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Requête en dévolu

Envoyé par Francis Marche 
25 novembre 2008, 01:23   Requête en dévolu
L'auguste assemblée (comme disent les chef d'Etat africains dans leurs allocutions liminaires) peut-elle me confirmer que j'ai raison de penser que le mot de la langue française dévolu est souvent employé comme participe passé d'aucun verbe et que ce verbe absent, ce point aveugle de la langue qui permettrait de conjuguer le principe de subsidiarité, est contourné inconsciemment en français par des "échoir", "transférer", "concéder", etc.

En effet je ne crois pas, mais je peux me tromper, que la langue française possède le verbe dévoluir (?) ou dévoloir (?)

C'est à se demander si la langue, le discours tout entier n'est pas un exercice de suppléance de ces points aveugles, ces trous noirs.

Ainsi lorsqu'on dit l'autorité m'a été dévolue de vous barrer l'accès au Prince, on ne dirait strictement rien, on agiterait une ombre de verbe qui n'est pas. On ne saurait absolument pas ce qu'on dit, on se livrerait à de la gesticulation primitive.

Merci de vouloir éclairer cette ombre (so to speak !).
25 novembre 2008, 01:29   Re : Requête en dévolu
La dévolution, si elle ne peut se conjuguer, ne serait qu'une notion "en chantier", qui n'existerait pas réellement. Elle serait une notion de pure métaphysique. Dans les faits, personne, jamais, ne dévoloit quoi que ce soit à personne. Ce trou noir révèlerait cette vérité.
25 novembre 2008, 06:55   Re : Requête en dévolu
Trouvé dans le Trésor de la langue française ceci :
"Dans Dictionnaire Académie 1694-1932.
Féraud, Dictionnaire critique. t. 1 1787, LAND. 1834 et GATTEL 1841 admettent la graphie "dévolut" pour le substantif masculin par souci d'harmonie avec les dérivés dévolution, dévolutaire.
Étymol. et Hist.
1. XIVe s. adj. dr. « conféré, attribué par droit » (BERSUIRE [ms. BN fr. 20312 ter], fo 52 vo ds LITTRÉ); p. ext. 1559 « attribué » (AMYOT, Cicéron, 13, ibid.);
2. 1549 subst. dr. canon (EST.); av. 1654 jeter un dévolu sur (BALZ., Liv. V, lett. 13 ds LITTRÉ); 1698 fig. « arrêter son idée sur » (REGNARD, Distrait, II, 1, ibid.).
Empr. au part. passé devolutus du lat. devoluere, employé en b. lat. jur. au passif avec le sens de « échoir ».
25 novembre 2008, 08:43   Re : Requête en dévolu
Votre dévolu est révolu : jetez-le, cher Francis !
Autant pourrait-on en dire de contrit, éperdu, intrus ou dénué...
25 novembre 2008, 09:00   Re : Requête en dévolu
Vous avez raison Francmoineau, mon dévolu, il est eu peu sur l'île d'Elbe, on va dire, en ce moment.

(Le paradoxe reste intéressant: Grévisse le signale en citant Beauvoir, entre autres, qui "conjugue" au passé composé un verbe - *dévoloir, donc, qui n'existe pas! On est obligé, à cause de cette inexistence, de jargonner avec des "transferts de compétence" et autres "principes de subsidiarité" qui noyent le profane, l'assomment. En langue, en rhétorique, le contournement des trous noirs, outre qu'il sert à la litote, a pour fonction première d'égarer, d'assommer, de désintéresser ceux qui, au premier chef (les administrés, les catégories vulnérables, etc.) ont intérêt à comprendre le discours - le trou noir linguistique, comme en cosmologie remplit sa fonction: piéger, faire disparaître, éteindre chez les moins malins la lumière de l'intérêt intellectuel.)
Utilisateur anonyme
25 novembre 2008, 18:06   Re : Requête en dévolu
Sauf que c'est un adjectif, voire un substantif, pas un participe passé.

Citation

Dictionnaire de l’Académie Française 8ème édition (1935)DÉVOLU, UE
adj.

