Le site du parti de l'In-nocence

L'homme obsolète

Envoyé par Quentin Dolet 
29 novembre 2008, 01:01   L'homme obsolète
"Rien ne discrédite aujourd'hui plus promptement un homme que d'être soupçonné de critiquer les machines. En outre, il n'existe aucun endroit sur notre globe où le risque d'être victime de ce soupçon soit moindre qu'ailleurs. De ce point de vue, Détroit et Pékin, Wuppertal et Stalingrad sont identiques aujourd'hui ; les groupes sociaux aussi : car dans quelle classe, dans quel groupement d'intérêts, dans quel système social et dans la sphère d'influence de quelle philosophie politique a-t-on jamais pris la liberté d'avancer un argument contre les "effets avilissants" de l'un ou l'autre de ces instruments, sans s'attirer automatiquement la grotesque réputation d'être un ennemi acharné des machines et sans se condamner, non moins automatiquement, à une mort intellectuelle, sociale ou médiatique ? Il n'est pas étonnant que la peur de cette inévitable disgrâce pousse la plupart des critiques à mettre une sourdine à leur propos, et que la publication d'une critique de la technique soit devenue aujourd'hui une affaire de courage civique. Finalement, pense le critique, je ne peux pas me permettre de laisser tout le monde (de la première ménagère venue à la computing machine) dire de moi que je suis le seul à avoir raté le coche de l'histoire du monde, le seul individu obsolète et le seul réactionnaire du lot. C'est ainsi qu'il finit par ravaler sa langue. Tout simplement pour éviter de passer pour un réactionnaire."

Günther Anders : L'obsolescence de l'homme : Sur l'âme à l'époque de la deuxième révolution industrielle (1956) ; Paris : Editions de l'Encyclopédie des Nuisances, 2001

A lire tout particulièrement pour la partie principale : Le monde comme fantôme et comme matrice : considérations philosophiques sur la radio et la télévision. Je n'ai jamais rien lu de plus intelligent sur le sujet.
29 novembre 2008, 03:35   Contradiction
Voit-on bien la contradiction grave, fondamentale, motrice, qu'il y a entre la critique frontale de la machine (avilissante pour l'esprit et le corps, asservissante, prétendûment inefficiente, enchaînant l'homme à l'apprentissage perpétuel - comme le rappelait récemment Boris à propos du numérique) d'une part et la critique frontale de la démographie déréglée d'autre part ?

Le Japon, qui présente aujourd'hui la démographie la plus faible du monde développé, a été un des premiers à l'affronter et à devoir la résoudre. Pas question pour lui de pallier la baisse démographique par une importation indiscriminée de main-d'oeuvre sous-qualifiée qui nettoierait les rues ou endormirait les patients des services de chirurgie dans les hôpitaux, ou ferait cuire le riz dans les restaurants. On crée, on innove dans l'industrie des matériaux autolavant, on robotise, on invente des autocuiseurs qui se passent de l'homme. La technique , qui fut d'abord importée avec des techniciens, au IVe siècle de notre ère (vers à soie, etc.), dans le cadre d'une politique d'immigration discriminante (nous dirions aujourd'hui "choisie"), après avoir dispensé le Japon d'une immigration de main-d'oeuvre (et à plus forte raison de tout "regroupement familial"), lui permet d'envisager aujourd'hui de se dispenser d'une "croissance démographique" pourvoyeuse de petites mains.

Voilà ce que la technique peut faire pour vous: contourner la fatalité de la prolétarisation du monde. Que les prosateurs nostalgiques du temps où elle n'existait pas veuillent bien y songer et ne plus se boucher les yeux face à LA contradiction.
29 novembre 2008, 10:26   Re : L'homme obsolète
« Rien ne discrédite aujourd'hui plus promptement un homme que d'être soupçonné de critiquer les machines. »

Peut-on rêver phrase plus évidemment, plus manifestement, plus criantement, plus immédiatement, plus insolemment, plus simplement fausse ? Même Orimont Bolacre n'y souscrirait pas, je pense.
Utilisateur anonyme
29 novembre 2008, 10:46   Re : L'homme obsolète
Soit, c'est une proposition, le choix japonais de remplacer les "esclaves humains" par les "esclaves robots".
Mais quel est le moteur de ce choix si différent de celui de la France (par exemple), cher Francis ?
29 novembre 2008, 12:37   Re : L'homme obsolète
J'ai commis des résumés de quelques textes d'Anders, dont "Le monde comme fantôme et comme matrice : considérations philosophiques sur la radio et la télévision". (Olivier, je signe votre déclaration : "Je n'ai jamais rien lu de plus intelligent sur le sujet".)

