Le site du parti de l'In-nocence

Monsieur Chirac et l'Asie

Envoyé par Jean-Marc du Masnau 
02 novembre 2008, 12:21   Monsieur Chirac et l'Asie
Je me permets de poser quelques questions aux doctes liseurs, quant à la relation de M. Chirac à l'Asie.

J'ai rarement vu une personne susciter des avis aussi contradictoires.

D'aucuns le voient sans cesse un verre de bière à la main, prêt à consommer une tête de veau. D'autres le disent fin connaisseur des cultures asiatiques.

Voici une question : qu'en est-il des rapports entre M. Chirac et les cultures asiatiques ? est-il un imposteur, ou bien, en ce domaine, un "honnête homme" ?


Le fait qu'il ait toujours manifesté une grande amitié pour le Japon (insulté par l'extraordinaire Madame Cresson) me semble militer pour le second point de vue, car je discerne mal l'avantage électoral d'une telle attitude.

Je précise que je ne parle pas de ses liens avec certaine banque japonaise, c'est une autre histoire.
02 novembre 2008, 12:27   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
Je crains que la poésie et la civilisation japonaises ne l'intéressassent davantage que la civilisation française qu'il a peu défendue (c'est le moins qu'on puisse dire). Faute d'être en capacité et en volonté personnelles de faire son devoir quant à celle-ci, il me semble qu'il s'est tourné vers un exotisme oublieux.
02 novembre 2008, 12:36   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
Cher jmarc, je ne vois guère en quoi le goût de la tête de veau et l'appétence pour la bière devraient absolument empêcher de s'intéresser aux cultures asiatiques - ou à toute autre chose d'ailleurs.
02 novembre 2008, 12:42   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
On en revient, cher Jmarc, à l'image que tentent de véhiculer les médias. Les politiques aimeraient passer pour cultivés voire raffinés. Aimant la culture japonaise depuis longtemps, je reste perplexe sur les goûts et les connaissances de Jacques Chirac. Ses propos sont beaucoup trop vagues pour communiquer quoi que ce soit. Il n'est pas le seul. J'ai entendu Alain Juppé et François Bayrou parler de littérature: j'ai eu la même impression. Ils sont pourtant Agrégés. Ceci dit, je serais peut-être surpris si je les avais en face de moi.
02 novembre 2008, 12:44   Exclusivité
Bien cher Didier,

Vous avez raison (comme quoi la démonstration est à nouveau faite du caractère pernicieux des messages internet). J'aurais dû parler de ce qu'on disait être son intérêt exclusif pour la bière et la tête de veau.
02 novembre 2008, 15:24   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
En effet, l'«exclusif» change tout. Je crois que cette image d'un Chirac beaufisant a été en grande partie forgée par l'intéressé lui-même. Ou, plus exactement, qu'il s'est employé à utiliser cet aspect de lui-même comme une sorte de gilet pare-balles.
02 novembre 2008, 16:56   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
Il ne paraît pas que Monsieur Chirac, contrairement à son prédecesseur, soit un homme très cultivé. Son goût du Japon est certainement sincère, mais va-t-il au-delà d'une passion de groupie pour le sumo (passion que j'ai du reste moi aussi éprouvée un temps) ?
Utilisateur anonyme
02 novembre 2008, 17:04   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
Un peu au-delà tout de même du sumo, Marcel, la poésie de Li Po.
02 novembre 2008, 18:36   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
Je parlais de sa très célèbre passion pour le Japon. Concernant la poésie classique chinoise, et tout aussi bien japonaise du reste, quand j'en vois une transcription, j'éprouve toujours un doute qui confine au scepticisme, tant la composition poétique est, dans ces deux pays, difficilement séparable de la graphie. Traduire de la poésie est presque toujours une gageure, au mieux une réécriture poétique inspirée d'un original, mais là c'est bien pire.
Utilisateur anonyme
02 novembre 2008, 19:00   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
Vous éprouvez un doute… qu'on peut comprendre, mais que pensez-vous de ce que vous lisez (en français) ? Vous ne le dites pas…

Moi qui ne lis ni le japonais ni le chinois, je suis sans doute un gogo de première, mais j'ai éprouvé de très grandes émotions en lisant cette poésie.

Vous comprenez, la composition poétique inséparable de la graphie, la poésie (le poème) inséparable de la langue dans laquelle elle a été écrite… on sait tout cela, mais quand-même… on sépare assez bien.
Utilisateur anonyme
02 novembre 2008, 21:10   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
Citation

je suis sans doute un gogo de première, mais j'ai éprouvé de très grandes émotions en lisant cette poésie.

Alors, nous sommes deux !
02 novembre 2008, 22:33   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
La poésie de Li Po n'est pas à mettre entre toutes les mains. On peut en la lisant devenir alcoolique sans même s'en apercevoir.
03 novembre 2008, 07:49   Gogo's club
Je dirais même que, le cercle s'agrandissant, nous sommes trois.
03 novembre 2008, 08:25   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
Il existe un livre de François Cheng sur la question, L'écriture poétique chinoise, suivi d'une anthologie des poèmes des T'ang. Les textes y figurent en chinois, puis sont translittérés en regard, et enfin traduits deux fois en français. Cheng évoque cette question graphique et les conditions de traduction possible de cette poésie.
Il existe un livre de François Cheng sur la question, L'écriture poétique chinoise, suivi d'une anthologie des poèmes des T'ang. Les textes y figurent en chinois, puis sont translittérés en regard, et enfin traduits deux fois en français. Cheng évoque cette question graphique et les conditions de traduction possible de cette poésie.
03 novembre 2008, 10:53   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
Hélas cher Marcel, vous avez tout dit, enfin vous avez parfaitement posé le problème, la "baseline data" comme disent les hommes de management, l'état initial du problème.

