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Tocqueville et le Coran

Envoyé par Quentin Dolet 
18 octobre 2008, 12:38   Tocqueville et le Coran
Dès la première Démocratie, Tocqueville s'est vivement intéressé à l'islam. A partir de 1838, il lit et annote le Coran, convaincu que la colonisation de l'Algérie ne pourra réussir qu'en alliant la puissance à une compréhension profonde des moeurs religieuses des Algériens. Dans ses notes, il retire l'idée que la religion de Mahomet possède une facheuse propension à multiplier les appels à la guerre et au meurtre. Il y voit également peu de place réelle laissée aux libertés, dans la mesure où elle entend régir tous les domaines de la vie sociale, politique et juridique.

Sa première réaction construite à la lecture du Coran se trouve dans une lettre qu'il adresse à Louis de Kergolay le 21 mars 1838 :

"Je lis la vie de Mahomet et le Coran. Cette dernière lecture est une des plus impatientantes des choses et des plus instructives qui se puissent imaginer parce que l'oeil y découvre facilement en y regardant de fort près tous les fils à l'aide desquels le prophète tenait et tient encore ses sectateurs. C'est un cours complet d'art prophétique que cette lecture-là et je t'engage fortement à la faire. Je ne conçois comment Lamoricière* a pu dire que ce livre-là était un progrès sur l'Evangile. Il n'y a nulle comparaison quelconque à faire selon moi et je trouve que sa seule lecture indique merveilleusement les différentes destinées des musulmans et des chrétiens. Le Coran ne me paraît être qu'un compromis assez habile entre le matérialisme et le spiritualisme Mahomet a fait la part du feu, comme on dit, aux plus grossières passions humaines pour pouvoir faire pénétrer avec elles un certain nombre de notions fort épurées afin que les premières maintenant les secondes, l'humanité marchât passablement suspendue entre le ciel et la terre. Voilà la vue philosophique et désintéressée du Coran : quant à la partie égoïste, elle est bien plus visible encore. La doctrine que la foi sauve, que le premier de tous les devoirs religieux est d'obéir aveuglément au prophète ; que la guerre sainte est la première de toutes les bonnes oeuvres..., toutes ces doctrines dont le résultat pratique est évident se retrouvent à chaque page et presque à chaque mot du Coran. Les tendances violentes et sensuelles du Coran frappent tellement les yeux que je ne conçois pas qu'elles échappent à un homme de bon sens. Le Coran est un progrès sur le polythéisme en ce qu'il contient des notions plus nettes et plus vraies de la divinité et qu'il embrasse en une vue plus étendue et plus claire certains devoirs généraux de l'humanité. Mais il passionne et sous ce rapport je ne sais s'il n'a fait plus de mal aux hommes que le polythéisme, qui n'étant un ni par sa doctrine ni par son sacerdoce ne serrait jamais les âmes de fort près et leur laissait prendre assez librement leur essor. Tandis que Mahomet a exercé sur l'espèce humaine une immense puissance que je crois, à tout prendre, avoir été plus nuisible que salutaire."

* Louis Juchaut de Lamoricière (1805-1865) qui servait en Algérie et reçut la reddition d'Abd el-Kader, en 1847, proche des saint-simoniens, était un ami de Tocqueville et de Kergolay.


Alexis de Tocqueville : Notes sur le Coran et autres textes sur les religions. Présentation et notes de Jean-Louis Benoit. Paris : Ed. Bayard, 2007.
18 octobre 2008, 16:22   Re : Tocqueville et le Coran
Bravo et merci pour cet extrait dont la fulgurance est étonnante.
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