Vous trouverez ces teasers ici.
29 novembre 2008, 13:26   Re : L'homme obsolète
Merci beaucoup M. Fleury, un beau travail.

Le texte date de 1956 : peut-être aujourd'hui ne le dirions-nous pas exactement de la même façon, mais le fait que toute "réaction" vis-à-vis de la technique - réaction réelle j'entends, pas une opposition de circonstance et "raisonnable" à telle ou telle machine - le fait que cette réaction soit immédiatement suspecte, et souvent tournée en ridicule, me parait absolument vrai, observable tous les jours.
Utilisateur anonyme
29 novembre 2008, 13:31   Re : L'homme obsolète
« Peut-être aujourd'hui ne le dirions-nous pas exactement de la même façon, mais le fait que toute "réaction" vis-à-vis de la technique - réaction réelle j'entends, pas une opposition de circonstance et "raisonnable" à telle ou telle machine - le fait que cette réaction soit immédiatement suspecte, et souvent tournée en ridicule, me parait absolument vrai, observable tous les jours. »

Encore une fois absolument d'accord avec vous, Olivier.
29 novembre 2008, 13:41   Re : L'homme obsolète
Il ne s'agit pas seulement de "contourner la prolétarisation du monde", mais aussi de déjouer le besoin de main-d'oeuvre importée. C'est victime de ce besoin que la France, entre autres pays européens, en a invité certains, d'Afrique du Nord, à venir travailler puis à ramener leur familles avant de les voir aujourd'hui se retourner contre le pays d'accueil lui-même en lui reprochant tout, jusqu'à ce besoin originel , et fort de ce reproche, comme des sales gosses contre leurs parents qu'ils accusent de les avoir mis au monde, exiger, prendre, imposer des changements en leur faveur au sein même de la société qui les avait accueillis pour combler son hystérique besoin d'enfants et de petites mains.

La technique et ses jeux affranchissent de ce besoin hystérique de se remplir d'enfants dévorateurs; cela est vrai au niveau individuel comme à celui de l'économie des sociétés. Plutôt un robot esclave qu'un humain importé et faussement asservi. Nul ne peut dire si cette politique au Japon tiendra longtemps, mais une chose est certaine : la société japonaise ne connaît pas les problèmes de la société française; elle a les siens, certes, mais qui ne la mettent pas au pied du mur.

L'immigration choisie débuta au Japon en invitant des savants chinois puis coréens que l'autoritarisme des nouveaux chefs continentaux avait chassés; on a alors absorbé ce savoir et ces migrants de qualité, considérés déjà comme des experts étrangers, ont fait souche au Japon. Mais lorsque l'expansion du Japon sur le continent (Manchoukuo) puis son reflux (après la 2ème Guerre) sont intervenus, le Japon, pourtant vaincu, écrasé, n'a pas plié, n'a accepté aucune immigration de peuplement. La terreur communiste sur le continent n'a jamais explicitement menacé le Japon d'une contre-colonisation plus ou moins pacifique, plus ou moins belliqueuse, comme aujourd'hui s'autorisent à le faire des colonel Khadafi à l'endroit de l'Europe. Comme cela a-t-il été possible ? Une certaine fermeté politique, une confiance inébranlable aux puissances de la technosphère ont produit leurs fruits économiques, technologiques et démographiques. L'étranglement démographique et familial et la régression de la qualité de vie qui règnent à présent semble-t-il sur l'ensemble de la planète (sauf peut-être en Islande ou au Groënland) n'ont pas atteint le Japon, épargné tant par "l'auto-invasion" (Claude Lévi-Strauss) démographique que par les flux migratoires. Je vous le dit Obi Wan, à cet échec à la régression de la civilisation, la technique, l'essor technologique ont eu plus que leur part.
Utilisateur anonyme
29 novembre 2008, 14:44   Re : L'homme obsolète
cet échec à la régression de la civilisation, la technique, l'essor technologique ont eu plus que leur part.