T. de Droit

Qui passe, qui est transporté d’une personne à une autre, qui est acquis, échu à quelqu’un en vertu d’un droit. La moitié affectée à la ligne maternelle a été, faute d’héritiers dans cette ligne, dévolue à la ligne paternelle. Sa pension vous est dévolue de droit. Le droit qui lui est dévolu.

Il était employé aussi comme nom masculin dans l’expression Bénéfice vacant par dévolu, Celui dont la nomination était dévolue au Pape par suite de l’incapacité ecclésiastique de celui qui en était en possession. Avoir un bénéfice par dévolu.

Il est encore employé ainsi dans l’expression figurée Jeter son dévolu sur quelque chose, Avoir des vues arrêtées sur une chose et prétendre l’obtenir.См. также в других словарях:

dévolu — 1. adj (fém - dévolue) доставшийся, выпавший на долю; перешедший по праву; возложенный на... 2. m 1) jeter so dévolu sur... остановить свой выбор на... par… (Большой французско-русский и русско-французский словарь)
DÉVOLU — UE. adj. T. de Droit. Qui passe, qui est trasporté d'ue persoe à ue autre, qui est acquis, échu à quelqu'u e vertu d'u droit. La moitié affectée à la lige materelle a été, faute d'héritiers das cette lige, dévolue à… (Dictionnaire de l'Académie Française, 7ème édition (1835))

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25 novembre 2008, 18:21   Re : Requête en dévolu
Celui dont la nomination était dévolue au Pape par suite de l’incapacité ...

Vous voyez un adjectif vous là-dedans ?
Dévolu (emprunté au lat. devolutus, part. passé de devolvere) a donné naissance à des formes barbares, comme s’il y avait un verbe *dévoluer ou *dévoloir. Il dévolue au siège apostolique le capital moral de Rome (B. VOYENNE, Histoire de l’idée européenne, 1964, p. 34)…..
………………………………………………………………………………………………….
Il est moins étrange que dévolu soit traité en participe passé : je tenais pour une chance insigne que le ciel m’eût dévolu […] ces parents (BEAUVOIR, Mémoires d’une jeune fille rangée, p. 48)


Extrait du Grevisse, p. 1236, consultable chez Google
25 novembre 2008, 18:43   Re : Requête en dévolu
Amusante parasitage de cyrillique chez l'ami Corto !
Utilisateur anonyme
25 novembre 2008, 22:36   Re : La dévolution du piquet
Comment ça du parasitage ? Ah si on ne peut même plus se fier au dictionnaire de l'Académie française...
26 novembre 2008, 09:44   Re : Requête en dévolu
Personnellement, je ne juge pas monstrueux que des écrivains, des historiens ou des usagers de la langue forment ou aient formé, à partir de l'adjectif et nom "dévolu", un verbe, dont l'infinitif serait ou pourrait être "dévoluer" ou "dévoloir". "Dévolu", participe passé, réfère à un procès ou plutôt à l'état qui résulte de la réalisation du procès. Il présente l'avantage d'être lié à "dévolution" (emprunt à l'anglais, semble-t-il) - lien dont est dépourvu "échoir". Pourquoi ne pas fabriquer un verbe, d'où tout viendrait ? Je tiens dans ce fait l'indice que la langue est toujours vivante et que les usagers actuels tentent de pallier, par un verbe fabriqué qui sonne étrangement certes, les conséquences que fait subir à la langue l'histoire : "un champ de ruines", pensaient les grammairiens de la première moitié du XIXe siècle quand ils constataient la disparition des flexions internes et des déclinaisons dans les langues modernes. Les lois phonétiques et l'histoire ont fait disparaître le verbe latin "devolvere" ou ce à quoi il aurait pu aboutir en français. Le ressusciter, même sous la forme d'un barbarisme, pourquoi pas ? C'est préférable, sans doute, à un emprunt à l'anglo-américain.
26 novembre 2008, 14:06   Du respect des ruines
Les ruines sont contournées, parfois replâtrées, rarement niées. Elles constituent une sorte d'héritage inepte respecté par tous, au premier rang desquels les jargonneux, qui les contournent respectueusement: ils emploieront "échoir", "opérer un transfert de compétence", "décentraliser" (en transitif) mais jamais ne diront ni n'écriront: le plan Deferre a conduit le gouvernement à dévoloir les plans d'occupations des sols aux collectivités territoriales dès le premier gouvernement Mauroy.
Utilisateur anonyme
26 novembre 2008, 14:11   Re : Evoluer avec dévoluer
Mais ils écriront assurément : Le plan Deferre a conduit le gouvernement à dévoluer les plans d'occupations des sols aux collectivités territoriales dès le premier gouvernement Mauroy.
26 novembre 2008, 14:25   La morpho-phonologie, Corto...
Je ne crois pas, en l'occurrence, que "dévoluer" puisse être la "primitive" (comme en mathématique) du substantif "dévolu" (de "jeter son dévolu"); tout simplement parce qu'un verbe imaginaire/primitif comme "dévoluer" conçu sur le modèle d'"évoluer" donnerait un féminin (jeter sa dévolue, voire "jeter sa dévolution").

