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A la une du Figaro

Envoyé par Marcel Meyer 
27 décembre 2008, 11:12   A la une du Figaro
Roselyne Bachelot : « La France est un des pays qui a les dépenses de santé par habitant les plus élevées du monde. »

[Ce n'est pas une coquille, la même phrase se retrouve en pages intérieures. Reste à savoir si c'est la ministre de la Santé qui ne sait pas accorder le verbe au sujet ou si c'est la journaliste qui a mal transcrit.]

Un peu plus bas : face à la menace de la Deutsche Bahn, la SNCF « ne s'en laisse pas compter ». Il se peut que le journaliste du Figaro imagine que l'on compte fleurette en effeuillant la marguerite.
27 décembre 2008, 12:04   Phrase de Mme Bachelot
Bien cher Marcel, cette phrase n'est pas incorrecte si Mme Bachelot souhaite insister sur la situation de la France.

« Peut-être suis-je un des seuls hommes de ce pays qui fasse ses livres à la main » (Julien Green, Journal, 6 juillet 1942).
27 décembre 2008, 13:06   Re : A la une du Figaro
Merci, cher Jean-Marc, de m'avoir poussé à vérifier. Il apparaît que l'accord du verbe avec le sujet un des ou un de ceux qui et apparentés présente un certain désordre dans lequel, dit Grevisse, les grammairiens ont, sans grand succès, tenté de rétablir la logique ou ce qu'ils croient tel (voir par exemple dans Littré, dans l'article un, les Rem. 1 à 4.

Il semble toutefois que le pluriel devrait s'imposer lorsque la forme signifie "un parmi ceux qui" et pourrait être remplacé par cette formule :
La France est un des pays qui ont les dépenses de santé par habitant les plus élevées du monde
car on peut remplacer par
La France est un parmi les pays qui ont les dépenses de santé par habitant les plus élevées du monde.

En revanche, lorsque un peut-être remplacé par celui, c'est le singulier qui s'impose :
Il répondit à un des consuls qui l'interrogeait
car on peut remplacer par
Il répondit à celui des consuls qui l'interrogeait.

Mais, écrit Grevisse, le singulier n'a pas toujours cette justification logique et il s'agit souvent d'une association mécanique au fait que l'on s'exprime à propos d'un être ou d'une chose particuliers.

En conclusion, je maintiens que Mme Bachelot a tort mais elle est loin d'être la seule à faire cet accord illogique. JGL accepterait-il de donner son avis ?
27 décembre 2008, 16:05   Re : A la une du Figaro
Cher Marcel Meyer,

Je veux bien m'y risquer.
Il se trouve que j'ai acheté il y a une dizaine de jours les "Remarques sur la langue française" de Vaugelas, qu'à ma grande honte, je n'avais pas lu, l'ouvrage, ou lues, les remarques (on est presque dans notre sujet), sans doute à cause de la très mauvaise réputation dont Vaugelas pâtit dans l'Université et lieux circumvoisins, surtout de la part de nos amis linguistes et autres savants : la mauvaise réputation est totalement imméritée et l'espèce d'effigie satanique - l'inventeur de la norme, celui qui a imposé le bon usage, l'émondeur de la langue à la hache ou à la tronçonneuse, le suppôt de l'Etat central et de la cour, celui qui a enserré la langue dans la camisole de la distinction, etc. - dont il a été revêtu ne correspond en rien à la réalité de son livre, très pagailleux, sans ordre, sans plan, avec des articles ou des articulets hétérogènes qui sont mis les uns à la suite des autres sans qu'on comprenne pourquoi, ni même aux intentions pragmatiques de son auteur, qui écrit des "remarques utiles à ceux qui veulent bien parler et bien écrire" et se défie des savants de l'université ou des pédants de l'école ou des raisonneurs dogmatiques et bornés.

Il aborde la question posée dans deux articles : "c'est une des plus belles actions qu'il ait jamais faites" et "le peu d'affection qu'il m'a témoigné". Dans le premier exemple, il affirme que le pronom relatif "que" (qu'il ait jamais faites) a pour antécédent "les plus belles actions" et non pas "une" (auquel cas, il aurait sans doute écrit : "un des pays qui ont les dépenses de santé", comme ne le fait pas Mme Bachelot et comme vous auriez aimé qu'elle l'eût fait); dans le second exemple, il juge que le pronom "que" (qu'il m'a témoigné) a pour antécédent non pas "affection", mais "le peu de".
Il me semble que, du strict point de vue grammatical (Vaugelas argüe en se fondant sur les considérations sémantiques quelque peu oiseuses), il y a, de la part de ce grammairien, une contradiction.

On peut formuler la difficulté ainsi : que représente le pronom relatif, quand il reprend un groupe nominal ou un pronom suivi d'un complément du nom, par exemple dans "un des pays" ou "une des plus belles actions" ou "le peu d'affection" ? Le nom ou pronom recteur (un, une, le peu de) ou le nom régi (pays, actions, affection) ? En bonne logique, il représente le nom ou le pronom recteur, pas le complément qui détermine. Une phrase comme "les animaux de la forêt qui a échappé aux chasseurs" serait incompréhensible. Ce sont les animaux échappent aux chasseurs, pas la forêt.
Certes, vous objecterez que j'ai choisi un exemple malhonnête, mais en bonne théorie syntaxique, si l'on remplace les mots par des symboles, la règle apparaitra plus claire : "un des pays" peut être converti en une suite de symboles : Pron + GP (pronom suivi d'un groupe prépositionnel). Le pronom relatif, qui reprend cette suite de mots, prend les marques de genre et de nombre de la tête du groupe, pas de son expansion : à savoir un, une, le peu de.

Tout cela, c'est du raisonnement. Vaugelas le rejetterait sans doute. Il invoquerait l'usage, qui annulerait peut-être la raison des choses. Les grammairiens ont inventé une figure à laquelle ils ont donné le nom de "syllepse" (accord selon le sens et non selon la forme), qui permet de justifier le pluriel "qui ont". Enfin, je ferai remarquer très humblement que le test auquel ont recours certains grammairiens (remplacer "un des" par celui ou un parmi) peut également justifier le singulier "qui a" : la France est celui des pays qui a les dépenses de santé ou le pluriel "qui l'interrogeaient" : un parmi les consuls qui l'interrogeaient...
27 décembre 2008, 16:45   Re : A la une du Figaro
Merci pour ce très intéressant éclairage, cher ami.

Tout de même, concernant la phrase avec les consuls (remplaçons-les par des sénateurs, si vous le voulez bien, il ya en a davantage), le sens n'est pas le même selon l'une ou l'autre des possibilités, il me semble. La phrase "Il répondit à un des sénateurs qui l'interrogeait", évoque un homme interrogé par un sénateur (un parmi tous les sénateurs du moment), auquel il répond ; tandis que la phrase "Il répondit à un des sénateurs qui l'interrogeaient" évoque pour moi l'image d'un homme interrogé par un groupe de sénateurs, sa réponse s'adressant à l'un d'entre eux.
28 décembre 2008, 11:10   Re : A la une du Figaro
J'en suis bien d'accord.
Cet exemple (et d'autres d'ailleurs) montre que, si l'antécédent du pronom relatif est bien formellement la "tête" du groupe, "un" en l'occurrence, le pronom peut représenter (par syllepse ? proximité ?) le complément déterminatif de ce pronom (son "expansion") et que, dans ces conditions, le sens de la phrase change. La difficulté que vous nous avez soumise montre aussi qu'il y a du "jeu" dans la syntaxe, ou de la "tolérance", comme quand, dans l'usinage des pièces, une tolérance de moins d'un mm est accordée à l'ouvrier qui usine.
28 décembre 2008, 16:35   Re : A la une du Figaro
La France est un des pays qui ont les dépenses de santé par habitant les plus élevées du monde :

Il y a un certain nombre de pays qui se trouvent avoir les dépenses de santé les plus élevées du monde. La France en fait partie. C'est très clair (c'est le "un parmi" cité par Marcel Meyer, que je remercie pour avoir mis sur la place publique le problème de cette agaçante et quasi universelle tournure).


La France est un des pays qui a les dépenses de santé par habitant les plus élevées du monde :

La France a les dépenses de santé les plus élevées du monde, et elle est un des pays.


Le choix est vite fait !
28 décembre 2008, 18:44   Re : A la une du Figaro
La France est un pays très attractif et aussi très visité.
04 janvier 2009, 11:12   Re : A la une du Figaro
La France est un des pays qui a les dépenses de santé par habitant les plus élevées du monde

La phrase n'est-elle pas affectée d'un double vice avec un comparatif absolu (les plus élevées du monde) qui contredit un des pays ? L'anacoluthe relevé par Marcel serait à mes oreilles acceptable si l'on avait écrit La France est un des pays qui a les dépenses de santé par habitant parmi les plus élevées du monde. (Je sens l'ombre glacée des grandes ailes noires déployées de Francmoineau me glisser sur l'échine)
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