Mais nous sommes tous des gogos, la poésie est de toute façon faite pour les gogos. En Chine, les plus riches, les plus beaux poèmes, y compris sur le plan graphique, sont les plus anciens, qui étaient des chants, des élégies, des pastorales, reprises par des analphabètes qui faisaient tout rimer en langue Yu (le cantonais) et non en "mandarin".

On y perdrait son saussure, tant la macédoine sens-signe dans ce domaine, est chaotique, et même disons le mot qui n'est jamais prononcé à propos de la poésie chinoise: tant elle est baroque.

L'art chinois classique (architecture, habillement), chacun peut le voir, est furieusement baroque, et voilà que par ailleurs l'on vante le style prétendûment dépouillé de la poésie chinoise ! Laissez-moi rire. La poésie Song par exemple, et même le tanka japonais, grouillent de créatures comme un brocard ou une lustrine brodée parant la poitrine d'une impératrice manchoue un matin de fête solennelle. Personne ne le sait, et surtout pas les Occidentaux qui gobent cette poésie en traduction toute lavée de ses créatures infernales qui dansent devant les yeux du natif en lui en mettant plein la vue.

On donne en traduction, le contraire de ce qui est dans l'original, le contraire et rien que lui: le son, la phrase ascétique, l'allusif et l'inarticulé. Pouah!
Utilisateur anonyme
03 novembre 2008, 10:56   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
Eh bien tant pis pour nous…
Utilisateur anonyme
03 novembre 2008, 12:18   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
Citation

la poésie est de toute façon faite pour les gogos
La démonstration serait-elle à faire que même un type brillant peut sortir d'énormes conneries, Francis nous l'apporterait de manière définitive.
Tout dépend si, en énonçant une telle phrase, on envisage de se compter au nombre des gogos.
Utilisateur anonyme
03 novembre 2008, 13:25   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
Non, la poésie n'est pas faite pour les gogos ! Rompez, appointé Francmoineau, ou j'appelle le général Lamartine!
03 novembre 2008, 13:27   Re-Chirac
Mais vous, Francis, que pensez-vous de la relation de M. Chirac à l'Asie ?
Utilisateur anonyme
03 novembre 2008, 13:39   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
Francmoineau, de grâce... n'agressez plus Corto ou il va recommencer avec René Char ! (Qu'il est lassant avec René Char...)
03 novembre 2008, 14:05   Re : Re-Chirac
Je ne sais pas Jmac. Je ne comprends pas Chirac, qui est de toute façon un faux simplet, un vrai plouc, un finaud en même temps que le contraire de ces trois choses. On l'a eu vu incognito assister à des soirées sumo, ici. Il se pourrait même donc qu'il soit, de surcroît et sur certains points, un homme sincère. Mitterrand était à mes yeux un homme plus simple et transparent que Chirac. Chirac ne me fait pas l'effet d'être un simple coquin ou un faiseur comme l'était l'autre.

Les présidents de la Ve République, comme dans les théories naïves de l'évolution, vont se complexifiant, chacun ajoutant aux complexités de ses successeurs sa complexité propre. Sarkozy étant plus complexe que Chirac qui lui-même, etc.

De Gaulle, à ce jeu, serait le transparent premier, un Grand Transparent (comme dans les théories de Breton), et l'est resté: transparent substrat originel. Comme quoi l'évolutionnisme n'est rien d'autre qu'une vision politique du monde - il n'est d'évolutionnisme qu'évolutionnisme des maîtres et des gagneurs, processus dont ils composeraient l'unique classe d'objets et dont eux seuls auraient la maîtrise et l'usage -, j'entends le darwinisme biologique, non le brutal darwinisme social que proclament les économistes ultralibéraux.

Le darwinisme est transcription du politique dans le vivant et absolument rien d'autre. Il est science, oui, en effet, mais science politique.
Sur ce plan je suis bien de toute façon le premier des gogos, le chef gogo. La poésie, justement rapprochée de l'alcool par Boris, est à consommer avec une extrême modération, ce n'est pas pour rien.

Rimbaud s'est cassé en Abyssinie parce qu'il savait bien que, répétons-le, la poésie, comme du reste l'amour, est faite pour les gogos. Il a essayé de n'en plus être un, et a fini d'une gangrène au genou.

Peu de gens ont tiré les conclusions qui s'imposent de la gangrène au genou d'Arthur, frère d'Isabelle.

Pour en revenir aux premier ci chinois: danses, chants donnèrent poésie. Or, qui contestera ici que la danse est bel est bien faite pour les gogos, une affaire tout entière conçue pour gogos ?
03 novembre 2008, 14:36   Reprise de la pièce
En attendant gogo
Utilisateur anonyme
03 novembre 2008, 15:08   Re : Tu as bien fait de partir Arthur Rimbaud !
René Char (Boris, vous ne me la refaites pas deux fois, OK ?) a eu une autre interprétation que la vôtre, Francis. Encore un gogo, sans doute.

