J'avoue n'avoir jamais établi de lien entre la peinture de Soulages et les camps de la mort, du moins de façon évidente ou particulière, encore qu'en fait, pas du tout : c'est peut-être, probablement, quelque chose que je ne savais pas et à quoi je n'aurais pas pensé.
Toujours est-il que s'il était question de figurer ou représenter chromatiquement les camps, ce ne sont pas des nuances de noir qui me seraient venus à l'esprit, mais l'effacement presque total de toute coloration, la décoloration, quelque chose comme un neutre chromatique réalisant la transparence de ce qui est en train de s'effacer. Primo Levi évoque souvent, parlant des
musulmans d'Auschwitz, leur diaphanéité progressive et, littéralement, le fait qu'on ne les voyait plus, ou voyait à travers eux, vivants inexistants.
Dans
La Trêve, me semble-t-il, livre qui relate le retour en Italie après la libération et qui suit immédiatement
Si c'est un homme, il y a à la fin du livre le récit d'un rêve récurrent qu'il fit, alors qu'il était déjà rentré à la maison et avait retrouvé sa famille : il rêvait que tout cela, la libération et le retour, n'étaient que le rêve, et qu'en réalité il se trouvait toujours dans le camp, qu'il n'en était jamais sorti, qu'on ne pouvait en sortir,
dans le réel, que le camp était tout ce qui existait, et que donc il se retrouvait là-bas à la place qui de tout temps avait été la sienne, dans une journée d'automne par une pluie battante où tout, absolument tout être, s’entremêlait et se fondait dans une atroce grisaille atone et translucide.