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L'"obamania" selon André Glucksmann.

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
12 novembre 2008, 11:52   L'"obamania" selon André Glucksmann.
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Obamania et renoncement
de l'opinion européenne

Par André Glucksmann, philosophe
11/11/2008 |Le Figaro.


En élisant Obama, les Américains - et le monde tout entier - semblent avoir succombé à une vision postmoderne de l'histoire, qui s'apparente à une démission.

Étonnons-nous. L'intronisation sur la planète de nouveaux dirigeants évidemment nous importe, que ce soit à Moscou ou à Pékin. Toutefois, en ce 4 novembre 2008, nous ne fûmes pas simplement concernés, mais remués, bouleversés, transportés.

L'élection de Barack Hussein Obama n'est pas seulement un événement objectif, c'est un avènement subjectif. Preuve que les États-Unis demeurent, malgré tous leurs détracteurs, capitale de la mondialisation. Entendons : non pas une hyperpuissance, mais un phare. Non pas le centre du monde, mais le pivot d'une communauté de destin qui nous lie pour le meilleur ou pour le pire. Les derniers mois, nous vécûmes bon gré mal gré à l'heure de Manhattan et nous avons frémi comme jamais lors d'une échéance électorale.

Le triomphe d'Obama fut homologué «historique» par ses adversaires - McCain, Bush, Condoleezza Rice - et salué par les mêmes avec les larmes d'une sincère émotion comme la victoire des États-Unis d'Amérique tout entiers. Elle prolonge la lutte contre l'esclavage et le combat pour les droits civiques.

Elle n'incarne pas une victoire communautariste des «Blacks», mais au contraire une transgression universaliste, une émancipation générale, où les Blancs, les grands et les petits, les «Wasp» et les sudistes échappent à leurs angoisses, leurs égoïsmes et leurs préjugés traditionnels, où les Africains-Américains dépassent leur enfermement et l'esprit de revanche, si magnifiquement décrits dans les films de Spike Lee. À son «Do the right thing», la réponse tombe : «Yes, we can !» Le «rêve américain», jamais totalement accompli, est une prise de risque sans cesse recommencée. Il instaure dès l'origine une société d'immigrés, un pays de dépaysés, une communauté de déracinés qui se reconnaissent une patrie dans l'avenir et qui petit à petit construisent une société de complet métissage, où hommes et femmes - noirs, blancs, métis, chocolat, café au lait, anciens et nouveaux venus aux religions multiples et à l'infinité des goûts - se projettent avec d'autant plus de patriotisme, égaux en droits et en devoirs.

Pareille pulvérisation prolongée des tabous, les plus intimes, douloureux et supposés indépassables, parle au monde : s'ils le peuvent, pourquoi pas nous ? Dans un pays qui connût il y a cinq générations l'esclavage, la ségrégation il y a trois décennies et qui vit une inégalité ethnico-sociale flagrante encore de nos jours, un «Noir à la Maison-Blanche» sidère et permet à la terre entière de percevoir une issue. Voilà qui explique notre adhésion lucide. Reste à scruter notre dévotion aveugle.

Étonnons-nous de nous. L'électeur américain s'est offert une «obamania» politique et festive, sagement majoritaire en bonne démocratie, avec un score adulte de 53 %. Le spectateur européen a cultivé, bien avant les résultats, une «obamanie» unanimiste, nord-coréenne et quasi religieuse à 84 %. Le taux d'adulation atteint parfois 93 % ! Comme si le Messie était apparu, non à Washington, mais entre Paris et Rome, Berlin et Bruxelles, comme s'il étendait son aile conciliatrice sur l'ensemble de la planète. Nous, Européens, avons allègrement gommé toutes les aspérités du candidat. Il soutient la peine de mort que nous sommes si fiers d'abolir. Il n'interdit pas la vente libre des armes qui nous paraissaient jusqu'à hier le signe fatidique de la barbarie américaine et de cette mentalité de cow-boy que nous, gens de qualité et de raffinements multiséculaires, vomissons. Wall Street, le temple honni de la spéculation carnassière, l'a choisi et financé, ce qui n'inquiète manifestement plus nos gauches antilibérales. Les yeux fermés, nous sommes satisfaits de tout ignorer des projets concrets qu'il n'a du reste pas dévoilés en matière de crise économique et internationale.