J'en suis pour ma part convaincu que la technique peut être tout à fait libératrice, du moment qu'on ne la considère que pour ce qu'elle est, un moyen, et que de toute façon un retour en arrière est impossible.
Au sujet des Japonais, leur état d'iliens, la nécessité de compter sur le groupe dans un environnement assez dur (peu de ressources naturelles) leur ont donné une forte identité, un ciment de haute qualité qu'ils ont eu envie de préserver en dépit de leur grande curiosité mais aussi grâce à elle, puisqu'elle leur a permis l'indépendance économique et même l'indépendance culturelle nécessaires.
29 novembre 2008, 14:51   Re : L'homme obsolète
Vous vous trompez lourdement de penser que la "technique doit être considérée pour ce qu'elle est, un moyen". C'est faux, archi-faux, la technique n'est pas qu'un moyen. Elle est un des piliers de la culture, de la civilisation. Je m'en vais mettre en ligne ici un fragment de texte qui devrait vous en convaincre.
Utilisateur anonyme
29 novembre 2008, 14:58   Re : L'homme obsolète
J'attends votre texte avec un grand intérêt, Cher Francis, car je suis aussi convaincu que vous que la Technique n'est pas (qu')un moyen.
When we come to our Western Civilization, we find no difficulty in detecting our bent or bias. It is or course, a penchant towards machinery : a concentration of interest and effort and ability upon applying the discoveries of Natural Science to material purposes through the ingenious construction of material and social clockwork (material engines such as steamships and motor-cars and sewing-machines and wrist-watches and fire-arms and bombs; and social engines such as parliamentary constitutions and military mobilization systems). We are acutely aware that this is our Western bent; but we are possibly apt to under-estimate the length of the time during which our Western energies have been flowing in this direction.
We sometimes talk as though our Western “Machine Age” were no older than the modern Western Industrial Revolution which began little more than a century and a half ago; and it is true that less than two centuries and a half ago the polite society of Holland and England (which were two of the most commercially-minded Western countries of the day) was disgusted at the base mechanic êthos of Russian Peter. Peter the Great, however, was manifestly a lusus Naturae; and the disgusting impression which he made upon the sensibilities of the Bishop Burnet and a King William III as a barbarian whose barbarism was accentuated and not redeemed by his amazing but unedifying mechanical talent is precisely the impression which Homo Occidentalis himself has usually made upon the children of other civilisations since very early days. This is how Homo Occidentalis was regarded in China and Japan in the earlier decades of the nineteenth century of the Christian Era; and he was regarded in much the same way in the Orthodox Christian World eight centuries earlier when he burst upon the East Roman Empire in the First Crusade. Anna Comnena’s description of the cross-bow – “a barbarian weapon which is entirely unknown to the Hellenes” – might serve, mutatis mutandis, for a description of a modern Western rifle from the pen of a nineteen-century Confucian literatus. The Byzantine authoress brings out the ingenuity of construction and length of range and power of penetration and deadliness of effect of this Western lethal weapon, and sums it up as a "really devilish contrivance". There are a number of other symptoms that indicate how early this mechanical trend declared itself in Western history. Clock-work, for example, in the literal sense, appears to have been invented in the West in the same century as the cross-bow; and in the thirteenth century of the Christian Era Roger Bacon, within the bosom of the Western Society, was as notable a forerunner of the latter-day Homo Occidentalis Mechanicus as the alien Peter Alexeyevich four centuries later.

