours évoque les racines de la culture européenne et la nature du monachisme occidental. Car chercher Dieu, pour les moines, c’était « s’appliquer à trouver ce qui a de la valeur et demeure toujours », chercher le « définitif » derrière le provisoire. Quaerere Deum ou la mise en place de la vraie culture car, au dire du pape, « eschatologie et grammaire » sont indissociables l’une de l’autre. Les bibliothèques sont des monastères oubliés, un lieu vers les paroles, avant la Parole.
Celui qui n’ira pas contredire le théologien, c’est Renaud Camus. Quand on dit Camus on pense à Albert.
Pour retrouver Renaud, il faut citer « l’affaire ». Et un dernier opus publié chez Fayard, la Grande Déculturation (2008).
« Le modèle, la référence mythique, la seule forme actuellement concevable d’une lointaine et infime espérance, écrit l’auteur, ce sont les couvents du haut Moyen Âge, où trouvèrent un abri, au milieu de la violence et de la barbarie, et dans l’attente détiques temps meilleurs, autant de lambeaux de la civilisation antique qu’il était possible d’en sauver tant bien que mal. Nos couvents à nous, laïques et culturels, ne pourront sans doute pas être réels car il n’y a plus d’isolement possible sur le territoire entièrement quadrillé, commercialisé, banalisé, aménagé, viabilisé, couvert, de la banlieue universelle. » Alors c’est sûr, ce lieu édifié par les fils de saint Bernard de Clairvaux plaira à l’écrivain. Sans doute moins la pompe pipolesque qui l’embuait. Car le tout-Paris était là tout de même… « La culture doit aimer comme la plus sûre de ses alliés, en ce réensauvagement du monde qu’inaugure son effacement, la négligence méprisante où elle est tenue. »
Déculturation, parce que la culture est devenue une marque. Derrière la culture, le profit - d’autres diraient la survie. Derrière le Louvre, Abu Dhabi et les quarante… conservateurs. Les pragmatiques pensent gagner sur les « deux tableaux ». Ceux qui se déclarent lucides savent bien que tout cela coûtera cher. Car « ce qui est ruineux, c’est l’épuisante nécessité d’occuper l’inculture, de la distraire, de la canaliser, de la satisfaire pour les besoins de la paix sociale, de la sécurité et du profit ». C’est dispendieux et c’est rentable. Pas pour les mêmes, bien sûr. La culture de masse maintient chacun dans sa caste, l’y enferme avec douceur et distraction. Elle efface la lutte, pas les classes.
Par définition, « l’inculture s’ennuie », elle a toujours faim de nouveautés. Et par définition aussi, elle n’est jamais assez culturelle. « De même que le Moyen Âge n’était jamais assez médiéval pour le goût troubadour, poursuit Renaud Camus, Byzance assez byzantine pour le byzantinisme, l’Orient assez pittoresque pour l’orientalisme, la culture n’est jamais assez aimable pour l’inculture, assez accueillante, assez visible et repérable comme telle (…). Il lui faut sans cesse l’améliorer (…), en offrir des imitations plus convaincantes et reconnaissables qu’elle ne l’est elle-même, plus immédiatement gratifiantes narcissiquement. »
Non, la culture n’est pas chère… car « c’est moins la culture qui exige d’importants moyens que l’éternelle et fastidieuse distraction de l’inculture, toujours à recommencer ».
Pour Renaud Camus, impossible d’assimiler culture et démocratie. « Se cultiver, c’est se rendre inégal à soi-même. » Et s’il faut pratiquer l’égalité, c’est en concédant un « égal accès à cette inégalité radicale ». Par ailleurs - et peut-être faut-il s’interroger davantage sur cette vérité qui semble inaudible - la démocratie n’est pas née de la culture de masse mais d’esprits bien aristocratiques et rompus au devoir de s’élever. Alors la question qui nous taraude…
La démocratie survivra-t-elle à la culture de masse ?
Est-il seulement possible que celle-ci sache la protéger des obscurantismes du futur ?
Un réquisit pour des élites culturelles ? Car devant « l’immense classe unique culturelle petite-bourgeoise », Renaud Camus forme sa complainte. « L’argent étant partout et toujours donné comme l’unique clef de tout, il n’y a plus entre les riches et les pauvres (…) qu’une seule différence, c’est l’argent. » Cynisme ? Réactionnisme ? Perspicacité ? Il est vrai que la ruine n’a jamais été pour les classes désargentées de la noblesse un souci. Nées élites, elles le demeuraient par l’éducation.
Alors il ne tient qu’à la République d’anoblir les pauvres.