"La rupture spirituelle de l'Europe est à imputer essentiellement à une profonde modification du système éducatif, et plus secondairement seulement à la fragmentation religieuse du XVIe siècle. En effet, malgré cette dernière division, l'Europe est demeurée chrétienne. L'Europe n'est pas un Etat continent, mais une société de peuples multiples. Cependant, en dépit de ce morcellement politique, l'éducation des élites européennes, quel que soit le pays, avait le même fondements, à savoir les humanités. Bien que chaque nation ait développé sa propre langue, la couche intellectuelle s'alimentait aux mêmes auteurs grecs et latins et par conséquent se réclamait de la même formation de pensée, ce qui n'empêchait pas aussi les auteurs de rédiger aussi leurs ouvrages chacun dans sa propre langue. Par-delà la division politique, il existait une République des esprits. Le classicisme ne signifie rien d'autre : cette même référence humaniste " a frappé du même sceau une douzaine de littératures nationales et conféré aux couches cultivées dans tous les pays européens un même sentiment commun pour les valeurs du classicisme"*. Quant à l'éducation ordinaire de la population - que malheureusement les historiens négligent souvent de considérer - elle se fondait également sur les bases communes du christianisme, qui au surplus était aussi celle des couches cultivées. "Nous ne pouvons donc comprendre l'Europe et son histoire que si nous étudions la culture chrétienne; elle est le point central, et ce n'est qu'en tant que chrétienté que l'Europe est parvenue pour la première fois à la conscience d'elle-même comme société de plusieurs peuples possédant une même loi morale commune et les mêmes fins spirituelles"**.
(*) (**), C. Dawson "Understanding Europe".
Julien Freund, "La décadence", ed. Sirey, p. 300.