Notre rêve européen adoube un homme providentiel dont on attend tout sans rien exiger d'avance. Nos fantasmes couronnent un nouveau président innocent de nos péchés historiques, un leader blanc comme neige - simplement «bronzé» selon Berlusconi, qui l'intronise en alter ego de Poutine, ce fameux exterminateur de «culs noirs» caucasiens. À l'inverse, McCain, héros rescapé des geôles vietnamiennes, faisait tache ; son corps couturé par les blessures du tragique XXe siècle fut d'office ostracisé par la bien-pensante volonté d'oublier. Les opinions européennes, droite et gauche confondues, s'abandonnent à une vision postmoderne de l'histoire et démissionnent, comme s'il appartenait aux Américains et désormais à Obama seul de régir à notre place la gouvernance planétaire. 84 % ! Nous fêtons une puissance qui nous délivre de nos responsabilités et libère de l'obligation d'agir.

Telle est la composante malsaine de notre joie générale et consensuelle : déléguer à un autre immaculé le soin des malheurs du monde et des défis de l'avenir. Le rêve américain des Américains les engage à poursuivre le dur travail d'émancipation post-raciale et universelle de l'humanité. L'aboulique rêve américain du Vieux Continent s'installe, équivoque gardien de nos sommeils.
J'aime bien Glucksmann, mais là je le trouve un peu trop lyrique.
Utilisateur anonyme
12 novembre 2008, 12:23   Re : L'"obamania" selon André Glucksmann.
"Telle est la composante malsaine de notre joie générale et consensuelle : déléguer à un autre immaculé le soin des malheurs du monde et des défis de l'avenir. Le rêve américain des Américains les engage à poursuivre le dur travail d'émancipation post-raciale et universelle de l'humanité. L'aboulique rêve américain du Vieux Continent s'installe, équivoque gardien de nos sommeils."

Oui, tel est le sens (caché) de l'"obamania" !
J'avais vu, mais c'est la première partie que je trouve un peu outrée.
Utilisateur anonyme
12 novembre 2008, 13:30   Re : L'"obamania" selon André Glucksmann.
J'apprécie également beaucoup Glucksmann, mais cet article ne m'a pas totalement convaincu : il souligne toutefois justement la différence essentielle qui existe entre le "vrai" Obama, celui qui s'est révélé dans sa campagne et ses discours, celui que les Américains ont élu, et l'Obama fantasmé dont s'est nourri l'"Obamania" européenne. L'un s'est toujours efforcé de dépasser les clivages raciaux, de rappeler les vertus de la méritocratie et d'appeler à l'unité des Américains, l'autre est devenu le symbole du triomphe des "minorités visibles" et de la discrimination positive ; l'un s'est prononcé pour le libre-échange, le maintien de la peine de mort dans certains cas spécifiques, pour un soutien sans faille à Israël et un renforcement des troupes américaines en Afghanistan, l'autre est devenu l'emblème d'une gauche américaine idéale... C'est à ce fantasme-là, que les médias entretenaient si complaisamment, que les Européens ont accordé 90% de leurs "suffrages" virtuels (notons d'ailleurs au passage qu'il s'agissait plutôt d'une sorte de "cote de sympathie", à laquelle Glucksmann me semble donner ici une importance politique et idéologique démesurée)...