It is even possible that the first stirrings of our Western mechanical activity may be discerned at much earlier date, when he "apparented" Hellenic Society was still in being and the "affiliated" Western Society was only in gestation, awaiting the hour of its birth. It is at any rate one of the curiosity of history that the sole instance of the application of mechanical invention to practical economic life which appears to be recorded in Hellenic annals had its locus in Gaul: a region which was not incorporated into the Hellenic world until its latter days, and which always remained on its fringe, but which had been the homeland and heart of the Western World at every stage of the Western Cililization. This Galic apparatus -- the existence of which is attested in the first century of the Christian Era, and again in the fourth -- seems "rudimentary" and "clumsy" to the modern Western scholar when he studies the original accounts of it at second-hand with the masterpieces of modern Western mechanical ingenuity in his mind as a standard of comparison. Yet if we consider this labour-saving appliance in its Hellenic environment and appraise it on a Hellenic standard from a Hellenic standpoint, we shall be inclined to regard it as being almost as great a portent in the Roman Empire as the genius of Peter Alexeyevich was in Holy Russia. We feel ourselves here in the presence of something profoundly alien from the Hellenic genius. Is it fanciful to see in this "rudimentary" and "clumsy" Gallic reaping-machine a precocious pre-natal manifestation of the Western mechanical bent ?
=============

Le fragment ci-dessus est extrait du chapitre Differentiation Through Growth du Volume III de A Study of History d'Arnold Toynbee (5ème édition, 1951). L'auteur rappelle comment, de tout temps, l'Occident, depuis son coeur géographique (la Gaule) s'est distingué par l'art de la mécanique qui "économise la main-d'oeuvre", illustré par la première machine à moissonner en Gaule au 1er siècle de notre ère, art auquel les civilisations étrangères ont habituellement opposé incompréhension, mépris et "dégoût" avant d'être par lui conquises. Les civilisations orientales et les mondes helléniques n'ayant pas fait exception à cette règle.
29 novembre 2008, 16:14   Re : L'homme obsolète
Et puis je n'ai aucunement parlé de "libération" par la technique. Il s'agit de civilisation: d'éviter l'auto-invasion, la prolifération/prolétarisation, l'éternelle redevance, la taxe indéfiniment due aux enfants, petits-enfants et arrières-petits-enfants d'humains qui furent incomplètement asservis, incomplètement castrés, d'éviter le fardeau du maître qui se doit à ses esclaves, qui se fait par eux trahir, vendre, prendre en otage, gruger, étouffer. Les robots ne peuvent ni vous trahir, ni vendre vos secrets à vos rivaux ou ennemis, ni vous faire chanter, ni vous piller en douce ou livrer votre intimité en pâture sur internet.

L'asservissement de l'être humain par l'être humain étant toujours incomplet il déçoit, trompe; il se paye cent fois son prix (cf. les Indigènes de la République, déterminés à le faire payer à la France des centaines d'années). La technique n'asservit pas ses victimes si celles-ci n'acceptent leur asservissement de bonne grâce. L'asservi à la technique ne peut et ne doit s'en prendre qu'à lui-même. Quant à l'abruti qui envoie des SMS en conduisant et se tue, encore une fois, il ne mérite pas d'être plaint: il s'est comporté, s'est montré en dessous de la noble et méritante culture qui dès le 1er siècle de notre ère et en passant par Leonard de Vinci, a conçu le SMS et l'automobile. Je n'en démordrai pas.
Utilisateur anonyme
29 novembre 2008, 16:29   Re : L'homme obsolète
Je voulais dire seulement que la technique ne doit pas considérée être une fin en soi, derrière il y a l'homme à laquelle elle doit être adaptée. On en arriverait aussi non à une civilisation inhumaine puisque l'homme devrait suivre la machine, c'est-à-dire être dominé par elle, consommer, dans tous les sens possibles du terme, sa production. Qu'arrive-t-il d'autre dans le Meilleur des Mondes ?
Utilisateur anonyme
29 novembre 2008, 16:31   L'homme obsolète ?
Vous allez me dire que ça n'a rien à voir…

<embed src="[www.odeo.com]; quality="high" width="200" height="26" allowscriptaccess="always" wmode="transparent" type="application/x-shockwave-flash" flashvars="valid_sample_rate=true&amp;external_url=http://www.fuly.fr/Georges/remineur.mp3" pluginspage="[www.macromedia.com];
Utilisateur anonyme
29 novembre 2008, 16:59   Re : L'homme obsolète
Mais je suis d'accord avec vous et votre dernier message, Francis ! (J'avais d'ailleurs abondé dans ce sens dans un autre fil en parlant d'Asimov).
29 novembre 2008, 17:27   Réponse à M. Olivier
« le fait que cette réaction soit immédiatement suspecte, et souvent tournée en ridicule, me parait absolument vrai, observable tous les jours. »

Convenez que les deux propositions ne sont guère superposables.

Critiquer les machines me semble fort répandu, et avoir pour plus habituelle conséquence de vous faire passer, au pire, pour un sympathique vieil original. Ce ne me semble susciter que très peu d'hostilité, plustôt une espèce de commisération amusée. Si vous voulez être "promptement discrédité", je puis vous recommander toute sorte de méthodes infiniment plus rapides et efficaces. La phrase d'Anders est, au mieux, une hyperbole très hyperbolique (et comme telle passablement absurde, à mon avis — et cela n'est pas un jugement sur Anders).

Contre-épreuve, Orimont Bolacre ne cesse de critiquer les machines. Est-il le moins du monde discrédité parmi nous ?
29 novembre 2008, 18:06   Re : L'homme obsolète
Critiquer les machines est-il réellement si répandu ? Autant je crois en effet la critique superficielle des machines plutôt courante (car intégrée, digérée par le système), la critique radicale de la technique en tant que phénomène global ne me parait pas si commune. Je ne l'entends dans les médias, ou dans mon entourage, que très rarement, justement en raison du fait que personne ne veut passer pour un "sympathique vieil original" - surtout avant de faire partie de ce que l'on appelle la vieillesse ! Et quel crédit est-on prêt à accorder, du point de vue philosophique, à un vieil original ? Qui lirait sérieusement les livres d'un philosophe réputé pour sa douce folie passéiste, et dont le seul nom ferait sourire - même gentiment ?

Orimont, on le voit toujours venir avec ses gros sabots réactionnaires, non ?
29 novembre 2008, 18:10   Re : L'homme obsolète
"gros sabots réactionnaires"

Drôles de machines!
29 novembre 2008, 18:31   Re : L'homme obsolète
Il existe toutefois bien des moyens, aujourd'hui, d'être discrédité plus efficacement aux yeux du monde que de critiquer les machines. J'en conviens tout à fait.
29 novembre 2008, 18:55   Re : L'homme obsolète
Mais en bonne herméneutique, pourquoi ne pas replacer la proposition d'Anders dans son contexte, celui des années cinquante ? Qu'est-ce qui nous dit qu'à la date, la critique des machines ne discrédite pas immédiatement son auteur ? Ce n'est peut-être plus le cas aujourd'hui, mais ce le fut peut-être à l'émergence de la seconde révolution industrielle...
29 novembre 2008, 19:22   Re : L'homme obsolète
Il ne dit pas que la critique des machines discrédite immédiatement son auteur, ce qui serait déjà très exagéré, il dit que RIEN NE DISCRÉDITE PLUS PROMPTEMENT UN HOMME, ce qui est une absurdité.
Cette observation faite en passant par Toynbee méritait qu'on s'y arrête un instant.
a penchant towards machinery : a concentration of interest and effort and ability upon applying the discoveries of Natural Science to material purposes through the ingenious construction of material and social clockwork (material engines such as steamships and motor-cars and sewing-machines and wrist-watches and fire-arms and bombs; and social engines such as parliamentary constitutions and military mobilization systems)

Ainsi la machinerie des "material engines" (de l'horlogerie à l'automobile en passant par la machine à vapeur) et celle des "social engines" (constitutions parlementaires, dispositifs de mise en oeuvre militaire, auxquels nous pourrions ajouter les appareils judiciaires) participent de l'Homo Occidentalis Mechanicus qui distingue la civilisation occidentale. Les implications de ce constat sont considérables et comprennent notamment celle-ci: l'effacement de la peine de mort des constitutions occidentales recouvre un transfert de cette peine qu'est désormais chargée d'appliquer la technique, autre versant de l'Homo Occidentalis Mechanicus; celui qui boit de l'alcool et conduit son automobile, qui envoie des SMS au volant démérite de cette civilisation en faisant un mauvais usage de ses techniques; il se comporte envers elle comme un sauvage, et se voit de ce chef appliqué la peine de mort avec exécution immédiate par la technè, comme dans la Rome antique ou la Russie de Pierre Le Grand le barbare auteur d'infraction aux règles de la civilisation encourait l'écartèlement en place publique. Griller un feu rouge à un carrefour moderne de cette même civilisation peut valoir à l'automobiliste auteur de l'infraction le même écartèlement mécanique, public et immédiat par la machine agissant en substitut matériel du procureur antique. (*)

Le statut de la technique moderne, on le voit, n'a à peu près rien à voir avec celui d'un moyen: elle est une forme de droit appliqué. Le code de la route est un document technique de droit appliqué.

(*) Sur un autre plan: griller un feu rouge à un carrefour moderne de la civilisation - celui par exemple de l'antiracisme institutionnel - constitue une infraction sanctionnée par cette composante récente de la Homo Occidentalis Mechanicus, celle des médias lyncheurs et crucifieurs.
Utilisateur anonyme
30 novembre 2008, 14:40   Passez-moi mes tongs
"gros sabots réactionnaires" ?

Où l'on découvre donc que l'apologie de l'oisiveté est réactionnaire (et, conséquemment, je suppose, la sueur du front progressiste.)

La critique des machines à laquelle j'ai pu me livrer n'est en effet pour moi que la critique du refus moral d'apprendre l'oisiveté grâce à elles. Je crois que les machines n'ont d'autre but que de rendre possible cet apprentissage. Si on les fait servir à autre chose (comme il advient) elles sont extrêmement nocives. De plus, l'oisiveté est la seule activité, oui, activité, qu'on ne saurait déléguer aux machines.

On trouve cependant le moyen de ranger l'oisiveté ou, plus modestement, la diminution du temps de travail engendrés par les machines, parmi les graves inconvénients d'icelles, peut-être le plus grave d'entre eux ! Une parade se présente alors : singer les machines, essayer d'exécuter les tâches aussi vite qu'elles, se mesurer à elles, accroître encore la capacité de travail. C'est bien sûr impossible. dans ce sens, les vrais figures de héros de l'époque sont les victimes du "karoshi". Ne sont-ils pas des sortes de nouveaux guerriers en lutte contre la machine ? Hélas, ça ne me fait pas rêver et je trouve cela plutôt stupide. C'est vraiment à pleurer.
30 novembre 2008, 22:06   Japon
Bien cher Francis,

Visitant pour la première fois le Japon, j'avais été surpris par, à la fois, le très fort degré de robotisation des tâches "courantes", mais aussi par l'important présence humaine pour les fonctions de service (par exemple les multiples employés des transports en commun, ou les si serviables "policiers du commissariat du coin de la rue" (je pense pouvoir rédiger un guide des Koban(s), j'avais pris l'habitude d'y demander mon chemin, et je ne fus jamais mal reçu)).
Oui cher Jmarc, cette société semble savoir s'arranger pour donner du travail à tout le monde tout en faisant travailler les robots.

Vous me rappelez ce que disait Lévi-Strauss dans un entretien de 1974 sur les "sociétés chaudes", à mémoire, en les opposant aux "sociétés froides" (immémoriales): les premières ont besoin de déséquilibre, d'asymétrie pour progresser; cette asymétrie (volant de chômage nécessaire, asymétrie et déséquilibre entre le passé et le présent, etc.) étant moteur de l'histoire. Dans cette classification, le Japon constituerait une société techniciste-froide, savoir à la recherche de l'équilibre nourricier. Au Japon, la poussée techniciste tendrait à l'équilibre, et non au déséquilibre comme dans les sociétés chaudes d'Occident.

La poussée migratoire et ses déséquilibres en Europe, lesquels s'accompagnent d'une extraordinaire flambée mémorielle, pourraient encore caractériser l'asymétrie motrice (déséquilibre migratoire, déséquilibre mémoriel) d'une société chaude au sens où l'entend Lévi-Strauss.
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter