Francmoineau écrivait:
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> Vous ne devriez pas trop, cher Francis, essayer de
> rationaliser vos observations sur les règles qui
> régissent les flexions. Vous savez bien que les
> caprices du temps, de l'histoire, du hasard, les
> erreurs entérinées, les racines profondes, la
> grande ombre du latin, tout cela frétille encore
> dans le champ de ruines...
> Observez par exemple cette belle disparité dans
> les désinences lorsque l'on passe du verbe au nom
> (ici les verbes en uer ou en ouer) :
>
> diminuer ........... diminution
> continuer........... continuation
> suer......................sudation
> muer....................mue
> puer......................puanteur
> tuer ......................tuerie
> ruer.......................ruade
> huer......................huée
> arguer..................argument, argutie
> enrouer................enrouement
> louer ....................louange, location
> secouer................secousse
> douer....................don
> jouer.....................jeu
> nouer...................noeud
> vouer...................voeu
>
> Certes, un nom n'est pas un participe, et la
> dérivation peut être différente. Vous noterez
> également que le dévolu orphelin qui traverse ce
> fil a une soeur, la dévolution, et qu'il y a un
> parallèle à faire avec le couple
> révolu/révolution, qui ne sont pas issus (et là,
> que faut-il poser ? issir ? issoir ? exoir ?
> voyez, on n'en sort plus) d'un quelconque
> révolver. Enjoué et enjouement subissent le même
> sort, par exemple : ils sont dépourvus ( et pas de
> dépourvoir !) d'enjouer.
> La langue française est belle parce qu'elle est
> capricieuse, non inféodée à la logique ou à la
> rationalité (encore qu'elle ait dit, mieux que
> d'autres, la raison) et qu'elle enferme l'Histoire
> et ses histoires en chacun de ses mots (comme les
> autres, me direz-vous !).
C'est sans doute l'écoute de Lévi-Strauss aujourd'hui qui me porte à vous répondre, un peu par défi il est vrai, qu'il en va de la langue comme des mythes: ses caprices, comme vous les qualifiez, ne sont qu'apparents. Ils se situent dans une mésentente fondamentale entre le désir de régularité des hommes et le réel qui lui résiste, et ils en sont le fruit, et cette mésentente, comme dans les couples ou les familles, suit ses lois. Les désinences de ces nominalisations jetées en vrac appelleraient un peu de d'ordre (suer fait suée, et non sudation, etc.), mais je crois que l'essentiel est disséminé ailleurs, à commencer dans le fait qu'il y a de fortes chances pour que dans votre démonstration, vous preniez la dérivée pour la primitive, à savoir que c'est souvent le verbe que l'on a créé à partir du nom; cela appellerait certaines vérifications étymologiques systématiques, évidemment, mais si cette hypothèse se vérifie, au moins en partie, vous conviendrez que la série de verbes du premier groupe que vous nous présentez obéit déjà à une certaine régularité de forme.
Par ailleurs "issir" est usité, on le trouve assez fréquemment chez Colette; et "dépourvu" dérive du verbe "pourvoir".
L'autre part de l'essentiel: personne ne souhaite l'irrégularité, charmante et capricieuse selon vous, mais déplorée par tous, de cette langue. Parce qu'elle est déjà ancienne et qu'elle a beaucoup servi, elle est en effet irrégulière, mais toujours à son corps défendant. Ses points aveugles, tel "dévolu", causent mille contournements jargonneux qui n'ont rien de charmant et dont l'expression ferait heureusement l'économie.