Mesdames et Messieurs,
Comme l’eût dit mon aïeul Léopold le Premier dont le cœur battait à Londres mais dont la tête penchait en Prusse, le choix que nous avons posé sur Monsieur Wilfried Martens a rendu
baff nombre d’entre vous.
Estomaquée, mon épouse le fut aussi, qui me faisait remarquer en souriant
maliziosamente qu’il était heureux que je n’ai pas fait appel au fantôme de M. Churchill, à l’esprit du Général ou aux mânes de M. Spaak.
Cette remarque de la Reine, pour drôlette qu’elle fut, m’a piqué au vif. C’est que, depuis dix-huit mois, j’en ai soupé des ectoplasmes ! Ras la couronne ! Ces prétendus Premiers, ces soi-disant hommes d’Etat qui passent et repassent les murs de nos châteaux depuis le mois de juin 2007 nous causent courants d’air, désagrément moral et courroux récurrent.
C’est qu’à la fin, nous n’oserions plus mettre notre bateau à l’eau, cueillir le champignon en Ardennes ou sortir le hamac dans le jardin de Grasse, n’est-ce pas ! Bernique : nous passons notre vie à écouter dans les trois langues plaintes et jérémiades, à reconstruire, à étançonner, à réconforter, à échafauder. A écouter d’incessants vagissements, à craindre le pire et à chercher vainement des hommes sinon providentiels ou dont le regard porte au moins au-delà de leurs principautés.
Alors, oui !, nous le confessons : nous avons décidé de frapper les imaginations. Profitant de l’un de ces rares moments d’autonomie que le vide de pouvoir nous accorde, nous avons fait jouer à plein… régime nos prérogatives monarchiques en rappelant à la manœuvre un homme certes blanchi sous le harnais (encore que jeune marié…) mais qui incarne à la fois le fédéralisme d’union et une conception aujourd’hui trop rare, du sens de l’Etat.
Et les voilà tous
baff !
Mesdames et Messieurs, permettez-nous ici une confidence : lorsque l’idée de rappeler Martens nous a saisi au mitan de la nuit de lundi à mardi dernier, elle s’est imposée à nous comme le sparadrap sur le pouce du capitaine Haddock.
Bon sang, c’était bien sûr ! Wilfried ! Le petit homme de Sleidinge ! Le complice de feu notre Frère !
Secoué par l’un de ces rires dorénavant trop rares, de ces quintes à démantibuler un baldaquin couronné, nous imaginions alors la stupeur et les têtes de Carême rue de la Loi.
Dans quelques jours, nous leur rendrons la main bien sûr. J’espère qu’ils se souviendront de l’épisode et afficheront en lettres d’or le vieux précepte de James Clarke : « La différence entre l’homme politique et l’homme d’État est que le premier pense à la prochaine élection, le second à la prochaine génération ». Ou, à tout le moins, un peu des deux, à dose égale.
Joyeux Noël à tous. Aimons-nous dans le partage et la diversité qui est le ciment de… Et puis zut : faites comme bon vous semble.
(C'est l'une des quatre propositions pour le discours du Roi parues dans le journal
Le Soir, celle de Luc Delfosse, rédacteur en chef adjoint)