D'autre part, emporté par son évocation très lyrique d'un Mc Cain "couturé par les blessures du tragique XXème siècle" et ostracisé par "la bien-pensante volonté d'oublier", Glucksmann oublie de citer l'une des principales explications de la défaite de Mc Cain : le choix désastreux de sa co-listière Sarah Palin, qui a totalement brouillé son image et son message et a certainement désorienté et inquiété une bonne partie de son électorat.
Tout à fait d'accord avec votre premier paragraphe, cher Alexis, mais pas avec le second. Je ne crois pas que l'électorat républicain ait été rebuté par le choix de Sarah Palin. C'est plutôt le Mc Cain gentil, libéral, ouvert, très centriste qui déroutait cet électorat. D'ailleurs, dans l'histoire américaine de l'après-guerre, les républicains ont en général gagné avec des candidats franchement à droite et perdu avec des candidats centristes. [Cette remarque ne constitue pas un jugement de valeur sur la dame Palin.]
Utilisateur anonyme
12 novembre 2008, 15:00   Re : L'"obamania" selon André Glucksmann.
C'est plutôt le Mc Cain gentil, libéral, ouvert, très centriste qui déroutait cet électorat. D'ailleurs, dans l'histoire américaine de l'après-guerre, les républicains ont en général gagné avec des candidats franchement à droite et perdu avec des candidats centristes.

Cher Marcel Meyer, je parlais d'une partie de l'électorat de Mc Cain ; certes, la base conservatrice et religieuse du parti a dû être ravie et soulagée par le choix de Palin, mais celle-ci a tout de même considérablement déstabilisé par ses interventions intempestives les franges plus modérées de l'électorat républicain, qui ont finalement, non sans quelque réticence, opté pour Obama. Après tout, ce n'est sans doute pas un simple "réflexe tribal" qui a pu motiver le choix d'un Colin Powell... D'autre part, je ne sais pas si vous avez vu l'intégralité de la retransmission du concession speech de Mc Cain, mais on peut constater que Palin a été plusieurs fois "chahutée" par les militants présents.

[url=video: [url]dailymotion:k3en7zuhb2YmwWPuQd]Voici un lien vers ce discours[/url] : écoutez la réaction du public au moment où le nom de Palin est prononcé...
[/url]
Utilisateur anonyme
12 novembre 2008, 15:24   Re : L'"obamania" selon André Glucksmann.
"Le rêve américain des Américains les engage à poursuivre le dur travail d'émancipation post-raciale et universelle de l'humanité. "

Et pourquoi ne pas dire tout simplement que Mc Cain était trop éloigné du rêve américain ? Comment pouvait-il s'inscrire dans ce mouvement-là (l'avènement de l'histoire post-raciale) ? Pour le dire autrement, comment un Mc Cain aurait-il pu être en phase avec la toute puissante idéologie métissolâtre ?
12 novembre 2008, 17:43   Elections américaines
Bien cher Marcel,


Je ne suis pas de votre avis quant aux candidats républicains.

Lors des élections de 1952, le général Eisenhower ( qu'on croyait démocrate en 1948) l'emporta lors des primaires sur le sénateur Taft de l'Ohio, représentant l'aile conservatrice, et très brillant politicien.

Lors des élections de 1968, l'ancien vice-président Nixon l'emporta lors des primaires sur le candidat conservateur, le gouverneur Reagan.


Ces deux candidats furent élus.


Lors des élections de 1964, le très conservateur Goldwater de l'Arizona fut le candidat républicain, et fut écrasé.
Utilisateur anonyme
14 novembre 2008, 17:08   Re : L'"obamania" selon André Glucksmann.
Dans son dernier bloc-notes, Ivan Rioufol souligne parfaitement le malentendu sur lequel se fonde en France l'"obamania" :

Un mauvais vent se lève, avec la banalisation d'un discours ethnique et culpabilisateur qui détourne le message du président américain. Enfant de l'assimilation et de l'excellence, Obama se veut le symbole d'une société postraciale attendant de ses acteurs qu'ils se responsabi­lisent. Or, en France, les idéologues de la diversité ne veulent voir qu'un Noir au sommet, pour en exiger de semblables. Au nom de l'antiracisme, ils parlent de couleur de peau.

L'intégralité du texte est ici.
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