Guy Millière n'est pas toujours d'une lecture gratifiante mais ici il faut bien dire qu'il touche en plein dans le mille. A lire...
Troublantes similitudes
Par Guy Millière © Metula News Agency
Me rendant au cinéma pour voir le film consacré à la bande à Baader
[réalisation Uli Edel, produit par Bernd Eichinger. Ndlr.], je
m´attendais à me trouver face à la narration de l´équipée sordide et
sanglante de la horde gauchiste, qui, à la fin des années 1960 et au
début des années 1970, a déferlé sur l´Allemagne et a glissé vers le
terrorisme. Je m´attendais aussi àce que, politiquement correct oblige,
les gauchistes devenant terroristes soient présentés avec mansuétude.
Je n´ai pas été déçu.
Non seulement l´équipée est décrite en détails, mais encore à
grands renforts de bienveillance. Il y a même davantage que cela:
des explications qui confinent aux justifications. On montre en
effet au spectateur de braves gens d´extrême-gauche, mus par une
volonté de justice sociale, révoltés par les dictatures, confrontés à
une répression policière très brutale, quasiment persécutés. Des
espèces de Robin des bois faisant face à des bourgeois nantis, qui
ont eu vingt ans dans les années nazies et que des jeunes gens au
grand coeur ne peuvent que trouver révoltants.
La violence appelant la violence, le spectateur est conduit àtrouver
presque logique le glissement ultérieur vers les bombes et le
meurtre. Le traitement des terroristes dans la prison où ils sont
enfermés, dans la seconde partie du film, est lui-même présenté de
telle façon qu´on peut avoir le sentiment que le réalisateur entend
conditionner celui qui regarde le film. L´amener à penser qu´il est
confronté à des cas de torture psychologique, voire physique, et
que la grève de la faim qui conduira un terroriste vers la mort est
une forme d´assassinat politique.
Je n´ai pas été déçu, que non. L´Europe est enlisée dans un
relativisme moral, où bourreau et victime sont placés à la même
enseigne, et où celui qui porte un uniforme a nécessairement tort,
où celui qui prend la posture de l´opprimé est presque
obligatoirement du côté de la justice, et celui qui défend des idées
totalitaires, dites «de gauche», a presque obligatoirement raison
face àcelui qui incarne la démocratie occidentale. L´Europe meurt
de ce relativisme, et je n´en suis, hélas, que trop conscient.
Je n´ai pas été déçu, mais le film m´a permis de redécouvrir ce que
je savais et sur quoi je n´avais pas réfléchi depuis longtemps. Au
fond, tout en se proclamant résolument hostiles à tout ce qui
pourrait ressembler au passé national-socialiste de l´Allemagne,
les gens de la bande à Baader avaient de nombreux points de
filiation avec les nazis. Les uns comme les autres détestaient les
sociétés ouvertes et la démocratie: Hitler et ses disciples sont
passés de la vocifération à l´organisation de structures
paramilitaires, à la prise du pouvoir, à la guerre et au génocide;
Baader et ses disciples n´ont guère dépassé le stade de la
vocifération, sinon en braquant quelques banques, en déposant
deux ou trois bombes et en assassinant quelques personnes. Mais
un Baader au pouvoir, un Baader discipliné, aurait eu sans doute
de quoi glacer le sang, tant au sens figuré qu´au sens propre.
Les uns comme les autres avaient les mêmes ennemis: Hitler ne
portait pas les Etats-Unis dans son coeur, et il vouait aux Juifs la
haine que l´on sait. Baader était un antiaméricain frénétique et un
fervent praticien de la version moderne de l´antisémitisme qu´est
l´antisionisme radical.
Baader n´ayant pas d´armée, on voit ses complices exécuter des
attentats contre des bases américaines. On le voit aussi, en
compagnie de ses complices, rejoindre ses frères de combat, tout
aussi antiaméricains et antisionistes que lui: des terroristes arabes
et palestiniens. Lorsqu´on sait les liens qui existaient entre Hitler
et le grand mufti de Jérusalem au temps du Reich, on se dit qu´il
n´y a pas de nouvelles alliances sous le soleil.
Comme on le sait, et comme le film le montre, Baader et ses
principaux complices se sont suicidés en prison. Les disciples de
Baader, eux, sont restés au Proche-Orient. L´avocat de la bande à
Baader, que l´on voit dans le film glisser lui-même vers le
terrorisme, rejoindra plus tard les néo-nazis allemands et
bouclera lui-même sa boucle personnelle.
Dirais-je que, jusqu´à ce jour, nombre de gauchistes européens
antisionistes, antiaméricains et pro-palestiniens ont bien
davantage en commun avec des nostalgiques du nazisme et avec
des islamistes antisémites qu´avec les amis de la société ouverte et
de la démocratie? Il m´arrive, en tous cas, de le penser fortement.