Cher Marcel Meyer,
Je veux bien m'y risquer.
Il se trouve que j'ai acheté il y a une dizaine de jours les "Remarques sur la langue française" de Vaugelas, qu'à ma grande honte, je n'avais pas lu, l'ouvrage, ou lues, les remarques (on est presque dans notre sujet), sans doute à cause de la très mauvaise réputation dont Vaugelas pâtit dans l'Université et lieux circumvoisins, surtout de la part de nos amis linguistes et autres savants : la mauvaise réputation est totalement imméritée et l'espèce d'effigie satanique - l'inventeur de la norme, celui qui a imposé le bon usage, l'émondeur de la langue à la hache ou à la tronçonneuse, le suppôt de l'Etat central et de la cour, celui qui a enserré la langue dans la camisole de la distinction, etc. - dont il a été revêtu ne correspond en rien à la réalité de son livre, très pagailleux, sans ordre, sans plan, avec des articles ou des articulets hétérogènes qui sont mis les uns à la suite des autres sans qu'on comprenne pourquoi, ni même aux intentions pragmatiques de son auteur, qui écrit des "remarques utiles à ceux qui veulent bien parler et bien écrire" et se défie des savants de l'université ou des pédants de l'école ou des raisonneurs dogmatiques et bornés.
Il aborde la question posée dans deux articles : "c'est une des plus belles actions qu'il ait jamais faites" et "le peu d'affection qu'il m'a témoigné". Dans le premier exemple, il affirme que le pronom relatif "que" (qu'il ait jamais faites) a pour antécédent "les plus belles actions" et non pas "une" (auquel cas, il aurait sans doute écrit : "un des pays qui ont les dépenses de santé", comme ne le fait pas Mme Bachelot et comme vous auriez aimé qu'elle l'eût fait); dans le second exemple, il juge que le pronom "que" (qu'il m'a témoigné) a pour antécédent non pas "affection", mais "le peu de".
Il me semble que, du strict point de vue grammatical (Vaugelas argüe en se fondant sur les considérations sémantiques quelque peu oiseuses), il y a, de la part de ce grammairien, une contradiction.
On peut formuler la difficulté ainsi : que représente le pronom relatif, quand il reprend un groupe nominal ou un pronom suivi d'un complément du nom, par exemple dans "un des pays" ou "une des plus belles actions" ou "le peu d'affection" ? Le nom ou pronom recteur (un, une, le peu de) ou le nom régi (pays, actions, affection) ? En bonne logique, il représente le nom ou le pronom recteur, pas le complément qui détermine. Une phrase comme "les animaux de la forêt qui a échappé aux chasseurs" serait incompréhensible. Ce sont les animaux échappent aux chasseurs, pas la forêt.
Certes, vous objecterez que j'ai choisi un exemple malhonnête, mais en bonne théorie syntaxique, si l'on remplace les mots par des symboles, la règle apparaitra plus claire : "un des pays" peut être converti en une suite de symboles : Pron + GP (pronom suivi d'un groupe prépositionnel). Le pronom relatif, qui reprend cette suite de mots, prend les marques de genre et de nombre de la tête du groupe, pas de son expansion : à savoir un, une, le peu de.
Tout cela, c'est du raisonnement. Vaugelas le rejetterait sans doute. Il invoquerait l'usage, qui annulerait peut-être la raison des choses. Les grammairiens ont inventé une figure à laquelle ils ont donné le nom de "syllepse" (accord selon le sens et non selon la forme), qui permet de justifier le pluriel "qui ont". Enfin, je ferai remarquer très humblement que le test auquel ont recours certains grammairiens (remplacer "un des" par celui ou un parmi) peut également justifier le singulier "qui a" : la France est celui des pays qui a les dépenses de santé ou le pluriel "qui l'interrogeaient" : un parmi les consuls qui l'interrogeaient...