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L'Amérique de Krugman

Envoyé par Michel Le Floch 
21 octobre 2008, 10:58   L'Amérique de Krugman
Cher Marcel, quelques mots sur le livre de Krugman.

Paul Krugman est un économiste reconnu - il vient de recevoir le prix Nobel pour ses travaux sur le commerce international - et un chroniqueur redouté du New York Times. Sur le plan politique, il est proche de la gauche du parti Démocrate. C’est un liberal, au sens américain du terme, et d’ailleurs en anglais son dernier opus, L’Amérique que nous voulons, s’intitule The conscience of a Liberal. Ce livre dresse un tableau de la société américaine après presque trente ans de politique de démantèlement de l’Etat providence hérité de Roosevelt. Il montre bien que, au-delà du duel entre Mc Cain et Obama, les électeurs vont devoir se prononcer sur un modèle de société. L’élection du 4 novembre, explique-t-il, constituera un plébiscite sur le bilan des politiques économiques menées par Reagan, Bush père et fils. Et ce plébiscite risque fort d’aboutir à un désaveu du reagano-bushisme tant le bilan est désastreux pour la majorité du peuple américain. Krugman, chiffres et études à l’appui, démontre que la société américaine est revenue à des niveaux d’inégalité inconnus depuis les années 20 (1 % des ménages les plus riches possèdent environ 20 % du revenu national). La société américaine, contrairement aux années 60, est une société extrêmement polarisée sur le plan social : le revenu médian en dollars constants ne cesse de baisser depuis 2000 (date de la crise dite des NTIC) tandis que celui du millième le plus fortuné augmentait de 300 %. On comprend donc pourquoi, afin de continuer à consommer, payer les études (15 000 à 40 000 dollars l’inscription dans une université correcte) supérieures de leurs enfants, s’octroyer une protection sociale (45 millions de personnes n’ont aucune couverture et la moitié de la population est très mal couverte), les ménages issus des classes moyennes et de la classe ouvrière se sont follement endettés (100 % du PIB contre 43 % en France). En un résumé saisissant, Krugman explique en somme qu’en l’espace d’une trentaine d’années, l’Amérique est passée du modèle General motors (en quasi faillite aujourd’hui) au modèle Wall Mart. Dans les années 60, la firme de Détroit incarnait le compromis fordiste à l’état pur : salaires élevés (le salaire moyen d’un ouvrier s’élevait à 40 000 dollars actuels), un syndicat fort (le taux de syndicalisation dans l’industrie atteignait 40 %) et une bonne protection sociale payée par la firme ; aujourd’hui le modèle Wall Mart (équivalent de Carrefour en France) rime avec des salaires très bas (18 000 dollars annuels) ; l’absence de couverture sociale et une répression anti-syndicale féroce.
Eh bien de ce modèle, la majorité du peuple américain est las. L’aspiration à un nouveau compromis social fondé sur une meilleure répartition de la richesse et la création d’une couverture médicale universelle est très forte. En outre, la question raciale, qui aurait empêché l’élection d’un noir il y a encore une vingtaine d’années, n’est (presque) plus un problème pour une grande majorité des Américains. Si l’on rajoute par-dessus cette situation, le cataclysme économique, ne parlons même pas du fiasco irakien, qui vient de s’abattre sur le système bancaire et financier et qui entraîne des millions de ménages dans la paupérisation absolue, l’on voit qu’il n’est guère difficile de deviner que l’issue du combat en cours ne fait aucun doute : Obama sera élu parce qu’il incarne le changement et un nouveau New deal.
21 octobre 2008, 11:53   Re : L'Amérique de Krugman
Mon cher Petite-Détour, permettez-moi tout d'abord de vous remercier de répondre à ma question posée dans un précédent fil de discussion.

Obama sera probablement élu, en effet, mais sans doute surtout grâce à la crise financière. Il me semble que selon le compte-rendu très clair que vous en donnez, l'analyse, de Klugman semble très éclairante mais colle trop aux dernières années, négligeant ce que la réaction thatchero-reganienne a apporté de dynamisme en son temps.

Voici comment je vois les choses, à ma façon peut-être un peu simpliste mais que j'espère de bon sens.