Citation

Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud! Tes dix-huit ans réfractaires à l'amitié, à la malveil­lance, à la sottise des poètes de Paris ainsi qu'au ronronnement d'abeille stérile de ta famille arden­naise un peu folle, tu as bien fait de les éparpiller aux vents du large, de les jeter sous le couteau de leur précoce guillotine. Tu as eu raison d'abandon­ner le boulevard des paresseux, les estaminets des pisse-lyres, pour l'enfer des bêtes, pour le commerce des rusés et le bonjour des simples.

Cet élan absurde du corps et de l'âme, ce boulet de canon qui atteint sa cible en la faisant éclater, oui, c'est bien là la vie d'un homme! On ne peut pas, au sortir de l'enfance, indéfiniment étrangler son prochain. Si les volcans changent peu de place, leur lave parcourt le grand vide du monde et lui apporte des vertus qui chantent dans ses plaies.

Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud! Nous sommes quelques-uns à croire sans preuve le bonheur possible avec toi.



René Char, Fureur et mystère, Paris : Gallimard, 1967, p. 212.
03 novembre 2008, 15:15   L'enfer des Bêtes
Je m'aperçois avec dépit, cher Corto, qu'en plus d'être largement gogo vous-même, vous ne savez pas lire cette page de René Char dont le propos s'accorde étonnamment avec celui que je tenais ici à l'instant sur Arthur-du-Genou-d'Isabelle.

Ca alors ! A moins que vous ne sachiez me lire, ce qui serait un comble, ma "prose" étant bien plus simplette que celle de Char.
Utilisateur anonyme
03 novembre 2008, 15:18   Char
Ouf, c'était moins une, Corto…
Utilisateur anonyme
03 novembre 2008, 15:24   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
Oui Francis, et je vous trouve même "brillamment simplet", aujourd'hui... Mais peut-être que pour Corto vous faudrait-il l'être encore davantage... (?)

Mais bon, c'est plus fort que lui, y peut pas s'empêcher d'citer René Char, alors...
Non, je ne la lis pas comme vous, Francis. Surtout venant d'un poète comme René Char. Ne vous arrêtez pas à la surface des choses, la poésie a plus de profondeur et le départ d'Arthur Rimbaud serait insignifiant s'il n'y avait son oeuvre.
Oui, Orsoni, c'est mieux que vos sempiternels chiens écrasés.
Utilisateur anonyme
03 novembre 2008, 15:32   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
Oui mais si vous lisez René Char comme vous lisez Francis...
"Nul rossignol n'a le coeur à chanter dans un buisson de questions".
Mais, au fait, quelqu'un ici pourrait-il nous dire ce que c'est au juste que cette poésie dont j'entends parler sans arrêt ?
03 novembre 2008, 17:09   Qu'est-ce que la poésie?
En d'autres temps, la question fut posée à des hypokhâgneux de Montpellier par leur professeur, féroce géant arthurien. Nous ne répondîmes rien, baissant la tête, attendant que la question devienne une dissertation à rendre la veille, résignés d'avance à quelque brillante joute intellectuelle entre le géant et lui-même. Il finit par nous citer (peut-être de mémoire, mais je suis incapable de vous dire d'où cela vient) cette phrase de Valéry : " Certains se font de la poésie une idée si vague que ce vague même est devenu l'idée de poésie. " J'aimais profondément Valéry en ce temps-là, depuis trois longues années (qui me paraissaient une éternité), j'étais fou de La jeune Parque et ceux qui tombaient par hasard sur cette mienne particularité s'étonnaient et disaient que je retardais de septante ans (au moins, car j'aimais aussi certaines pièces de L'album de vers anciens ). Je me gardai bien d'ouvrir la bouche ce jour-là, comprenant précocément qu'il ne s'agissait pas du tout, dans ce cours, d'atteindre quelque vérité que ce soit, mais d'aller s'exposer bêtement aux sarcasmes du géant. Ce jour-là, la poésie, c'était l'oppression.

J'ai longtemps esquivé cette question, même quand j'entrepris de lire tout Muray et d'étudier son opinion sur le sujet. Je vous répondrais volontiers, cher Francmoineau, que la poésie, c'est La jeune Parque, deux vers (et plus) du poème de Lucrèce (III, 16-17), ce que j'ai lu de Li Po et d'Omar Khayyâm, etc. Mais cela risque de ne pas satisfaire. Je rejette de toutes mes forces toute définition de la poésie qui ferait l'économie des mots, pour en faire une espèce d'attitude devant la vie, ou de pose à fanfreluches bretonnesques rebelles. La poésie est une certaine façon de disposer les mots de sorte qu'ils résonnent entre eux, et aussi à l'oreille, à l'imagination comme à l'esprit (ce qui permet d'imaginer une poésie philosophique) du lecteur.
03 novembre 2008, 17:11   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
S'éveillant de l'ivresse un matin de printemps


Puisque vivre en ce monde est le songe d'un songe
Ni souci ni travail ne me le gâcheront. Et du matin au soir je bois et je m'enivre
Endormi, allongé sur le pas de ma porte.