Observez ce que les verbes en -uer comme muer,, tuer, huer, produisent en participe passé: mué, tué, hué

Ce sont les verbes du troisième groupe qui donne des terminaisons en "u": taire, boire, voir (j'ai tu, j'ai bu, j'ai vu) et donc j'ai dévolu.

Simone de Beauvoir n'écrit pas: "...que le ciel m'eût *dévolué" (verbe du 1er groupe sur le modèle d'évoluer, mué, tué); mais

"que le ciel m'eût dévolu", soit un verbe du 3ème groupe comme le sont taire, boire ou croire.

Votre hypothèse est déjà fautive, Corto. Vous resterez donc au piquet.
26 novembre 2008, 14:32   Re : Requête en dévolu
A vrai dire, cher JGL, je crois entrevoir une cause simple à l'impossibilité de "créer" le verbe dévoloir. Ce n'est qu'une hypothèse de ma part, mais il semble que la néologie des verbes français soit affectée d'un handicap: les néologismes verbaux du français sont en effet toujours du 1er groupe, d'où l'impossibilité d'une émergence de "dévoloir" à l'infinitif qu'appelle le ciel m'eût dévolu de Beauvoir.
26 novembre 2008, 14:36   Re : Requête en dévolu
Les ruines du langage seraient donc en forme de crémaillère: on ne remonte pas d'un participe passé en "u" vers un infinitif du troisième groupe. Telle serait la règle. La remontée néologique (si vous me permettez l'expression) n'est possible que dans les formes verbales du 1er groupe.
26 novembre 2008, 17:08   Simplification
Je vous propose la simplification suivante :

- supprimer l'archaïque "dévolu" par le moderne "dévolé" ;

- créer le verbe "dévoler", 1er groupe, forme classique ;

- lui attribuer le sens de "donner légitimement" ;

- on a la preuve du bon sens de cette méthode en comparant à son contraire "prendre illégitimement" qui est bien "voler".
26 novembre 2008, 17:39   Re : Requête en dévolu
Deux remarques :
- Y aurait-il une langue au monde qui ne soit pas un champ de ruines ? Quelle qu'elle soit, elle vient toujours d'une autre, avec des branches mortes, n'est-ce pas ?
- Ne serait-il pas plus conséquent, au lieu de "remonter" d'une sorte de participe à un infinitif supposé, d'emprunter, en quelque sorte, la voie naturelle, et de "redescendre" du verbe latin qui a donné la forme en question (devolvere) vers son infinitif français perdu ?
Ne simplifiez rien Jmarc, je vous en prie. Les simplifications, on s'y noie. D'abord votre "dévoler" est trop phonologiquement voisin de "dévoiler" et pour cette raison, ne prendra pas. Ensuite, il ne transcrit aucunement le sens de se déprendre, présent dans dévoloir.

