Ce que je redoute, et qui malheureusement commence de se produire, c'est la conquête des cœurs européens par l'islam victimaire. C'est cette victoire sentimentale (Rousseau est lu par l'homme de la rue en Iran notamment) des musulmans qui m'inquiète, car la manière forte (égorgements, attentats-suicides, demandes agressives d'aménagements...) ça ne va qu'un temps.
La mystification de l'islamophobie qui apitoie a modifié en profondeur l'attitude des Européens à l'égard des musulmans, les premiers puisant dans ce qui leur reste d'amour chrétien pour, pris de pitié et dans l'inévitable chantage affectif, ne plus pouvoir désirer autre chose que de sauver les seconds du racisme des blancs, d'Israël fantasmé ou dudit islam radical. Sachez que ces deux derniers termes sont totalement absents du programme de Mélenchon. Le candidat de la FI, des trémolos dans la voix, s'en est expliqué avant-hier soir : visés par la loi contre le séparatisme, victimes quotidiennes de mille discriminations, les musulmans "rendent fous de haine même des gens intelligents par ailleurs" ; il faut mettre un terme à leur martyre ! Il ne s'agit déjà plus de collaborer ou de se soumettre mais bien de
sauver les musulmans en les incorporant pleinement à nos sociétés, pour les y protéger et y réunir les conditions de leur essor et de leur bien-être, les y laisser dérouler leur paysage (les fameuses rues de Marseille et de Roubaix). Le salut du prolétaire passait par l'égalité, celui du musulman passe en effet par une sorte de soin
(care), d'accompagnement que nous nous devons de lui apporter. (L'âme charitable et émue, désormais engagée sur cette voie, aura bientôt surmonté masochisme, culpabilité et ressentiment.)
Puis l'état de la France, pour ne parler que d'elle, n'est-il pas incroyablement propice à cet accueil en son sein ? Elle ne produit, ne fabrique plus rien et se situe désormais sur ce point au même niveau que les musulmans, dont la culture matérielle a toujours été voisine de zéro. Les Français ont l'esprit libre, qui baigne dans la cogitation idéologique, ils ont tout le temps pour défaire et refaire le monde, ils sont à présent autant de cœurs à prendre par une spiritualité doublée d'un ordre moral aussi facile à installer dans une vie qu'un logiciel dans un ordinateur. À ce sujet, Houellebecq se trompe. Il ne s'agira pas de se soumettre afin, une fois esclave, de jouir physiquement et socialement de bénéfices secondaires : il s'agira de devenir les
aidants interféconds des musulmans, y compris pour adoucir leurs mœurs et que triomphe enfin ce Grand Midi à l'envers de l'Occident finissant qu'est le vivre-ensemble.