Lorsque je me réveille, il y a le jardin,
Un seul oiseau qui chante au milieu des fleurs
Je ne sais plus le jour, la saison, ni le temps
Un loriot sans repos bavarde dans le vent.

Tant me touche son chant que je pousse un soupir.
le vin est devant moi. Je m'en verse une coupe,
Puis j'attends en chantant que la lune se lève,
Et ma chanson finie je rerourne à l'oubli.


Connaissez-vous le très beau livre de Claude Roy sur LI PO : " L'ami de l'an mil " ?
03 novembre 2008, 18:00   Retour à Chirac
Ayant, à juste titre, été tancé pour avoir fait dévier un autre fil, je reviens avec obstination à mon premier propos.

M. Chirac, qui a tout fait pour passer pour un ignare, est, j'en suis d'accord avec Francis, un homme d'une rare complexité. Par exemple, je ne l'ai jamais considéré comme de droite, je l'aurais très bien vu rad'soc.

J'avoue avoir été très surpris par quatre faits : la lecture du livre de Claude Péan ; le comportement de François Mitterrand sur sa fin ; la relation avec les Rol-Tanguy ; l'affaire du musée du Quai Branly.


Dans ce dernier cas, ayant connu dans les années 70 la véritable horreur qu'était le Trocadéro, je n'ai jamais compris la polémique qui s'ensuivit. Entendons-nous : on peut très bien ne pas partager l'appétit de M. Chirac pour l'art premier, mais il m'a semblé, dans cette affaire, sincère et, au moins, connaître son sujet.

Ce domaine des arts premiers étant tout de même assez limité, je voudrais savoir si le reste de sa "culture" est de la poudre aux yeux, ou bien s'il a un aspect réellement "honnête homme". J'ajoute que, pour moi, la France a eu des présidents fort cultivés avec MM. Pompidou et Mitterrand (pour le général, nous avions affaire à une personnalité beaucoup plus classique dans ses goûts).
Utilisateur anonyme
03 novembre 2008, 20:41   Re René Char en ses poèmes
Je le lis, Orsoni, notamment avec l'aide de Paul Veyne qui , dans René Char en ses poèmes, Gallimard 1990, donne quelques pistes d'interprétation sur ce poème qui ne sont pas celles de Francis.
Utilisateur anonyme
03 novembre 2008, 22:19   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
"quelques pistes d'interprétation sur ce poème qui ne sont pas celles de Francis."

Euh... sans vouloir vous froisser, quelles sont-elles les pistes d'interprétation de Francis ?
Utilisateur anonyme
03 novembre 2008, 22:25   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
"La poésie est quelque chose de plus que les poètes", Georges Sand, "Questions d'art et de littérature".
04 novembre 2008, 08:31   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
» la poésie est de toute façon faite pour les gogos

Au sens où il faut vouloir s'y laisser prendre, je veux bien. Mais dites-moi, la musique est-elle faite, elle aussi, pour les gogos ? Et la philosophie ?
04 novembre 2008, 09:43   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
A mon sens non, Bernard. La musique n'est pas faite pour le gogo social, langagier, pauvrement civilisé. Pour commencer la musique vous saisit. Vous n'avez de toute votre vie, supposons, jamais entendu de musique autre que celle du vent et des oiseaux, et de la rivière. Le jour où sonnera à vos oreilles le shamisen, le luth chinois, le kinkai, vous pleurerez, les larmes jailliront malgré vous. Vous connaîtrez un trouble profond, extatique, auquel rien, croyez-vous, ne vous aura préparé. Confucius rapportait cette expérience. La musique dépasse, précède la poésie, toujours conventionnelle (la poésie, comme vous venez de le dire, nous touche par convention, parce qu'on se prête à elle de bonne grâce, contractuellement, on se dispose à elle - belles pages de Jean Paulhan sur la question.)

La philosophie est pour moi plus mystérieuse. Il se pourrait qu'elle joue sur les deux plans simultanément, celui où nous saisit la musique comme celui où la poésie nous invite à la rejoindre.
04 novembre 2008, 09:58   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
» A mon sens non, Bernard. La musique ...

Ceci ouvrirait une discussion qui me passionnerait, et qui touche à l'une de mes préoccupations actuelles... Mais je ne voudrais pas squatter le forum avec un sujet excentrique ou exotique... Voudriez-vous que l'on continue en privé, avec Boris, s'il le souhaite, et celui qui le voudrait ? Ou ici quand même ?
04 novembre 2008, 10:01   Conventions et contrats
"Vous n'avez de toute votre vie, supposons, jamais entendu de musique autre que celle du vent et des oiseaux, et de la rivière."
Non, ne supposons pas, puisque cela n'existe pas, une telle situation.
Quant à la convention, elle recouvre le champ entier des productions humaines, pourquoi en exclure la musique ? La bonne grâce qui y est aussi nécessaire qu'aux autres arts vous échappe parce qu'elle remonte à la petite enfance.
Utilisateur anonyme
04 novembre 2008, 10:23   Re : Eloge d'une soupçonnée
La poésie me soulève de terre plus encore que la musique. Elle me requalifie :

Citation

La poésie est de toutes les eaux claires celle qui s'attarde le moins aux reflets de ses ponts.
Poésie, la vie future à l'intérieur de l'homme requalifié.
René Char, Le Poème pulvérisé
La poésie, c'est peut-être tout simplement ce qui ne peut pas se résumer.
Utilisateur anonyme
04 novembre 2008, 10:32   Résumons-nous
Là, vous me permettrez de vous trouver un peu court, Jeune Francmoineau ! Je préfère aller du côté de Char avec Corto…
Utilisateur anonyme
04 novembre 2008, 10:44   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
"Confucius rapportait cette expérience"

Et afin de mieux réguler les relations humaines Confucius proposait (en plus des rites) différents types de musiques circonstanciés, souvent très dépouillés, aptes à engendrer le sens du rythme et de l'harmonie, dans les rapports que tout homme doit entretenir avec autrui.
04 novembre 2008, 13:56   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
Ecoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire.
Elle est discrète, elle est légère :
Un frisson d’eau sur de la mousse !

