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Robert Redeker.

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
02 novembre 2008, 09:52   Robert Redeker.
La mort est en danger de mort, par Robert Redeker
LE MONDE | 31.10.08 |

Il n'est pas dit que nos arrière-petits-neveux prendront, comme nous, le chemin du cimetière à chaque Toussaint. L'évolution des biotechnologies pourrait mettre la mort en danger. Très bientôt l'espérance de vie aura doublé par rapport à ce qu'elle était au début du XXe siècle. La possibilité d'une existence humaine indéfiniment prolongée se dessine à l'horizon. En s'appuyant sur les promesses des cellules souches, sur la régénération, sur la cryonie et sur les transplantations d'organes, certains envisagent même, à terme, la mort de la mort. Faut-il s'en réjouir ?


Dans quel monde vivons-nous ? Celui des crèmes anti-âge, du Viagra, des pilules minceurs pour femmes ménopausées, des cosmétiques pour hommes grisonnants ! Celui où le rayon yaourts des supermarchés ressemble à une pharmacie ? Celui de l'espérance de vie ne cessant de s'étirer ? Celui d'une extraordinaire nouveauté : l'enfant contemporain, comme l'observe le sociologue Paul Yonnet, est élevé comme un immortel, dans l'ignorance de la mortalité. Ces symptômes sociaux traduisent l'emprise croissante d'une bio-utopie : celle de la vie n'évoluant ni vers le vieillissement ni vers la mort. L'homme contemporain a perdu un peu de son âme en n'affrontant plus la mort. Son esprit est déjà celui du temps où la mort n'existera plus.

La régénération, qui commence avec les cosmétiques, mais dont l'aboutissement s'accomplit dans l'effacement de la mort, est l'ennemie de la génération, de la jeunesse du monde. Nietzsche craignait de voir se multiplier des "générations d'enfants aux cheveux gris". C'est l'inverse, tout aussi effrayant, qui se produit, dessinant les linéaments de notre futur : des générations de vieillards à visages et corps juvéniles.

La vieillesse est ainsi en train de phagocyter la jeunesse. Combien de femmes quinquas redeviennent des poupées Barbie ? Combien de grands-pères travaillent leur apparence pour conserver un look de trentenaires ? Pourtant, si la bio-utopie immortaliste se réalise, le résultat sera bien plus radical : la vieillesse aura fait disparaître la jeunesse. Le signe distinctif de la jeunesse : l'avenir. Le signe distinctif de la vieillesse : le passé. Or la particularité des vieillards aux visages juvéniles qui peupleront la Terre une fois que la mort aura disparu s'exprimera ainsi : n'avoir ni passé (du fait de la régénération) ni avenir (du fait de la disparition de la mort).


FANATISME SANITARISTE


Un humain ignorant de la mort, est-ce encore un homme ? Il ne connaîtra pas le temps. Sans le surplomb de la mort, l'avancée de la rouille, la morsure de la précarité de l'existence, le temps n'est plus sensible, il n'est plus que chiffre. Or, comme la sensation du temps qui passe fabrique l'étoffe de notre vie intérieure, l'humain ignorant de la mort court le risque de n'être qu'une machine vivante sans âme, désanimée. La philosophie nous l'enseigne : l'homme est l'être-pour-la-mort, le vivant tire son être de son rapport à la mort.

La fin de la mort entraîne une conséquence politique, déjà à l'oeuvre : la biologisation de la vie collective par l'évaporation des frontières entre vie sociale et vie biologique. Pourquoi ? Parce que la vie, dans sa dimension purement zoologique, sera devenue plus que la seule valeur : le seul absolu. La vie aura vidé le ciel de toutes les valeurs exigeant le sacrifice de l'existence : la patrie, l'idéal politique, autrui, la justice, le Bien.

Le fanatisme sanitariste (chasse au tabac, aux aliments gras, à l'obésité, à l'alcool, etc.) qui secoue la société actuelle exprime l'effacement de cette frontière. Il exprime aussi la montée en puissance de la vie au détriment de tout ce qui vaut. Si cette tendance venait à envahir tout l'espace public, le but de l'existence collective se réduirait à un programme des plus vides : améliorer, perfectionner, et prolonger la vie. La politique se limiterait à gérer la vie biologique (la santé) des individus.

Le recueillement de la Toussaint - dernier avatar de ce culte des morts dont chacun sait qu'il est signe d'humanité - nous rappelle que pour rester des hommes nous devons protéger la mort autant que la vie, assumer le défi de notre mortalité. La disparition de la mort serait en effet la vraie mort de l'homme.


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Robert Redeker est philosophe.
02 novembre 2008, 10:01   Re : Robert Redeker.
Beau texte, merci Robert, merci Pascal.
Utilisateur anonyme
02 novembre 2008, 10:17   Re : Robert Redeker.
"certains envisagent même, à terme, la mort de la mort."

Etrange. La mort de la mort, c'est la promesse chrétienne. Il devrait donc se réjouir.
Utilisateur anonyme
02 novembre 2008, 10:47   Re : Robert Redeker.
Une tonalité très heideggerienne... et qui s'inscrit dans la grande tradition de la réflexion sur la mort, depuis l'idée de la mort socratique jusqu'à l'avertissement chrétien du "mememto mori" et la devise de Montaigne : "Philosopher, c'est apprendre à mourir".
02 novembre 2008, 11:28   Epidaure
Cela n'a rien de nouveau, voir le voyage d'Irène.

Je suis toujours émerveillé de cette redécouverte de ce qui a été dit autrefois.
02 novembre 2008, 11:28   Re : Robert Redeker.
"Etrange. La mort de la mort, c'est la promesse chrétienne. Il devrait donc se réjouir."
Et puis la Toussaint n'est pas le jour des morts; c'est même le contraire.
02 novembre 2008, 11:33   Toussaint
Que la Toussaint ne soit pas le jour des morts, c'est tout à fait exact. Qu'elle en soit le contraire, je 'en suis pas persuadé. Elle se réfère en réalité à tous les saints que je qualifierai de "non désignés", les 144 000 qui sont évoqués dans la Lecture du jour.

A propos de la Communion des Saints, voir ce qu'en disait M. Mitterrand, qui n'était ni un pilier de sacristie, ni un imbécile.
02 novembre 2008, 12:03   Re : Robert Redeker.
A ce propos, voici le texte du tropaire orthodoxe de Pâques:

"Christ est ressuscité des morts
Par sa mort il a vaincu la mort
A ceux qui sont dans les tombeaux
Il a donné la vie."

Le second vers dit exactement: "Thanàtô thànaton patêsas", à savoir, ayant piétiné (du verbe grec pateô) la mort (accusatif thànaton) par la mort (datif instrumental thanàtô). Les Orthodoxes, d'ailleurs, rendent visite aux défunts le matin de Pâques (s'ils arrivent à se lever après avoir passé la nuit entière à l'église, ce qui faisait dire à un ami américain très protestant qu'ils étaient "a wild bunch").
02 novembre 2008, 12:13   Lever
Bien cher Henri,

Permettez-moi une petite pique : les Orthodoxes n'ont aucun mal à se lever après une nuit de prière, car ils prient d'ordinaire debout (parfois prosternés, je vous le concède, mais c'est rare ).
02 novembre 2008, 12:34   Re : Robert Redeker.
De toute façon, la nuit de Pâques, il n'est pas possible de trouver le moindre siège, tant la foule est compacte... On est tenu par les autres.
02 novembre 2008, 12:35   Re : Robert Redeker.
Un fantasme à la mode, tout au plus, très loin de la réalité, du prix effectif de la médecine, et de l'accès concret à une médecine de qualité. La médecine, en fait, sera très probablement de plus en plus rare et chère... Une fausse philosophie, une philosophie de journaliste.

P.-S. Je parlais, bien sûr, du texte de Redeker.
02 novembre 2008, 12:41   An samdi glorié
Bien cher Henri,

Quand vous me parlez de la nuit de Pâques, je pense aussitôt à ces cérémonies antillaises dites du "Samedi Gloria" (en créole, "an samdi glorié").

Comme le savent les liseurs, mais il est bon de le rappeler, le Gloria disparaît durant le carême et revient justement pour la vigile pascale.

A Fort-de-France, par exemple, la foule, à onze heures du soir, déborde sur la place de la cathédrale, et les voitures à sonorisation excessive des "djeuns" locaux disparaissent (on ne sait jamais, il y a forcément une grand'mère ou une grand'tante qui pourchasserait à coup de missel et de parapluie le petit-fils ou petit-neveu fauteur de trouble. Les autres nuits, elles sont couchées à huit heures).
02 novembre 2008, 14:59   Re : Robert Redeker.
En Grèce, on fait des feux d'artifice et on lance des pétards. Comme les offices sont très longs et en grec classique, personne ne s'encombre d'un missel (d'ailleurs il en faudrait deux ou trois pour tout contenir). A wild bunch, en somme.
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