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Fusée d'Attali ce matin sur France Inter

Envoyé par Quentin Dolet 
"Condamner les spéculateurs, c'est condamner Spinoza !"
Question raccourcis, il me bat.
Certes, l'équation entre Spinoza et les spéculateurs ou entre la condamnation des uns qui équivaudrait à la condamnation de l'autre est ridicule. Il n'en reste pas moins vrai qu'elle repose sur une intuition juste, comme l'atteste la langue. Je n'en veux pour preuve que les quelques extraits cités ci-dessous d'articles de dictionnaires anciens :

Dictionnaire de l'Académie française, quatrième édition, 1762, entrée "spéculer" :
"Regarder ou observer curieusement, soit avec des lunettes, soit à la vue simple, les objets célestes ou terrestres. Il passe la nuit à spéculer les astres, ou simplement à spéculer. Il spécule sans cesse. On dit plus communément, Observer.
Il signifie aussi, Méditer attentivement sur quelque matière; & alors il est neutre. Ce n'est pas le tout que de spéculer, il faut réduire en pratique".

Dictionnaire de L'Académie française, cinquième édition, 1798 :
"Regarder ou observer curieusement, soit avec des lunettes, soit à la vue simple, les objets célestes ou terrestres. Il passe la nuit à spéculer les astres, ou simplement à spéculer. Il spécule sans cesse. On dit plus communément, Observer.
Il signifie aussi, Méditer attentivement sur quelque matière; et alors il est neutre. Ce n'est pas le tout que de spéculer, il faut réduire en pratique.
Il signifie plus particulièrement, Faire des projets, des raisonnemens sur des matières de finance, de commerce, de politique. Il a beaucoup spéculé sur les matières de banque, dans les matières de banque".

Émile Littré, Dictionnaire de la langue française (1872-1877)
1. Observer curieusement les objets célestes ou terrestres (acception vieillie ; on dit observer). Il passe la nuit à spéculer les astres.
Absolument. Il spécule sans cesse.
2. V. n. Méditer attentivement. Spéculer sur les matières politiques.
Créer des théories, par opposition à mettre en pratique.
DIDER., Lett. sur la chirurg.: Il importe de savoir l'énorme différence du style de celui qui a pratiqué et de celui qui n'a que spéculé
3. Faire des projets, des calculs, des entreprises de banque, de commerce, de finances.
P. GIRAUDEAU, la Banque rendue facile, p. 122: On peut spéculer sur toutes sortes de marchandises
P. L. COUR., Lett. à M. Renouard.: Accusé de spéculer avec vous sur ce fragment de Longus, dont je vous faisais présent
P. L. COUR., Gazette du village.: Jean Choinart, fermier, approchant l'août, va voir ses blés, trouve sa récolte trop belle (il avait spéculé sur la hausse en grains), rentre chez lui et se défait
Spéculer sur les malheurs publics, se dit des fournisseurs, des entrepreneurs, qui profitent des circonstances difficiles pour s'enrichir en imposant à l'État des marchés onéreux.

Et surtout, dans le Supplément au Dictionnaire (1877), cette perle :
H. BAUDRILLART, Journ. offic. 12 août 1877, p. 5754, 3e col. : Tout atteste alors [au temps de la Régence] cette révolution opérée par la richesse, par le luxe et par l'amour de l'argent ; même la langue en témoigne : spéculer au XVIIe siècle, c'était méditer sur la métaphysique ; cela signifie, au XVIIIe, jouer à la hausse ou à la baisse

A Baudrillart, l'on pourrait objecter que l'emploi de spéculer dans la langue de la finance n'a pas éliminé l'emploi de spéculer en métaphysique et en philosophie. Les deux opérations ont plus de points en commun qu'on ne le pense généralement.
Oui, eh bien moi c'est un spéculum que j'emploierais volontiers pour introduire dans la cervelle de M. Attali la notion de marché comme causa sui.
Utilisateur anonyme
03 novembre 2008, 23:10   Re : Fusée d'Attali ce matin sur France Inter
"cette révolution opérée par la richesse, par le luxe et par l'amour de l'argent ; même la langue en témoigne : spéculer au XVIIe siècle, c'était méditer sur la métaphysique ; cela signifie, au XVIIIe, jouer à la hausse ou à la baisse"

Pour ma part je retiendrai ceci. Merci beaucoup pour ce message.
03 novembre 2008, 23:34   Intervention de M. Attali
Bien cher JGL,


Le texte de M. Attali me semble particulièrement fautif (vous voyez que mon indulgence pour les anacoluthes est compensée par davantage de fermeté ailleurs).

En premier lieu, défendre la langue française, c'est la défendre dans son état actuel "cultivé". Prenons un exemple. Pour tout Français correctement éduqué, lire dans un texte "souffrez, Monsieur, que je vous baise" signifie qu'on embrasse quelqu'un. Il ne viendrait cependant à l'esprit de quiconque d'utiliser ce mot dans cette acception vieillie.

En second lieu, il y a là une sorte d'anti-anacoluthe intellectuelle (la figure de rhétorique est proche du zeugma, cela doit avoir un nom) : spéculateur est utilisé dans deux sens différents !

Enfin, si l'usage de "spéculer" est effectivement attesté, comme vous nous le prouvez, qu'en est-il de "spéculateur" ?
Il en va de même de "spéculateur", si l'on en croit Littré.

Littré, Dictionnaire de la langue française (1872-1877)
spéculateur
1. Celui qui observe les astres, les phénomènes célestes. LA FONT., Fabl. II, 13: Revenons à l'histoire De ce spéculateur qui fut contraint de boire [astrologue tombé dans un puits] Vieilli en ce sens. On dit observateur.
2. Terme de guerre usité dans le XVIIIe siècle, chez les auteurs militaires tels que Maizeroy et Monchablan. Sentinelle, batteur d'estrade.
3. Celui qui se livre à des spéculations théoriques. CYRANO DE BERGERAC, Pédant joué, v, 10: Je ruminais encore à ces spéculateurs qui tant de fois ont fait faire à leurs rêveries le plongeon dans la mer, pour découvrir l'origine de son flux et de son reflux MOURGUE, Instit. Mém. scienc. phys. et math. Sav. étrang. t. I, p. 34: Des phénomènes entrevus par divers savants et spéculateurs
Vieilli en ce sens. C'est spéculatif qui l'a remplacé.
4. Celui qui fait des spéculations de banque, de commerce, etc. C'est ce qui nous a déterminés à abandonner le projet que nous avions eu de vous proposer une disposition particulière pour les spéculateurs, la définition de ce terme étant très difficile dans une loi, Décret du 23 floréal, Rapport Cambon, p. 95. Les spéculateurs.... ne seront cependant privés que du bénéfice usuraire qui résultait de leur spéculation, ib. p. 101.
On dit au féminin : une spéculatrice.
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