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Éponime, ou les remous de l'égalité.

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
13 novembre 2008, 10:42   Éponime, ou les remous de l'égalité.
« Ces êtres appartenaient à cette classe bâtarde composée de gens grossiers parvenus et de gens intelligents déchus, qui est entre la classe dite moyenne et la classe dite inférieure, et qui combine quelques-uns des défauts de la seconde avec presque tous les vices de la première, sans avoir le généreux élan de l'ouvrier ni l'ordre honnête du bourgeois.

C'étaient de ces natures naines qui, si quelque feu sombre les chauffe par hasard, deviennent facilement monstrueuses. Il y avait dans la femme le fond d'une brute et dans l'homme l'étoffe d'un gueux. Tous deux étaient au plus haut degré susceptibles de l'espèce de hideux progrès qui se fait dans le sens du mal. Il existe des âmes écrevisses reculant continuellement vers les ténèbres, rétrogradant dans la vie plutôt qu'elles n'y avancent, employant l'expérience à augmenter leur difformité, empirant sans cesse, et s'imprégnant de plus en plus d'une noirceur croissante. Cet homme et cette femme étaient de ces âmes-là.

Le Thénardier particulièrement était gênant pour le physionomiste. Or on n'a qu'à regarder certains hommes pour s'en méfier, car on les sent ténébreux à leurs deux extrémités. Ils sont inquiets derrière eux et menaçants devant eux. Il y a en eux de l'inconnu. On ne peut pas plus répondre de ce qu'ils ont fait que de ce qu'ils feront. L'ombre qu'ils ont dans le regard les dénonce. Rien qu'en les entendant dire un mot ou qu'en les voyant faire un geste on entrevoit de sombres secrets dans leur passé et de sombres mystères dans leur avenir.

Ce Thénardier, s'il fallait l'en croire, avait été soldat; sergent, disait-il; il avait fait probablement la campagne de 1815, et s'était même comporté assez bravement, à ce qu'il paraît. Nous verrons plus tard ce qu'il en était. L'enseigne de son cabaret était une allusion à l'un de ses faits d'armes. Il l'avait peinte lui-même, car il savait faire un peu de tout; mal.

C'était l'époque où l'antique roman classique, qui, après avoir été Clélie, n'était plus que Lodoïska, toujours noble, mais de plus en plus vulgaire, tombé de mademoiselle de Scudéri à madame Bournon-Malarme et de madame de Lafayette à madame Barthélemy-Hadot, incendiait l'âme aimante des portières de Paris et ravageait même un peu la banlieue. Madame Thénardier était juste assez intelligente pour lire ces espèces de livres. Elle s'en nourrissait. Elle y noyait ce qu'elle avait de cervelle cela lui avait donné, tant qu'elle avait été très jeune, et même un peu plus tard, une sorte d'attitude pensive près de son mari, coquin d'une certaine profondeur, ruffian lettré à la grammaire près, grossier et fin en même temps, mais, en fait de sentimentalisme, lisant Pigault-Lebrun, et pour « tout ce qui touche le sexe », comme il disait dans son jargon, butor correct et sans mélange. Sa femme avait quelque douze ou quinze ans de moins que lui. Plus tard, quand les cheveux romanesquement pleureurs commencèrent à grisonner, quand la mégère se dégagea de la Paméla, la Thénardier ne fut plus qu'une grosse méchante femme ayant savouré des romans bêtes. Or on ne lit pas impunément des niaiseries. Il en résulta que sa fille aînée se nomma Éponine. Quant à la cadette, la pauvre petite faillit se nommer Gulnare; elle dut à je ne sais quelle heureuse diversion faite par un roman de Ducray-Duminil de ne s'appeler qu'Azelma.

Au reste, pour le dire en passant, tout n'est pas ridicule et superficiel dans cette curieuse époque à laquelle nous faisons ici allusion, et qu'on pourrait appeler l'anarchie des noms de baptême, A côté de l'élément romanesque, que nous venons d'indiquer, il y a le symptôme social. Il n'est pas rare aujourd'hui que le garçon bouvier se nomme Arthur, Alfred ou Alphonse, et que le vicomte — s'il y a encore des vicomtes — se nomme Thomas, Pierre ou Jacques. Ce déplacement qui met, le nom « élégant » sur le plébéien et le nom campagnard sur l'aristocrate n'est autre chose qu'un remous d'égalité. L'irrésistible pénétration du souffle nouveau est là comme en tout. Sous cette discordance apparente, il y a une chose grande et profonde, la révolution française. »


Je crois que ça se passe de commentaires…
En effet. Merci, cher Boris, pour ce texte magnifique.
- Quel est le plus grand écrivain du XXIe siècle ?
- Hugo, hélas !
Utilisateur anonyme
13 novembre 2008, 11:27   Re : Éponime, ou les remous de l'égalité.
Ah, Chère Cassandre, en écrivant que ce texte magnifique se passait de commentaires, j'espérais au contraire les vôtres, en particulier, tant je trouve qu'en peu de phrases sont dites là des choses dont nous parlons tous les jours ici.

Je dois reconnaître à ma grande honte que je croyais ne pas aimer Hugo (et donc le connaître, au moins suffisamment pour porter ce jugement idiot) ! Plus je le lis plus je l'aime. Il me semble que c'est le grand méconnu de notre époque.
" Plus je le lis plus je l'aime. Il me semble que c'est le grand méconnu de notre époque."
Je suis entièrement d'accord. J'ai eu la même prévention que vous et le même revirement.
Pourquoi, voudriez-vous que je commente ce texte ? Je ne pourrais que paraphraser ce que Hugo y dit bien mieux que ne le feraient mes pauvres mots.
Utilisateur anonyme
13 novembre 2008, 11:44   Re : Éponime, ou les remous de l'égalité.
Oui, ce texte signale les larges pans de liberté d'expression que nous avons perdus.
Utilisateur anonyme
13 novembre 2008, 12:21   Re : Éponime, ou les remous de l'égalité.
Cher Marcel, si vous faites bien allusion au mot de Gide, ce n'est pas tout à fait ce qu'il a dit, puisqu'il parle du plus grand poète.

Corto, il ne fait pas que ça, ce texte… Ce passage sur « l'anarchie des noms de baptême », avec sa science bathmologique, sa drôlerie, sa férocité, son analyse sociale… Enfin, je m'arrête, car pour moi toutes les phrases de ce court extrait seraient à souligner…
Bien sûr, bien sûr, Boris ; mais comme il s'agissait ici de prose, je me suis permis ce petit élargissement.
Il se trouve que la classe de cinquième dans laquelle se trouve mon fils étudie ces jours-ci /Les Misérables/, dont on leur a proposé la lecture dans la collection des Classiques abrégés ("L'école des loisirs").
J'en étais presque sûr, mais je viens de vérifier : le dernier paragraphe du texte cité par Boris a été coupé.
(mais la quatrième page de couverture nous rassure : l'escamotage laisse "intacts le fil du récit, le ton, le style et le rythme de l'auteur")
Utilisateur anonyme
13 novembre 2008, 17:04   Please adjust your dress before leaving
Et celui-ci, y figure-t-il ?

« 1817 est l'année que Louis XVIII, avec un certain aplomb royal qui ne manquait pas de fierté, qualifiait la vingt-deuxième de son règne. C'est l'année où M. Bruguière de Sorsum était célèbre. Toutes les boutiques des perruquiers, espérant la poudre et le retour de l'oiseau royal, était badigeonnées d'azur et fleurdelysées. C'était le temps candide où le comte Lynch siégeait tous les dimanches comme marguillier au banc d'œuvre de Saint-Germain-des-Prés en habit de pair de France, avec son cordon rouge et son long nez, et cette majesté de profil particulière à un homme qui a fait une action d'éclat. L'action d'éclat commise par M. Lynch était ceci avoir, étant maire de Bordeaux, le 12 mars 1814, donné la ville un peu trop tôt à M. le duc d'Angoulême. De là sa pairie. En 1817, la mode engloutissait les petits garçons de quatre à six ans sous de vastes casquettes en cuir maroquiné à oreillons assez ressemblantes à des mitres d'esquimaux. L'armée française était vêtue de blanc, à l'autrichienne; les régiments s'appelaient légions ; au lieu de chiffres ils portaient les noms des départements. Napoléon était à Sainte-Hélène, et, comme l'Angleterre lui refusait du drap vert, il faisait retourner ses vieux habits. En 1817, Pellegrini chantait, mademoiselle Bigottini dansait; Potier régnait; Odry n'existait pas encore. Madame Saqui succédait à Forioso. Il y avait encore des prussiens en France. M. Delalot était un personnage. La légitimité venait de s'affirmer en coupant le poing, puis la tête, à Pleignier, à Carbonneau et à Tolleron. Le prince de Talleyrand, grand chambellan, et l'abbé Louis, ministre désigné des finances, se regardaient en riant du rire de deux augures; tous deux avaient célébré, le 14 juillet 1790, la messe de la Fédération au Champ-de-Mars. Talleyrand l'avait dite comme évêque, Louis l'avait servie comme diacre. En 1817, dans les contre-allées de ce même Champ-de-Mars, on apercevait de gros cylindres de bois, gisant sous la pluie, pourrissant dans l'herbe, peints en bleu avec des traces d'aigles et d'abeilles dédorées. C'étaient les colonnes qui, deux ans auparavant, avaient soutenu l'estrade de l'empereur au Champ-de-Mai. Elles étaient noircies çà et là de la brûlure du bivouac des autrichiens baraqués près du Gros-Caillou. Deux ou trois de ces colonnes avaient disparu dans les feux de ces bivouacs et avaient chauffé les larges mains des kaiserlicks. Le Champ-de-Mai avait eu cela de remarquable qu'il avait été tenu au mois de juin et au Champ-de-Mars. En cette année 1817, deux choses étaient populaires : le Voltaire Touquet et la tabatière à la charte. L'émotion parisienne la plus récente était le crime de Dautun qui avait jeté la tête de son frère dans le bassin du Marché-aux- Fleurs. On commençait à faire au ministère de la marine une enquête sur cette fatale frégate de la Méduse qui devait couvrir de honte Chaumareix et de gloire Géricault. Le colonel Selves allait en tëgypte pour y devenir Soliman pacha. Le palais des Thermes, rue de la Harpe, servait de boutique à un tonnelier. On voyait encore sur la plate-forme de la tour octogone de l'hôtel de Cluny la petite logette en planches qui avait servi d'observatoire à Messier, astronome de la marine sous Louis XVI. La duchesse de Duras lisait à trois ou quatre amis, dans son boudoir meublé d'X en satin bleu ciel, Ourilw inédite. On grattait les N au Louvre. Le pont d'Austerlitz abdiquait et s'intitulait pont du Jardin du Roi, double énigme qui déguisait à la fois le pont d'Austerlitz et le jardin des Plantes, Louis XVIII, préoccupé, tout en annotant du coin de l'ongle Horace, des héros qui se font empereurs et des sabotiers qui se font dauphins, avait deux soucis, Napoléon et Mathurin Bruneau. L'académie française donnait pour sujet de prix : Le bonheur que procure l'étude, M. Bellart était officiellement éloquent. On voyait germer à son ombre ce futur avocat général de Broë, promis aux sarcasmes de Paul-Louis Courier. Il y avait un faux Chateaubriand appelé Marchangy, en attendant qu'il y eût un faux Marchangy appelé d'Arlincourt. Claire d'Albe et Malek-Adel étaient des chefs-d'œuvre; madame Cottin était déclarée le premier écrivain de l'époque. L'Institut laissait rayer de sa liste l'académicien Napoléon Bonaparte. Une ordonnance royale érigeait Angoulême en école de marine, car, le duc d'Angoulême étant grand amiral, il était évident que la ville d'Artgoulêmc avait de droit toutes les qualités d'un port de mer, sans quoi le principe monarchique eût été entamé. On agitait en conseil des ministres la question de savoir si l'on devait tolérer les vignettes représentant des voltiges, qui assaisonnaient les affiches de Franconi et qui attroupaient les polissons des rues. M. Paër, auteur de l'Agnese, bonhomme à la face carrée qui avait une verrue sur la joue, dirigeait les petits concerts intimes de la marquise de Sassenaye, rue de la Ville-l'Evêque. Toutes les jeunes filles chantaient l'Ermite de Saint-Avelle, paroles d'Edmond Géraud. Le Nain jaune se transformait en Miroir. Le café Lemblin tenait pour l'empereur contre le café Valois qui tenait pour les Bourbons. On venait de marier à une princesse de Sicile M. le duc de Berry, déjà regardé du fond de l'ombre par Louvel. Il y avait un an que madame de Staël était morte. Les gardes du corps sifflaient mademoiselle Mars. Les grands journaux étaient tout petits. Le format était restreint, mais la liberté était grande. Le Constitutionnel était constitutionnel. La Minerve appelait Chateaubriand Chateaubriant, Ce t faisait beaucoup rire les bourgeois aux dépens du grand écrivain. Dans des journaux vendus, des journalistes prostitués insultaient les proscrits de 1815; David n'avait plus de talent, Arnault n'avait plus d'esprit, Carnot n'avait plus de probité; Soult n'avait gagné aucune bataille; il est vrai que Napoléon n'avait plus de génie. Personne n'ignore qu'il est assez rare que les lettres adressées par la poste à un exilé lui parviennent, les polices se faisant un religieux devoir de les intercepter. Le fait n'est point nouveau; Descartes banni s'en plaignait. Or, David ayant, dans un journal belge, montré quelque humeur de ne pas recevoir les lettres qu'on lui écrivait, ceci paraissait plaisant aux feuilles royalistes qui bafouaient à cette occasion le proscrit. Dire les régicides, ou dire les votants, dire les ennemis, ou dire les alliés, dire Napoléon, ou dire Buonaparte, cela séparait deux hommes plus qu'un abîme. Tous les gens de bon sens convenaient que l'ère des révolutions était à jamais fermée par le roi Louis XVIII, surnommé « l'immortel auteur de la charte». Au terre-plein du Pont-Neuf, on sculptait le mot Redivivus, sur le piédestal qui attendait la statue de Henri IV. M. Piet ébauchait, rue Thérèse, n°4, son conciliabule pour consolider la monarchie. Les chefs de la droite disaient que dans les conjonctures graves « II faut écrire à Bacot ». MM. Canuel, O'Mahony et de Chappedelaine esquissaient, un peu approuvés de Monsieur, ce qui devait être plus tard « la conspiration du bord de l'eau ». L'Epingle Noire complotait de son côté, Delaverderie s'abouchait avec Trogoff. M. Decazes, esprit dans une certaine mesure libéral, dominait. Chateaubriand, debout tous les matins devant sa fenêtre du n° 17 de la rue Saint-Dominique, en pantalon à pieds et en pantoufles, ses cheveux gris coiffés d'un madras, les yeux fixés sur un miroir, une trousse complète de chirurgien dentiste ouverte devant lui, se curait les dents, qu'il avait charmantes, tout en dictant des variantes de la Monarchie selon la Charte à M. Pilorge, son secrétaire. La critique faisant autorité préférait Lafon à Talma. M. de Féletz signait A. ; M. Hoffmann signait Z. Charles Nodier écrivait Thérèse Aubert. Le divorce était aboli. Les lycées s'appelaient collèges. Les collégiens, ornés au collet d'une fleur de lys d'or, s'y gourmaient à propos du roi de Rome. La contre-police du château dénonçait à son altesse royale Madame le portrait, partout exposé, de M. le duc d'Orléans, lequel avait meilleure mine en uniforme de colonel général des hussards que M. le duc de Berry en uniforme de colonel des dragons; grave inconvénient. La ville de Paris faisait redorer à ses frais le dôme des Invalides. Les hommes sérieux se demandaient ce que ferait, dans telle ou telle occasion, M. de Trinquelague; M. Glausel de Montals se séparait, sur divers points, de M. Clausel de Coussergues; M. de Salaberry n'était pas content. Le comédien Picard, qui était de l'académie dont le comédien Molière n'avait pu être, faisait jouer les Deux Philibert à l'Odéon, sur le fronton duquel l'arrachement des lettres laissait encore lire distinctement THÉÂTRE DE L'IMPÉRATRICE. On prenait parti pour ou contre Cugnet de Montarlot. Fabvier était factieux; Bavoux était révolutionnaire, Le libraire Pélicier publiait une édition de Voltaire, sous ce titre Œuvres de Voltaire, de l'académie française, « Cela fait venir les acheteurs », disait cet éditeur naïf. L'opinion générale était que M. Charles Loyson serait le génie du siècle; l'envie commençait à le mordre, signe de gloire; et l'on faisait sur lui ce vers :

Même quand Loyson vol, on sent qu'il a des pattes.

— Le cardinal Fesch refusant de se démettre, M. de Pins, archevêque d'Amasie, administrait le diocèse de Lyon. La querelle de la vallée des Dappes commençait entre la Suisse et la France par un mémoire du capitaine Dufour, depuis général. Saint-Simon, ignoré, échafaudait son rêve sublime. Il y avait à l'académie des sciences un Fourier célèbre que la postérité a oublié et dans je ne sais quel grenier un Fourier obscur dont l'avenir se souviendra. Lord Byron commençait à poindre; une note d'un poème de Millevoye l'annonçait à la France en ces termes : un certain lord Baron. David d'Angers s'essayait à pétrir le marbre. L'abbé Caron parlait avec éloge, en petit comité de séminaristes, dans le cul-de-sac des Feuillantines, d'un prêtre inconnu nommé Félicité Robert qui a été plus tard Lamennais. Une chose qui fumait et clapotait sur la Seine avec le bruit d'un chien qui nage allait et venait sous les fenêtres des Tuileries, du pont Royal au pont Louis XV; c'était une mécanique bonne à pas grand'chose, une espèce de joujou, une rêverie d'inventeur songe-creux, une utopie : un bateau à vapeur. Les parisiens regardaient cette Inutilité avec indifférence. M. de Vaublanc, réformateur de l'Institut par coup d'état, ordonnance et fournée, auteur distingué de plusieurs académiciens, après en avoir fait, ne pouvait parvenir à l'être. Le faubourg Saint-Germain et le pavillon Marsan souhaitaient pour préfet de police M. Delaveau, à cause de sa dévotion. Dupuytren et Récamier se prenaient de querelle à l'amphithéâtre de l'École de médecine et se menaçaient du poing à propos de la divinité de Jésus-Christ. Cuvier, un œil sur la Genèse et l'autre sur la nature, s'efforçait de plaire à la réaction bigote en mettant les fossiles d'accord avec les textes et en faisant flatter Moïse par les mastodontes. M. François de Neufchâteau, louable cultivateur de la mémoire de Parmentier, faisait mille efforts pour que pomme de terre fût prononcée parmentière, et n'y réussissait point. L'abbé Grégoire, ancien évêque, ancien conventionnel, ancien sénateur, était passé dans la polémique royaliste à l'état « d'infâme Grégoire ». Cette locution que nous venons d'employer passer à l'état de, était dénoncée comme néologisme par M. Royer Collard. On pouvait distinguer encore à sa blancheur, sous la troisième arche du pont d'Iéna, la pierre neuve avec laquelle, deux ans auparavant, on avait bouché le trou de mine pratiqué par Blucher pour faire sauter le pont. La justice appelait à sa barre un homme qui, en voyant entrer le comte d'Artois à Notre-Dame, avait dit tout haut : Sapristi ! je regrette le temps où je voyais Bonaparte et Talma entrer, bras dessus, bras dessous, au Bal-Sauvage. Propos séditieux. Six mois de prison. Des traîtres se montraient déboutonnés; des hommes qui avaient passé à l'ennemi la veille d'une bataille, ne cachaient rien de la récompense et marchaient impudiquement en plein soleil dans le cynisme des richesses et des dignités, des déserteurs de Ligny et des Quatre-Bras, dans le débraillé de leur turpitude payée, étalaient leur dévouement monarchique tout nu; oubliant ce qui est écrit en Angleterre sur la muraille intérieure des water closets publics : Please adjust your dress before leaving.
Voilà, pêle-mêle, ce qui surnage confusément de l'année 1817, oubliée aujourd'hui. L'histoire néglige presque toutes ces particularités, et ne peut faire autrement; l'infini l'envahirait. Pourtant ces détails, qu'on appelle a tort petits, – il n'y a ni petits faits dans l'humanité, ni petites feuilles dans la végétation - sont utiles. C'est de la physionomie des années que se compose la figure des siècles. »

(Pardonnez-moi, je n'ai pas eu le courage ni le temps de faire les italiques.)
Mais Boris, vous êtes fou ?
Vous imaginez-vous le nombre de notes de bas de page, de notices explicatives et le lexique qu'il y faudrait, je ne dis pas pour des élèves de cinquième (les pauvres ! ce texte serait par eux perçu comme rédigé dans un idiome inintelligible, plein de noms obscurs et de figures inconnues), mais pour des lycéens d'aujourd'hui ?
Utilisateur anonyme
13 novembre 2008, 20:06   Re : Please adjust your dress before leaving
Cher Francmoineau, c'est exactement ce que je voulais dire.
Par rapport au titre premier de ce fil, il serait peut-être bon de rectifier Éponime en Éponine. À moins qu'il s'agisse d'une astuce qui m'aurait échappé.
Moi, je viens de découvrir Pierre Loti, alors...
(L'Inde (sans les Anglais).)
13 novembre 2008, 20:47   Astuce
Je penche pour l'astuce, quand on se rappelle des écrits sur le thème "éponyme".
13 novembre 2008, 21:55   Re : Astuce
Il me plaît fort de vous lire employer le terme astuce, en cette certaine acception, qui vous a le charme attendrissant d'un couvre-chef démodé.
Cher jmarc, j'y ai pensé moi aussi, en effet. Mais je ne vois tout de même pas l'astuce (pour réjouir M. Francmoineau).
Pour répondre à la deuxième interrogation de Boris, dans la version abrégée, le Livre Troisième de la première partie commence en effet par :
"1817 est l'année que Louis XVIII, avec un certain aplomb royal qui ne manquait pas de fierté, qualifiait la vingt-deuxième de son règne. Toutes les boutiques des perruquiers, espérant la poudre et le retour de l'oiseau royal, était badigeonnées d'azur et fleurdelisées (sans /y/). "
Et puis l'on passe directement à :
"En cette année 1817, quatre jeunes Parisiens firent une "bonne farce"."

(et c'était plus raisonnable, le corps du texte cité ne se prêtant guère à un Q.C.M. portant sur les groupes sujets, le schéma actanciel ou les différents types de discours...)
Utilisateur anonyme
14 novembre 2008, 18:32   Actanciel ! Mon mari !
C'est vrai qu'on ne saurait prendre assez de précautions avec le schéma actanciel.
14 novembre 2008, 18:44   Le Mariage à la mode
... le mariage de leur fille Eponine Bolacre avec M. Actanciel Francmoineau, trader.
Utilisateur anonyme
14 novembre 2008, 19:05   Re : Actanciel ! Mon mari !
Ouf ! Une de casée.
Utilisateur anonyme
14 novembre 2008, 19:39   Re : Éponime, ou les remous de l'égalité.
Merci de votre réponse, Cher JlChambon.

Lire Hugo comme on propose à vos enfants de le faire, c'est un peu comme découvrir Beethoven dans la Lettre à Élise, l'Empereur et le finale de la neuvième symphonie.
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