Permettez-moi de préciser que je n'associe pas "tâches ingrates" aux métiers manuels. Il me semble que la distinction est nécessaire. Pour moi, éboueur, fille de salle, manœuvre ne sont pas à proprement parler des "métiers manuels", termes qui, dans mon esprit, supposent un savoir-faire, ce qu'on appelle une "qualification", tandis que la première ingratitude des tâches dont il est question c'est précisément qu'elles sont à la portée de n'importe qui (il m'est arrivé d'être manœuvre sur un chantier et c'est à peine si je sais planter un clou. Il s'agissait de porter et voilà tout.)
Ceux qui exécutent ces "tâches ingrates" (grosso modo : porter et nettoyer) n'ont nul besoin de prêter attention aux discours des gauchistes pour les abandonner (les tâches) si l'occasion s'en présente et, si elle ne se présente pas, de ne pas rêver semblable occupation pour leurs enfants. Or, dans l'extrait de l'intervention de Renaud Camus, je crois qu'il s'agit bien de ces tâches-là dont aucun prolétariat autochtone ne voudrait plus. Mais personne sur cette terre n'en veut, de ces tâches, personne, sauf provisoirement, sauf poussé par l'extrême nécessité ou sauf à être maintenu (en effet) dans l'abrutissement d'une bête de somme.
Par ailleurs, il faudrait aussi, peut-être, discuter ce point présenté comme une évidence et selon lequel on aurait "fait appel" à l'immigration pour exécuter des soi-disant "travaux" que les naturels n'auraient plus voulu faire.
"Faire appel", pour moi, signifie, concrètement, mobiliser des moyens de transport pour amener des travailleurs venus d'autres pays, procéder à un recrutement sur place, demander officiellement à un pays de lui envoyer des travailleurs. Les choses se sont-elles passées comme ça ? Ou bien (ce qui ferait une grosse différence) s'est-on contenté d'accorder facilement des permis de séjour ? Au fond, je n'en sais rien. Il me semble simplement qu'il y a une différence entre "faire appel" et profiter de la situation, comme l'a fait le patronat français.
Mes propres grands-parents, quand ils ont fui une Italie que la noirceur conjuguée du pain et des chemises leur avait rendu difficile à vivre, ne répondaient à aucun "appel" et n'en ont pas moins exécuté des "tâches ingrates" à leur arrivée en France (à une époque, soit dit en passant, où l'entreprise de dévalorisation de ces tâches n'était certainement pas l'œuvre de gauchistes dédaigneux mais celle des membres de la classe aux affaires aux yeux desquels, que je sache, il n'était pas question de comparer, du point de vue de la réussite sociale, le sort d'un porte-faix, d'un journalier ou d'un vidangeur, avec celui du plus obscur des employés aux écritures. Les "tâches ingrates" n'ont jamais été valorisées.) Les Polonais pas plus que les Russes, les Arméniens, les Juifs d'Europe de l'est, les Espagnols, les Portugais n'ont répondu à aucun "appel". Il n'est d'autre "appel" que celui de la misère, de la persécution ou de la guerre qui pousse les gens à quitter leur pays.
Bien sûr, les choses ne sont plus si simples que cela, aujourd'hui, mais, tout de même, ce ne sont pas des bateaux remplis d'Américains ou de Japonais qui coulent au large des côtes de l'Afrique en espérant y accoster.