L'économie de marché, le capitalisme si vous préférez, navigue entre deux écueils. D'un côté, l'insuffisance de régulation et de protection sociale ; elle entraîne rapidement la spéculation, la surchauffe, l'édification de châteaux de cartes qui ont une fâcheuse tendance à finir par s'écrouler, entraînant dans leur chute l'économie dite aujourd'hui "réelle" ; de plus, elle creuse les inégalités sociales et précarise le sort des plus démunis. De l'autre, le trop-plein de régulation et de protection sociale ; il étouffe tout dynamisme et entraîne la bureaucratisation et la transformation progressive de la société en un vaste jardin d'enfants surveillé par des mamans hyperprotectrices qui ne tapent vraiment sur les doigts que de ceux qui ont des conduites à risques.

Je ne crois pas à la possibilité d'un compromis stable, d'un équilibre parfait entre les deux. Nous sommes condamnés à une marche ondulatoire qui nous conduit à donner de temps à autre un coup de barre dans l'autre direction. A vrai dire, cette dualité entre deux pôles impossibles à fondre, à réduire l'un à l'autre et dont nous subissons alternativement l'attirance me paraît propre à la nature même de la vie dans un univers entièrement fondé sur les dualités, sur les couples d'opposés irréductibles, entièrement structuré par eux.

Pour en revenir à la situation américaine actuelle, il me semble que les électeurs y sont tiraillés entre deux tentations contradictoires (une autre contradiction). D'un côté le désir de défendre ce qui reste des valeurs traditionnelles dans le domaine de la morale, de la famille, etc. : cette aspiration est aujourd'hui majoritaire dans l'ensemble du monde occidental, elle a conduit à l'élection de Sarkozy et aurait très bien pu entraîner celle de McCain. D'un autre côté, le désir, évidemment attisé de façon considérable par la crise financière et ses conséquences sociales, d'un retour à davantage d'Etat-providence.

Ces deux oppositions ne sont pas en phase : la réaction thatchéro-reaganienne, qui se voulait à la fois un retour au libéralime économique débridé et aux valeurs traditionnelles s'est déployée très vite et avec beaucoup d'efficacité dans le domaine économique mais beaucoup plus lentement dans le domaine sociétal dont les évolutions sont toujours beaucoup plus lentes. En réalité, toutes les combinaisons entre les phases de ces deux mouvement semblent exister et leur analyse, pays par pays, me paraît fournir un intéressant instrument de compréhension des diverses situations.
21 octobre 2008, 12:47   Re : L'Amérique de Krugman
Citation
Obama sera probablement élu, en effet, mais sans doute surtout grâce à la crise financière.

Ne nous laissons pas impressionner par la clameur médiatique qui a déjà élu Obama. En outre le peuple américain n'a pas encore voté et on ne peut en aucun cas croire les sondages d'opinion qui donne la victoire d'Obama comme acquise.

Pour le reste, cher Marcel, je trouve votre analyse remarquable et je vous en remercie.
Utilisateur anonyme
21 octobre 2008, 13:48   Re : L'Amérique de Krugman
Rogémi, je parie sur Obama à 10 contre 1. Tenu ?
21 octobre 2008, 13:49   Re : L'Amérique de Krugman
A signaler sur un plan philosophique cette fois, l'excellente analyse par Marcel Gauchet ce matin sur France Culture, quant aux ressorts culturels, voire métaphysiques de la crise.

Tandis que lou ravi, je veux dire Marc Kravetz, nous servait sous la forme de bouillie verbale comme à son habitude, cette nouvelle merveilleuse que 90 % ou presque de la presse était pour Obama, et de faire un long, long recensement. Bien entendu, ceci loin de lui poser le moindre problème, le mettait quasiment en extase !
21 octobre 2008, 13:52   La France de Kravetz
Ah, chère Ostinato, au moins, nous sommes deux à souffrir en entendant ce M. K.
21 octobre 2008, 13:55   Re : L'Amérique de Krugman
Mais pourquoi s'obstiner à l'écouter ?
21 octobre 2008, 14:02   Re : L'Amérique de Krugman
Pour ne pas manquer ce qui va suivre quand les invités sont intéressants...
Parce qu'on tombe dessus malgré qu'on en ait lors de l'émission matinale de France Culture, cher Marcel, et qu'il est presque plus pénible d'avoir à baisser le son ou changer de chaîne que de le laisser sortir ses deux ou trois âneries caricaturalement graillonneuses et hésitantes. Aneries qui ne laissent pas d'être édifiantes, d'ailleurs, puisqu'à toute chose malheur est bon ! Vous devriez le savoir, ô indécrottable optimiste !
21 octobre 2008, 14:10   Re : L'Amérique de Krugman
Citation
Rogémi, je parie sur Obama à 10 contre 1. Tenu ?

Corto vous devriez ne pas vous laisser intoxiquer par les glapissements médiatiques de l'Obamamanie car vous allez au devant d'une belle surprise...

A propos ce serait vraiment inoui qu'Obama gagne grâce à la crise financière dans laquelle lui et ses amis d'ACORN portent une lourde responsabilité.
21 octobre 2008, 14:48   Re : L'Amérique de Krugman
La question des valeurs, cher Marcel, est effectivement fondamentale pour comprendre la raison pour laquelle une grande partie des ouvriers américains ont pu basculer du côté des Républicains. Le divorce entre les ouvriers et le parti démocrate a commencé à la fin des années 60 au moment de la guerre du Vietnam et de l’apogée de la contre-culture contestataire, laquelle choquait par sa permissivité (sexualité, drogues), son hostilité à la nation et son antiracisme. Le parti démocrate, se faisant de plus en plus le porte-parole des Noirs, est alors déserté par les petits blancs du deep south, qui votaient auparavant pour lui, au profit des Républicains victimes jusqu'alors de leur soutien à Lincoln. Cela dit, il ne faut pas négliger aussi la défaite des syndicats américains pendant les années Reagan. L’ère de l’ultra-capitalisme, comme en Grande-Bretagne avec la défaite des mineurs du Yorkshire, a commencé par l’écrasement de la grève des aiguilleurs du ciel et le licenciement de plusieurs milliers d’entre eux. Il y a eu aussi un grand mouvement de délocalisation industrielle vers le sud où les traditions syndicales étaient beaucoup plus faibles. Quoiqu’ils tentent encore de faire vibrer la corde « morale », les Républicains eux-mêmes n’y croient plus. Colin Powell en sait quelque chose, qui avait dû se livrer à l’ONU a une prestation humiliante, pour lui, sur les pseudos armes de destruction massives et autres laboratoires de la guerre bactériologique ambulants. Le bilan moral est édifiant. Une guerre fondée sur le mensonge, un système financier dévoré par sa propre cupidité, une économie croulant sous les dettes, des scandales à répétition, le reagano-bushisme achève sa course dans la honte et le déshonneur.
21 octobre 2008, 14:57   Re : L'Amérique de Krugman
Le reagano-bushisme ? Vous avez effacé Clinton ?
21 octobre 2008, 15:36   Re : L'Amérique de Krugman
Citation
Colin Powell en sait quelque chose, qui avait dû se livrer à l’ONU a une prestation humiliante, pour lui, sur les pseudos armes de destruction massives et autres laboratoires de la guerre bactériologique ambulants.

C'était un secret de polichinelle que Saddam possédait des armes de destruction massive et ce sont les boeufs des MSM qui voudraient nous faire croire le contraire.

La plupart des pays exportateurs de ce type d'armement avaient dans leur tiroirs des liasses de bons de livraison.

La honte fut que Powell fut contraint de faire une démonstration mensongère cad sans preuve tangible à présenter au monde pour justifier une intervention armée dont les motifs avancés étaient fallacieux.
21 octobre 2008, 15:49   Re : L'Amérique de Krugman
Cher Rogemi, l'Irak a eu, il est vrai, des armes de destruction massive. Elles lui avaient été fournies, clé en main, par l'Allemagne, l'Angleterre (de Maggie), et les USA quant il s'agissait de contenir la révolution iranienne. A l'époque, l'Occident fermait les yeux quand Saddam gazait les soldats iraniens et les Kurdes.
Après la défaite consécutive à l'invasion du Koweït, en 1991, les inspections de l'ONU avaient démantelé les usines de production de gazs toxiques. En 2002, il n'y en avait plus et Powell le savait pertinemment.
21 octobre 2008, 18:45   Destruction massive
Bien cher Petit-Détour,


Il est dommage que les inspecteurs aient démantelé ces stocks : nous nous serions épargnés bien des enquêtes et bien des questions en disant simplement : "Monsieur Saddam Hussein a bien des armes de destrcution massive, nous le savons parfaitement car c'est nous qui les lui avons vendues".
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