La voix vous fut connue et chère
Mais à présent, elle est voilée,
Comme une veuve désolée.
Pourtant, elle est encore fière...

Ecoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire.
Elle est discrète, elle est légère :
Un frisson d’eau sur de la mousse !

Et dans les longs plis de son voile
Qui palpite aux brises d’automne,
Cache et montre au coeur qui s’étonne
La vérité comme une étoile.

Elle dit, la voix reconnue,
Que la bonté c’est notre vie,
Que de la haine et de l’envie,
Rien ne reste, la mort venue.

Elle parle aussi de la gloire
D’être simple sans plus attendre
Et de noces d’or et du tendre
Bonheur d’une paix sans victoire.

Accueillez la voix qui persiste
Dans son naïf épithalame.
Allez, rien n’est meilleur à l’âme
Que de faire une âme moins triste !

Elle est en peine et de passage,
L’âme qui souffre sans colère,
Et comme sa morale est claire !...
Ecoutez la chanson bien sage.
Utilisateur anonyme
04 novembre 2008, 14:01   Re : Eloge d'une soupçonnée
Florentin, cher jeune homme sensible, est-ce de vous ?
04 novembre 2008, 14:07   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
Pardon j'ai oublié les guillemets. Mais c'est si connu que je n'y ai pas songé.
04 novembre 2008, 15:56   Padre Patrone
Je crois cette objection absurde cher Francmoineau. "Confucius rapporte cette expérience" veut dire qu'il avait été celui qui n'eût connu que le chant des ruisseaux.

Vous souvenez-vous de ce film italien des frères Taviani, Padre Patrone? On y voit un jeune pâtre, qui pour n'être pas de Corfou n'en est pas moins sarde, qui garde ses moutons, employé par son père, un tyran et une brute, qui le bât et le laisse dans l'isolement des montagnes. Un jour il entend le son d'un accordéon, quelqu'un en joue non loin de là, dans ce paysage désolé. Emu comme par une révélation il se précipite armé d'un couteau sur une bête, l'égorge sur le champ et accourt la présenter au musicien pour avoir son accordéon. Ce sacrifice pour une révélation lui vaudra d'être battu encore et plus fort et de subir mille sévices et humiliations de la part de son père. S'il n'avait pas eu de mouton à donner, le jeune berger aurait donné un bras pour avoir cet instrument magique et nouveau.

Ajoutons en codicille que ce film, tiré du roman "PADRE PATRONE L'EDUCATION D'UN BERGER SARDE" de Ledda Gavino, s'inspire d'un vécu. A la fin du film, l'homme qui avait été ce berger, devenu depuis enseignant de linguistique à l'université, apparaît, chose inhabituelle dans le cinéma de fiction.
04 novembre 2008, 16:24   "L'Ami Li Po", par le Chef Gogo
le vin est devant moi. Je m'en verse une coupe,

李白 se prononce "Li Paï", ou li bai en pinyin (et non Li Po).

Pour ce qui de ce le vin: voilà un autre facteur d'irritation, pardon Cassandre, mais vous qui ne connaissez peut-être pas le chinois devez cependant sentir que quelque chose cloche dans la présence du gros rouge de Béziers chez un poète Tang sous la lune, non ?

Le vin, boisson fermentée après pressage du fruit, évoque le pressoir mystique des Occidentaux, en d'autres termes la chose occidentale et chrétienne par excellence chez l'homme de bien qui lit ce poème en français, soit la notion la plus étrangère au monde qui soit au monde chinois, à la poésie chinoise dont nous parlons ici, où doit régner, ou règne de toute façon la distillation du sens et des émotions.

Donc, 酒 (qui est jiu en pinyin et qui se prononce chiou) c'est la liqueur, pas le vin. Le vin n'a jamais eu sur l'esprit les effets évoqués par Li Paï. Certaines liqueurs, si.

Le vin rouge sang, inutile de vous en faire des tonnes, chacun ici sait à quoi il renvoie, et chacun voit parfaitement la catastrophe pour la poésie de sa présence incongrue dans le poème. Mais rien n'y fait. Par convention, on aime, on s'émeut. Re-pouah!
Utilisateur anonyme
04 novembre 2008, 16:52   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
"(...) "Le temps trompeur nous dissimule ses traces, mais il passe, rapide", dit le poète Li Po, qui ajoute : "Vous gardez peut-être encore le caractère gai de la jeunesse - mais vos cheveux sont déjà tout blancs ; et à quoi bon vous plaindre ?" Je ne pense à me plaindre de rien, et certainement pas de la manière dont j'ai pu vivre."

Guy Debord, "Panégyrique", tome premier, p. 15.
Bon, peut-être le vin de Khayyam trouvera-t-il grâce aux yeux marchiens, alors ?

La vie s'écoule. Que reste-t-il de Bagdad et de Balk ? Le moindre heurt est fatal à la rose trop épanouie. Bois du vin, et contemple la lune en évoquant les civilisations qu'elle a vues s'éteindre.
Utilisateur anonyme
04 novembre 2008, 17:06   Re : "L'Ami Li Po", par le Chef Gogo
« Le vin rouge sang, inutile de vous en faire des tonnes, chacun ici sait à quoi il renvoie, et chacun voit parfaitement la catastrophe pour la poésie de sa présence incongrue dans le poème. Mais rien n'y fait. Par convention, on aime, on s'émeut. Re-pouah! »

Non, désolé, Francis, mais le vin ne me gêne pas du tout. Ni nommer Li Po votre poète…
Pardon Francmoineau, mais la Chine des Tang n'a jamais connu le Shiraz ou alors que très très marginalement. Bagdad si, et pour cause...
04 novembre 2008, 18:53   Re : "L'Ami Li Po", par le Chef Gogo
Cher Francis, vous n'avez pas à vous faire epardonner. Je ne suis pas la traductrice de ce poème et suis tout prête à admettre votre traduction.

Cet autre poème, où la boisson n'es tpas nommée, sera peut-être plus à votre goût:

Rêver qu'on vit ? Vivre un rêve ?
Pourquoi se faire du souci ?
Le sage est toujours ivre,
Il dort le reste du temps.
Ce que j'ai fait. Me réveillant
Je vis un oiseau qui chantait parmi les fleurs.
Je demandai : " quel jour est-on ? "
" C'est le printemps ", répondit-on.
" Le loriot chante. " J'ai soupiré.
La voix du chanteur me touchait.
Je me suis servi à boire
Et j'ai chanté en attendant
le lever de la lune.
A la fin de ma chanson
J'avais enfin tout oublié.
Je vous remercie de ce poème Cassandre. J'aime et j'admire Li Bai. Le petit problème du vin qui n'en est pas n'est nullement propre à la traduction de ses poèmes; on s'y heurte dans toutes les traductions du chinois. Le vin de raisin se dit pú tao jiu en chinois; dans les étymologies entrecroisées (sens + phonétique), ce pú tao (où la grappe de raisin figure dans la graphie) dérive du mot qui en chinois donne la translittération du nom Portugal. Vous devinez déjà pourquoi.

Le génie si particulier de cette langue se révèle ici, dans la néologie: elle se permet en effet d'inventer par sa graphie, en puisant dans son immense stock graphique, un mot qui contient un sémantème pictographique en même temps qu'elle se débrouille pour que ce sémantème fasse sonner le nom de la chose (Portugal d'où provinrent les premières barriques au breuvage rubis). Il n'y a pas de néologie en langue chinoise qui ne soit double harmonie imitative.

Des dizaines, peut-être des centaines de mots existent qui se prononcent pú tao comme "Portugal" et qui ne feraient pas voir la grappe; des dizaines d'autres feraient voir la grappe sans nommer le Portugal; or la langue a eu le génie de trouver celui-là, de lui tomber dessus sans faillir, du premier coup (presque comme si le nom, de tout temps, avait précédé la chose, l'événement même, celui de la venue des Portugais à Macao).

Alors je vous laisse imaginer tout ce que peut contenir de sens et d'images, et de dialogue entre les deux, un poème de Li Bai !

pú tao jiǔ (vin de raisin) = 葡萄酒
Portugal = 葡萄牙

On voudra à présent noter que ce 葡 (pú), du raisin contient en sa "partie phonétique", encore un surcroit de sens, ou de renvoi au sens; en effet, en diététique chinoise traditionnelle, ce qui est bu et qui s'écrit 補 (remarquez-vous que la partie droite de cette graphie est bien celle que l'on retrouve dans le coin sud-ouest de la graphie précédente?) se dit de tout fortifiant, complément alimentaire naturel, etc. C'est ainsi que celui qui entend pú tao jiǔ (vin de raisin) ne peut pas ne pas voir ou entendre mentalement (image sonore) que ce vin de raisin n'est pas une boisson mais un complément alimentaire. Et c'est ainsi que traditionnellement, par la magie de cette évocation sonore (un son "bu", proche de "pu" renvoyant à un sens 補, à la fois parent et "contaminant métonymique" de 葡), le vin-de-raisin, ou vin-du-Portugal, se trouve utilisé par les Chinois en cuisine ou en apéritif, et n'est ni vin de table, ni vin de fête.

D'où mon irritation: la petite fête sous la lune de Li Bai ne peut être aidée par un fortifiant, pas plus que par un vin de sauce.

