Mon cher Petite-Détour, permettez-moi tout d'abord de vous remercier de répondre à ma question posée dans un précédent fil de discussion.
Obama sera probablement élu, en effet, mais sans doute surtout grâce à la crise financière. Il me semble que selon le compte-rendu très clair que vous en donnez, l'analyse, de Klugman semble très éclairante mais colle trop aux dernières années, négligeant ce que la réaction thatchero-reganienne a apporté de dynamisme en son temps.
Voici comment je vois les choses, à ma façon peut-être un peu simpliste mais que j'espère de bon sens.
L'économie de marché, le capitalisme si vous préférez, navigue entre deux écueils. D'un côté, l'insuffisance de régulation et de protection sociale ; elle entraîne rapidement la spéculation, la surchauffe, l'édification de châteaux de cartes qui ont une fâcheuse tendance à finir par s'écrouler, entraînant dans leur chute l'économie dite aujourd'hui "réelle" ; de plus, elle creuse les inégalités sociales et précarise le sort des plus démunis. De l'autre, le trop-plein de régulation et de protection sociale ; il étouffe tout dynamisme et entraîne la bureaucratisation et la transformation progressive de la société en un vaste jardin d'enfants surveillé par des
mamans hyperprotectrices qui ne tapent vraiment sur les doigts que de ceux qui ont des
conduites à risques.
Je ne crois pas à la possibilité d'un compromis stable, d'un équilibre parfait entre les deux. Nous sommes condamnés à une marche ondulatoire qui nous conduit à donner de temps à autre un coup de barre dans l'autre direction. A vrai dire, cette dualité entre deux pôles impossibles à fondre, à réduire l'un à l'autre et dont nous subissons alternativement l'attirance me paraît propre à la nature même de la vie dans un univers entièrement fondé sur les dualités, sur les couples d'opposés irréductibles, entièrement structuré par eux.
Pour en revenir à la situation américaine actuelle, il me semble que les électeurs y sont tiraillés entre deux tentations contradictoires (une autre contradiction). D'un côté le désir de défendre ce qui reste des valeurs traditionnelles dans le domaine de la morale, de la famille, etc. : cette aspiration est aujourd'hui majoritaire dans l'ensemble du monde occidental, elle a conduit à l'élection de Sarkozy et aurait très bien pu entraîner celle de McCain. D'un autre côté, le désir, évidemment attisé de façon considérable par la crise financière et ses conséquences sociales, d'un retour à davantage d'Etat-providence.
Ces deux oppositions ne sont pas en phase : la réaction thatchéro-reaganienne, qui se voulait à la fois un retour au libéralime économique débridé et aux valeurs traditionnelles s'est déployée très vite et avec beaucoup d'efficacité dans le domaine économique mais beaucoup plus lentement dans le domaine sociétal dont les évolutions sont toujours beaucoup plus lentes. En réalité, toutes les combinaisons entre les phases de ces deux mouvement semblent exister et leur analyse, pays par pays, me paraît fournir un intéressant instrument de compréhension des diverses situations.