Et puis le logicien remarquable que vous êtes devrait déjà s'être aperçu que "donner légitimement" n'est pas le contraire "prendre illégitimement". Bernard, sinon, vous expliquera.
27 novembre 2008, 07:47   Re : Evoluer avec dévoluer
Oui. Dévoluer (*dévolver, < lat. devolvere), inusité, a un participe passé irrégulier : dévolu, et voilà tout ! Ça ne fonctionnerait pas, Francis, à votre avis ?
27 novembre 2008, 08:07   Re : Evoluer avec dévoluer
Je vous réponds par la négative, cher Bernard, convaincu que les irrégularités ne peuvent se créer. Seules se créent les régularités, qui génèrent des irrégularités par usure inconsciente, par altération d'emploi, par réticence du réel à se plier à la pensée des hommes, par tout ce que vous voudrez. L'irrégularité (et peut-être même l'irrationnel) ne se conçoit pas, elle émane seulement des usages humains contingents, contraints, etc. En toute liberté, personne, pas même en art, ne créé de l'irrégularité qui vaille, qui tienne dans le temps, qui fasse usage. L'irrationnel qui se crée en art, en politique, n'est pas stable, s'emballe, explose, surévolue très vite, s'auto-détruit, etc.

L'irrégularité stable, non tératologique, durable, me paraît décidément in-créable.
27 novembre 2008, 11:52   Révolver
Vous ne devriez pas trop, cher Francis, essayer de rationaliser vos observations sur les règles qui régissent les flexions. Vous savez bien que les caprices du temps, de l'histoire, du hasard, les erreurs entérinées, les racines profondes, la grande ombre du latin, tout cela frétille encore dans le champ de ruines...
Observez par exemple cette belle disparité dans les désinences lorsque l'on passe du verbe au nom (ici les verbes en uer ou en ouer) :

diminuer ........... diminution
continuer........... continuation
suer......................sudation
muer....................mue
puer......................puanteur
tuer ......................tuerie
ruer.......................ruade
huer......................huée
arguer..................argument, argutie
enrouer................enrouement
louer ....................louange, location
secouer................secousse
douer....................don
jouer.....................jeu
nouer...................noeud
vouer...................voeu


Certes, un nom n'est pas un participe, et la dérivation peut être différente. Vous noterez également que le dévolu orphelin qui traverse ce fil a une soeur, la dévolution, et qu'il y a un parallèle à faire avec le couple révolu/révolution, qui ne sont pas issus (et là, que faut-il poser ? issir ? issoir ? exoir ? voyez, on n'en sort plus) d'un quelconque révolver. Enjoué et enjouement subissent le même sort, par exemple : ils sont dépourvus ( et pas de dépourvoir !) d'enjouer.
La langue française est belle parce qu'elle est capricieuse, non inféodée à la logique ou à la rationalité (encore qu'elle ait dit, mieux que d'autres, la raison) et qu'elle enferme l'Histoire et ses histoires en chacun de ses mots (comme les autres, me direz-vous !).
27 novembre 2008, 12:59   Re : Révolver
Francmoineau écrivait:
-------------------------------------------------------
> Vous ne devriez pas trop, cher Francis, essayer de
> rationaliser vos observations sur les règles qui
> régissent les flexions. Vous savez bien que les
> caprices du temps, de l'histoire, du hasard, les
> erreurs entérinées, les racines profondes, la
> grande ombre du latin, tout cela frétille encore
> dans le champ de ruines...
> Observez par exemple cette belle disparité dans
> les désinences lorsque l'on passe du verbe au nom
> (ici les verbes en uer ou en ouer) :
>
> diminuer ........... diminution
> continuer........... continuation
> suer......................sudation
> muer....................mue
> puer......................puanteur
> tuer ......................tuerie
> ruer.......................ruade
> huer......................huée
> arguer..................argument, argutie
> enrouer................enrouement
> louer ....................louange, location
> secouer................secousse
> douer....................don
> jouer.....................jeu
> nouer...................noeud
> vouer...................voeu
>
> Certes, un nom n'est pas un participe, et la
> dérivation peut être différente. Vous noterez
> également que le dévolu orphelin qui traverse ce
> fil a une soeur, la dévolution, et qu'il y a un
> parallèle à faire avec le couple
> révolu/révolution, qui ne sont pas issus (et là,
> que faut-il poser ? issir ? issoir ? exoir ?
> voyez, on n'en sort plus) d'un quelconque
> révolver. Enjoué et enjouement subissent le même
> sort, par exemple : ils sont dépourvus ( et pas de
> dépourvoir !) d'enjouer.
> La langue française est belle parce qu'elle est
> capricieuse, non inféodée à la logique ou à la
> rationalité (encore qu'elle ait dit, mieux que
> d'autres, la raison) et qu'elle enferme l'Histoire
> et ses histoires en chacun de ses mots (comme les
> autres, me direz-vous !).


C'est sans doute l'écoute de Lévi-Strauss aujourd'hui qui me porte à vous répondre, un peu par défi il est vrai, qu'il en va de la langue comme des mythes: ses caprices, comme vous les qualifiez, ne sont qu'apparents. Ils se situent dans une mésentente fondamentale entre le désir de régularité des hommes et le réel qui lui résiste, et ils en sont le fruit, et cette mésentente, comme dans les couples ou les familles, suit ses lois. Les désinences de ces nominalisations jetées en vrac appelleraient un peu de d'ordre (suer fait suée, et non sudation, etc.), mais je crois que l'essentiel est disséminé ailleurs, à commencer dans le fait qu'il y a de fortes chances pour que dans votre démonstration, vous preniez la dérivée pour la primitive, à savoir que c'est souvent le verbe que l'on a créé à partir du nom; cela appellerait certaines vérifications étymologiques systématiques, évidemment, mais si cette hypothèse se vérifie, au moins en partie, vous conviendrez que la série de verbes du premier groupe que vous nous présentez obéit déjà à une certaine régularité de forme.

Par ailleurs "issir" est usité, on le trouve assez fréquemment chez Colette; et "dépourvu" dérive du verbe "pourvoir".

L'autre part de l'essentiel: personne ne souhaite l'irrégularité, charmante et capricieuse selon vous, mais déplorée par tous, de cette langue. Parce qu'elle est déjà ancienne et qu'elle a beaucoup servi, elle est en effet irrégulière, mais toujours à son corps défendant. Ses points aveugles, tel "dévolu", causent mille contournements jargonneux qui n'ont rien de charmant et dont l'expression ferait heureusement l'économie.
27 novembre 2008, 13:15   Re : Révolver
J'oubliais: si vous voulez justifier un "dévolver" par la petite soeur "révolution" de "révolu", il vous faudra donner pour papa à "dévolu" un "dévolutionner" (oncle par alliance de "révolutionner") pour moi aussi convaincant et charmant que "cornériser", mais c'est là affaire de goût vous me direz.
27 novembre 2008, 13:20   Re : Evoluer avec dévoluer
Eh bien, allons-y pour la régularité, alors. Dévolu vient directement du latin devolutus, de devolvere (rien à redire), et dévoluer, qui aurait pu venir directement du même verbe latin, n'a pas vécu, mais laisse encore comme un souvenir. On trouve dans la langue des tas de descendances parallèles d'un même mot primitif... Le grec ancien montre beaucoup de phénomènes semblables, par exemple dans les verbes irréguliers : il faut remonter à une forme reconstituée en indo-européen pour retrouver la régularité des deux formes, entre elles irrégulières...
27 novembre 2008, 13:30   Re : Révolver
"suer fait suée, et non sudation" : suée relève tout de même d'un registre familier, vous me l'accorderez.
"votre démonstration" : je ne démontre rien du tout, je donne simplement à observer.
"c'est souvent le verbe que l'on a créé à partir du nom" : oui, bien sûr. C'est pourquoi je remarque moi-même que la dérivation peut être différente !
"dépourvu" dérive du verbe "pourvoir" : ah ça, grand merci, mais je l'avais quand même remarqué ! D'ailleurs, après vérification, le verbe dépourvoir existe bel et bien, je l'avais un peu hâtivement mis de côté.

Je persiste à trouver que ce que vous nommez les "contournements jargonneux", à condition qu'ils possèdent eux-mêmes un certaine qualité de forme, sont une richesse et apportent des nuances supplémentaires. Ce sont les accidents gracieux qui font la beauté du paysage. Je crois même que la plus grande valeur d'une langue par rapport à une autre peut (aussi) provenir de ce qu'elle supplée plus intelligemment à ce que pour ma part j'appellerais des attaches fines.
27 novembre 2008, 15:04   Re : Evoluer avec dévoluer
Cher Bernard, d'une part je ne sais si votre message est une réponse au mien tant cela me paraît impossible. Je ne sais non plus de quel "indo-européen" vous parlez. "Dévolué", dérivé du latin, ne laisse strictement aucun souvenir dans la langue (vivante).

Rien dans cette langue, si j'ose, n'est "dérivé du latin"; la désorganisation du latin dans le français est d'une extrême sauvagerie qui ne tolère guère d'être décrite comme "dérivation". Elle serait plutôt, justement, "dévolution".

Tout le charme, si cher à Francmoineau, de la désorganisation de cette langue, est dû à son joyeux saccage du latin, à sa glorieuse infidélité au latin. L'infidélité (linguistique, familiale, conjugale) reste créatrice; elle obéit à une pulsion. La dérivation, elle, est morte-née. Je crois que par ce détour nous en revenons au débat d'il y a quelques fils, quand je défendais l'idée qu'une nation, une civilisation ne saurait être nation, civilisation et dériver d'une autre.
27 novembre 2008, 15:23   Re : Evoluer avec dévoluer
Pour tenter d'aller à l'essentiel dans ce débat: la langue française, langue qui se posa comme dominante, civilisatrice, universelle, fut, et demeure, à la recherche de son unité, de sa totalité (pas de trou noir, de lacune, de fossé charmant, de charme fossoyeur, dans l'intelligible structure), à l'affût, à la chasse de l'irrégularité. Rousseau qui fut un exemple pour Lévi-Strauss, produisit une langue lisse, intelligible, limpide et sans charme accidentel. La production textuelle rousseauiste fut exemplaire du français. Il devrait donc être interdit, après Pascal, Rousseau, Lévi-Strauss, d'aller chercher chez les "Indo-Européens" un idéal de régularité quand cette régularité a été l'idéal d'une fondation nouvelle, dans le corps de la langue française, fondation (nouvelle origine) n'acceptant d'être la dérivée, la dérivation d'aucune antécédente.

(nous en revenons à l'ontologie difficile de la Révolution, qui barre l'histoire d'un trait et forge un antécédent conscient)
Oui, bien, bon, d'accord, peut-être, convenons-en, si vous voulez, à la rigueur, mais : mort-née.
Utilisateur anonyme
27 novembre 2008, 16:37   Re : Evoluer avec dévoluer
Citation

L'infidélité (linguistique, familiale, conjugale) reste créatrice
Comme l'infidélité au modèle hétérosexuel dominant, cher Francis !!!!! Ayez garde de ne pas être infidèle au principe de non contradiction pour le nier....
28 novembre 2008, 02:56   Francmoineau m'a mort-né
Mort-nées, Francmoineau, en effet, là on peut dire que vous m'avez bien t'eu !

Concernant le cas de révolu, reconnaissez-vous qu'à la grande différence de dévolu il n'est apparemment jamais autrement employé que comme attribut du sujet (adjectif) et non comme élément d'un verbe conjugué (participe passé) ? Je suis révolu, sommes révolus comme elles sommes mort-nées et non comme on m'a dévolu l'autorité ?

Il ne reste donc aucun contre-exemple de ceux signalés dans votre long message ci-dessus qui vale contre mon hypothèse d'une très grande singularité ou irrégularité de dévolu participe passé.
Je reconnais bien volontiers à peu près tout ce que vous voudrez, cher Francis, mais je note quand même que le Grevisse, auquel vous faisiez vous-même référence dans un message plus ancien, dit textuellement que "Dévolu a donné naissance à des formes barbares, comme s'il y avait un verbe dévoluer ou dévoloir" ; et que c'est pour illustrer ces formes barbares qu'il cite Beauvoir (ainsi que quelques autres), même s'il qualifie l'exemple castorien de "moins étrange". Je note également dans ce paragraphe, consacré aux verbes défectifs, des exemples (ou des contre-exemples, si l'on emprunte votre point de vue) d'adjectifs dont on relève ici ou là l'occurrence d'un emploi quasi participial (qui peut se dicuter autant que "que le ciel m'eût dévolu") : usité, enneigé, stupéfait, éperdu, etc.
Sachez que je ne cherche nullement à "vous avoir", au contraire, il me plaît qu'on me porte la contradiction, et je dois dire que vous excellez dans ce domaine. Et pardonnez mon péché de cuistrerie (que j'aimerais mort-né...), que je pratique uniquement parce que, apprenant chaque jour la langue en la lisant, je crois que nous nous devons les uns aux autres les remarques qui permettent de la rendre digne de ces lieux.
28 novembre 2008, 10:48   Programme
« apprenant chaque jour la langue en la lisant, je crois que nous nous devons les uns aux autres les remarques qui permettent de la rendre digne de ces lieux. »

Où faut-il signer ?
03 décembre 2008, 16:06   Vous êtes stupéfiant !
Je relis cette réponse vôtre Francmoineau et découvre avec mon habituel esprit de l'escalier qu'elle fait plus qu'apporter de l'eau au moulin de la singularité de "dévolu": elle corrobore la thèse. En effet il n'est pas de verbe pour stupéfait (ni pour usité ou éperdu) car ces termes sont employés en attributs du sujet, autrement dit en adjectifs, à la différence de "dévolu" participe passé d'emploi transitif (voir les exemples fournis par Corto apparemment à son insu).

Mais le cas de "stupéfait" adjectif est très éclairant puisque comme pour suppléer à l'inexistence d'un verbe *stupéfaire, a été créé celui, éminemment conjugable, de stupéfier, verbe transitif du premier groupe.

C'est ainsi que le couple stupéfait/stupéfier révèle qu'existe un verbe incréé, qui permet la conjugaison d'un participe passé en régime transitif, sorte de membre fantôme du corps des verbes de la langue française, qui donc est à dévolu adjectif ce que stupéfier est à stupéfait adjectif mais qui offre cette particularité remarquable de ne pas exister à l'infinitif !!!
03 décembre 2008, 16:49   Re : Vous êtes stupéfiant !
En peut-il mais, ce pauvre infinitif, s'il a été choisi par les grammairiens pour lemmatiser les formes conjuguées ? Qu'un verbe soit défectif à l'infinitif, qu'est-ce que cela a de si remarquable ?
03 décembre 2008, 17:38   Re : Vous êtes stupéfiant !
Et bien pour vous répondre simplement je dirais qu'un verbe qui se conjugue sans posséder d'existence à infinitif est un peu comme une créature munie de bras et de jambes mais dépourvue de tête. Certains crinoïdes et araignées de mer sont ainsi, c'est vrai, ce qui contribue à rendre ces créatures très intrigantes.

Défectif: diriez-vous d'un décapité qu'il est défectif de sa tête ? Nous connaissons des verbes défectifs à certains temps de certains modes pour certaines personnes; mais pouvez-vous me citer des verbes, je dis bien des VERBES, c'est à dire conjugués (pas de "usité" et autres "stupéfaits" donc) qui seraient défectifs à leur infinitif ?

(enneigé donné par Francmoineau a son verbe enneiger et n'a pas grand chose non plus à faire dans ce débat)
03 décembre 2008, 18:07   Re : Vous êtes stupéfiant !
Je crois, Francis, qu'il s'agit d'une erreur de perspective. Les grammairiens français conjuguent le verbe "aimer" et non pas le verbe "j'aime" (comme en grec ou en latin), c'est pure contingence (amenée, bien entendu, par un souci de simplification didactique). On utilise bien plus souvent, dans la langue parlée, l'indicatif que l'infinitif... Je ne trouve donc pas extraordinaire, a priori, qu'un infinitif soit absent du tableau complet de la conjugaison là où, par exemple, un participe adjectivé est très utile...
03 décembre 2008, 18:33   Re : Vous êtes stupéfiant !
Hélas votre réponse ne peut me satisfaire. L'ablation de l'infinitif fait tomber comme une tête sous le couteau de la veuve un partie essentielle du discours: le verbe infinitif sujet (Lire me fatigue la vue). L'infinitif du verbe comme artifice didactique ainsi que vous l'avancez n'est qu'un détail de la métalangue comparé à ce mal du verbe-tronc que la communauté linguistique corrige comme le cerveau les images passant sur le point-aveugle de la rétine, c'est à dire, comme l'a montré cette discussion, en occultant jusqu'à cette correction-même !
03 décembre 2008, 20:51   Re : Vous êtes stupéfiant !
Les grammairiens grecs sont-ils moins compétents que les nôtres ? Pourquoi le verbe substantifié ("lire fatigue la vue") aurait-il une préséance de principe sur, par exemple, le participe ("lu"), servant à former la plupart des temps dans certaines langues, ou sur la forme la plus fréquente, "lit" la troisième personne du singulier de l'indicatif présent ? En sanskrit, l'on apprend le radical : "bh&#7771;ta, bharati" (porter), soit : radical et troisième pers. sing. indic. prés.) et non l'infinitif... Une seule chose importe, pour les grammairiens : le radical. Et c'est parce qu'en français l'infinitif en est proche que, par souci didactique, il a été choisi. C'est ainsi qu'il est devenu, comme vous dites, « la tête de la bête ». Il faut relativiser les choses...
04 décembre 2008, 04:41   Re : Vous êtes stupéfiant !
Pourquoi le verbe substantifié ("lire fatigue la vue") aurait-il une préséance de principe sur, par exemple, le participe ("lu"), servant à former la plupart des temps dans certaines langues, ou sur la forme la plus fréquente, "lit" la troisième personne du singulier de l'indicatif présent ?

Le verbe substantifié (à l'infinitif donc, "lire fatigue la vue") doit sa préséance de principe au fait incontournable et incontestable qu'en tant que sujet il peut régir un autre verbe; ce qui n'est évidemment pas le cas des formes "lu" ou autres instances conjuguées ("lit", etc.). Cette préséance, s'il elle est de principe, n'est nullement arbitraire, elle est raisonnée: le verbe substantifié par sa forme à l'infinitif en fonction sujet commande une relation prédicative qui l'extrait de celle où s'expriment ses formes conjuguées.

Dans un rapport officiel je lis aujourd'hui:
Les communes à qui sont dévolues dorénavant certaines compétences dans le cadre de la décentralisation en matière de développement économique, social et culturel, auront une bonne occasion d’affirmer leurs nouvelles missions de développement.

Or, dévoloir aux communes n'existe pas. Je ne puis écrire ou penser, par exemple: *dévoloir aux communes est une hérésie politique, une bonne chose pour les administrées, pour l'avenir, etc. Mon discours est mort-né.

Rien dans vos interventions ne me dit ce que vous pensez de cela.
04 décembre 2008, 09:25   Re : Vous êtes stupéfiant !
Je crois l'avoir dit, pourtant : "dévolu" vient directement du latin "devolutus", il n'y a pas de verbe "dévoloir" ou "dévoluer" en français (ce n'est donc pas de là que vient le terme), et il est parfois traité en participe passé. Je disais même que s'il fallait (grammaire-fiction), créer un verbe, il faudrait le faire en redescendant du latin, et non en remontant du français. Notre discussion sur l'infinitif comme unité lexicale de lemmatisation est secondaire (mais je pense avoir raison : il suffit de comparer avec les langues où la lemmatisation se fait de façon différente).
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