Vous vous voyez, Cassandre, vous enivrer au madère de sauce pour rêvasser sous l'astre nocturne au sens de l'existence ? C'est pourtant ce que font nos traducteurs de Li Bai qui mettent du vin du Portugal dans la tasse du poète.
Merci, cher Francis, pour ces explications lumineuses.
06 novembre 2008, 15:37   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
la poésie est de toute façon faite pour les gogos

Bernard Lombart : « Au sens où il faut vouloir s'y laisser prendre. »
Francmoineau : « La bonne grâce qui y est aussi nécessaire qu'aux autres arts »

L’état d’accueil, la capacité de se laisser entraîner dans l’« artifice », dans le jeu des associations en chaîne des images, voilà comment je peux (veux) comprendre à mon tour l’affirmation de Francis Marche. Je repense à un chapitre bien précis des écrits de Tapiés « La pratique de l’art », dans lequel il tente de répondre à la sempiternelle question de certains spectateurs « Qu’est-ce que ça représente ? Qu’est-ce que ça veut dire ? ». Avant d’aborder le coeur de l’ « affaire », il s’attache à définir l’état d’esprit souhaité du « regardeur » de tableau. Il avance un parallèle avec celui d’un spectateur qui se rendrait à une séance de prestidigitation et imagine l’ennui qi serait le sien s’il décidait de s’y rendre avec pour seule préoccupation de découvrir les truc du magicien. J’ai recherché et retrouvé le passage : « Plus il connaît des trucs et plus le spectacle lui paraît stupide, car tout cela n’est absolument rien : c’est une pure illusion, faite pour réjouir les innocents qui s’y laïussent tromper. Voilà ce qui est plaisant, et voilà la poésie ».
Je me permets de « revenir encore au domaine de la peinture, si proche et puisqu’aussi bien c’est son but. Il fait appel à la légendaire sagesse orientale en matière de méditation devant une œuvre d’art ou un objet particulièrement précieux. Ils savent, dit-il, que pour qu’un objet remplisse sa fonction, il doit être entouré d’un certain mystère, d’une certaine solennité ; Il détaille alors les étapes obligées du rite de contemplation. (Francis Marche confirmera ou infirmera !). Je reprends le texte :
« Les Japonais …) gardent tous leurs objets cachés et ne les sortent que quand on est disposé à leur accorder l’attention qu’ils méritent. Alors apparaît tout d’abord un coffret de bois, admirable dans sa simplicité, et qu’il faut contempler. Puis on tire un paquet enveloppé dans un tissu précieux, plié et noué avec un art raffiné. L’admiration accroît le mystère et la hâte de voir. Et l’on éprouve l’émotion de voir, comme pour la première fois, la pure existence des choses. Une nouvelle enveloppe, et après ce long suspens nous apparaît toute la beauté d’une fragile porcelaine, éblouissante dans sa simplicité ; L’objet est un cosmos, l’univers fait présence, et il faut, comme un rite, l’isoler de tout en le déposant sur une sorte d’autel. Il faut s’asseoir devant lui, avec dévotion et méditer pour découvrir tout ce que son auteur y a mis d’intimité et de grandeur, de sentiment et d’idéaux. Et puis, la condition éphémère et fragile de la porcelaine (comme du papier ou de la soie de peintures orientales, come l’art du bouquet) a une grande importance, car elle stimule nos soins amoureux, notre attention vigilante ; elle nous incite à aimer les choses dans leur précarité, à comprendre qu’elles sont vouées à l’altération. »

("La pratique de l'art ", Antoni Tapiés, folio essais)
06 novembre 2008, 16:00   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
Il me semble, chère Aline, que vous mélangez tout. Le rite (rite si l'on veut) japonais de l'objet sorti exceptionnellement n'est en rien une réponse à la sempiternelle question de certains spectateurs « Qu’est-ce que ça représente ? Qu’est-ce que ça veut dire ? ». Qu'il s'agisse de kakemonos (peintures ou calligraphies sur papier), de porcelaines ou de sabres, ces objets ne suscitent pas, chez les ploucs de mon genre, cette sempiternelle question car nous savons que, même si leur sens, ou une partie de leur sens nous échappe, il existe et peut être trouvé. Je précise : il existe en dehors de la contemplation et peut être découvert par un travail d'élucidation qui n'est pas dans la contemplation. Celle-ci ne prend tout son sens qu'une fois ce travail d'élucidation accompli (même si, bien sût, c'est en elle que réside l'essentiel).
Utilisateur anonyme
06 novembre 2008, 16:31   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
« les innocents qui s’y laïussent tromper »

Quelle belle devise !
Utilisateur anonyme
06 novembre 2008, 16:37   M. Marcel et l'Asie
Marcel, je vous le dis en aparté, j'aime assez les ploucs de votre genre.

Cette "sempiternelle" problématique de ce qui est intéressant ou pas, en soi, est "un problème" qui me semble dû avant tout à ceux qui regardent (ou écoutent) sans discernement, c'est-à-dire qui ne font ni l'un ni l'autre. Car lorsqu'on ne perçoit pas les différences, on est toujours en train de se demander : mais qu'est-ce qui fait donc, nom d'une pipe qui n'est pas, qui différencie ceci de cela, pour eux ?
Merci à Marcel Meyer de nous donner ainsi envie de lire ces essais sur l'art d'Antoni Tapiès. Le visiteur s'étonne au Japon de ce qui sous d'autres cieux serait condamné comme "suremballage" des objets, et plus spécialement des objets de transactions, des cadeaux, des pièces vouées à la transmission et à la contemplation, l'une et l'autre étant fondue dans un même acte (le contempler ensemble).

L'art de l'emballage, sorte de soin cutané de l'objet et de l'être, paraît consubstantiel à cette civilisation. L'usage du papier laisse place hélas de plus en plus au cellophane divers, ce qui n'est pas sans conséquence pour la santé des populations, craint-on, à lire les statistiques du cancer, maladie qui partout au monde se banalise avec l'usage intensif et croissant de la matière plastique dans le quotidien, mais qu'importe, les Japonais préfèrent la mort à l'objet cru, donné cru. Plutôt mourir du cancer que de se passer de la chose habillée, que de se passer de poésie.

Je ne sais pas si l'on a beaucoup écrit sur ce que contient l'emballage de l'objet et de sens son effeuillage. Cet effeuillage est bien ce qu'en dit Tapiès: un voyage dans le cosmos, pas moins. Je n'ai guère le temps de développer cette idée à cette heure mais voici pour éclairer le propos une anecdote qui m'a été rapportée.

Nous ne sommes pas au Japon mais en Afrique, dans le pays Dogon. Des hommes voyagent à l'arrière d'un camion, sorte d'autobus de savane ou de désert. Ils ne se connaissent pas. Tous somnolent dans le cahot dolent de la route qui n'en finit pas. Leurs bagages sont épars auprès d'eux. L'un fixe des yeux le bagage d'un autre, et penche très insensiblement le buste vers le paquet mystérieux, s'hypnotise à le contempler, se saoule de spéculation muette quant à son contenu, et à la faveur de la somnolence a demi feinte, laisse sa main s'en approcher. L'autre ne bronche pas. De longues minutes passent, des dizaines de kilomètres. La main, doucement, s'intéresse au noeud du paquet, le tâte, et rêveusement, le défait. Il faut un temps très long, une durée de route interminable pour que la main du dormeur ait enfin ouvert l'enveloppe du grand sac de l'autre dormeur. Le paquet se défait. Apparaît alors son contenu: un autre paquet, semblable au premier, est ce que rencontre la main voyageuse. La main se retire. L'homme se réveille. Le voyage de la main de l'homme a pris fin. La main,l'homme, sont satisfaits: ils ne connaîtront jamais le bout du cosmos. Le cosmos et son enveloppe ne font qu'un: l'infini est un.
06 novembre 2008, 21:14   Re : Monsieur Chirac et l'Asie
Mais non, cher Marcel, je ne mélange pas tout. C’est que sans doute je me suis mal expliquée. Ou plutôt que je ne suis pas allée au bout de la réflexion de Tapiés. Ces deux exemples ne sont que les préalables à la tentative de réponse qu’il tente de donner à la sempiternelle question qu’on lui pose : « Que voulez-vous dire dans ce tableau ? ». (C’est la transcription complète du chapitre que je devrais faire). Il avoue s’y refuser de manière générale parce que, dit-il, les exégètes et critiques d’art sont faits pour cela ; et que d’autre part, il ne voit pas comment en quelques mots, il pourrait résumer un travail ayant demandé de longues années de maturité. Mais devant la récurrence de la question et la « bonne foi » présumée de ces personnes, il se décide, dans cet ouvrage, dans ce chapitre, à donner quelques explications ou clés de lecture d’une de ses œuvres particulièrement absconse pour certains : « Paille et bois ». Il pose alors comme évident l’état particulier de disponibilité dans lequel doit se placer le spectateur pour apprécier cette œuvre (matiériste comme le sont toutes ses oeuvres). Sa volonté de jouer le jeu. Et c’est là qu’il fait intervenir cette fameuse solennité japonaise, ce « rituel » respectueux afin de faire un parallélisme. Ce n’est donc pas des admirateurs d’art japonais qu’il parle (et certainement pas de ploucs ! vous êtes bien sourcilleux ces temps-ci, si vous me permettez, et très amicalement, cher Marcel !). Mais il n’impose aucune interprétation de son œuvre. Je vous recopie un extrait vers la fin du chapitre :
« « Et tout le monde a le droit de lui dire (à l’artiste) qu’il est un farceur, que tout est faux, que c’est une illusion. Car lui aussi en est convaincu. C’est une porte qui mène à une autre porte. L’art, fût-il excellent, sera toujours une manifestation de la mayà, de l’illusion éternelle. La vérité que nous cherchons ne se trouve pas dans un tableau ; elle n’apparaîtra que derrière la dernière porte, que seul l’effort personnel du spectateur lui permettra de franchir*. » (Chapitre « Rien n’est mesquin », P.264 à 284)

*C’est moi qui mets en gras
Merci, cher Francis pour votre beau texte prolongeant la réflexion de Tapiés.
Quelques mots encore, pour vous :
« C’est sans doute parce que moi aussi j’éprouve cet amour des choses fugaces que j’ai toujours trouvé absurde tout ce qui dans l’art occidental représente le contraire : l’abondance ou la fabrication en série, les matériaux trop solides ou trop « techniques ». Et c’est peut-être parce que je crois au « rituel » de la contemplation – du savoir-lire – que je trouve étrange que l’on veuille, comme on dit aujourd’hui , faire descendre l’art dans la rue, c’est-à-dire lui faire perdre ce qui est un de ses ressorts fondamentaux, son caractère de jeu conventionnel. »

(Le titre de ce chapitre (Rien n’est mesquin ) écrit en février 1970, est celui d’un extrait du poète catalan Joan Salvat-Papasseit (1894-1924)

car pour renaître, il vous faut mourir
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter