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L'être et le rien

Envoyé par Alain Eytan 
16 janvier 2009, 02:00   L'être et le rien
Une goutte dans l'océan n'est rien parce que sans limite.
Une goutte dans l'air est quelque chose, parce que l'absence d'eau autour d'elle est ce qui lui permet d'être.
La négation de l'absente possibilité est donc ce qui nous met en présence de ce qui est de fait.

C'est extrait d'un texte cabalistique hassidique commentant le verset : Et d'où viendra une aide ?
16 janvier 2009, 03:20   Re : L'être et le rien
Un cabaliste heideggérien au PI, manquait plus que ça !
16 janvier 2009, 07:51   Re : L'être et le rien
Rassurez-vous, cher Bruno, c'est une citation de citation, je n'y suis pour rien.
Que j'ai trouvée étonnante, il est vrai...
16 janvier 2009, 09:02   Re : L'être et le rien
Permettez-moi de vous en remercier, en tout cas.
16 janvier 2009, 09:40   Re : L'être et le rien
Joli ! On trouve des choses très semblables dans les Upanishads. (Au moins pour les deux premières phrases.)
16 janvier 2009, 09:42   Re : L'être et le rien
Je suis votre obligé, cher Renaud Camus.
16 janvier 2009, 12:55   Re : L'être et le rien
C'est très proche des premiers mots de l'Ecclésiaste, hevel havalim, que l'on traduit improprement par vanité des vanités.
Il vaudrait mieux dire buée des buées, rien de rien.
Voir Célébration hassidique d' Elie Wiesel.
16 janvier 2009, 14:06   Re : L'être et le rien
Buée des buées, quel joli titre ce ferait... Mais je songe plutôt à Quelle chance pour le temps !, une des phrases favorites de ma mère (hier encore...).
16 janvier 2009, 17:33   Re : L'être et le rien
J'espère, cher Monsieur Eytan, que vous n'avez pas mal pris ma remarque facétieuse... Je vous remercie également de nous avoir fait partager ce fragment métaphysique.
16 janvier 2009, 19:58   Re : L'être et le rien
En effet, cher Florentin, alerté par vous, je viens d'ouvrir mon Even Soushan, excellent dictionnaire hébreu-hébreu : en langue courante et actuelle, hevel a un sens nettement péjoratif, qui signifie "broutilles", "inepties".
Originellement, encore proche de l'araméen havla, c'est "une vapeur, une buée qui monte de la bouche dans le cours de la respiration".
Un frémissement étroitement associé au souffle de vie.
16 janvier 2009, 20:13   Re : L'être et le rien
Allons non, cher Bruno Chaouat...
Et vous avez parfaitement raison, c'est heideggerien en diable : la négation d'un possible non réalisé produisant l'étant.
Ce qui voudrait dire que l'Etre serait cette négation même, prise sur ce rien qu'est le possible non actualisé...

Je ne plaisante qu'à moitié.
16 janvier 2009, 20:19   Re : L'être et le rien
j'aime particulièrement ce passage de "Qu'est-ce que la métaphysique ?" : "Dans l’angoisse — disons-nous — « un malaise nous gagne ist es einem unheimlich ». Que signifient le « cela » et le « nous » ? Nous ne pouvons dire devant quoi un malaise nous gagne. Cela nous gagne, dans l’ensemble. Toutes choses et nous-mêmes nous abîmons dans une indifférence. Cela, toutefois, non au sens d’un simple disparaître ; au contraire, dans leur recul comme tel, les choses se tournent vers nous. Ce recul de l’étant dans son ensemble qui nous investit dans l’angoisse nous oppresse. Aucun appui ne reste. Il ne reste et vient sur nous — dans la dérive de l’étant — que cet « aucun ». L’angoisse manifeste le rien."
Mais plus proche de vos préoccupations, le beau texte de Giorgio Agamben, sur Bartleby de Melville, je crois...
Utilisateur anonyme
16 janvier 2009, 20:21   Besoin d'aide
"Une goutte dans l'océan n'est rien parce que sans limite.
Une goutte dans l'air est quelque chose, parce que l'absence d'eau autour d'elle est ce qui lui permet d'être.
La négation de l'absente possibilité est donc ce qui nous met en présence de ce qui est de fait."


"La négation de l'absente possibilité" est-elle équivalente à "l'affirmation de la présente impossibilité" ?

Quelqu'un peut-il me révéler ce qu'est cette "négation de l'absente possibilité", en réécrivant cette phrase, comment dire, dans un français plus accessible ou, même, en vers ?
16 janvier 2009, 20:33   Re : Besoin d'aide
A mon très humble avis, cher Orimont, ces phrases ne veulent rien dire du tout. Il n'y a tout simplement pas de "goutte" dans l'océan. C'est une figure de style, subrepticement transformée en objet, sur quoi "philosopher".
16 janvier 2009, 22:14   Re : Besoin d'aide
Dans ce passage auquel vous faites allusion, le "rien" est précisément suscité par l'étant, c'est à dire par la prolifération infinie des choses auxquelles aucun fondement ultime, aucune limite, aucun terme englobant ne peut être assigné.
Le "rien", un néant, a bien la forme d'une illusion déçue : c'est l'impossibilité de réaliser la saisie de la totalité de l'étant, autrement que sur le mode de l'Idée (une "Idée de la raison" au sens kantien).
A vouloir embrasser le monde d'un seul regard, étant placé "au milieu des choses", on finit par glisser perpétuellement d'horizon en horizon, en fait on n'en finit jamais, et l'on brasse le vide.
C'est, je crois, le sens de ce passage.

Or ce "néant" induit par la chute sans fin à travers les couches successives de l'étant, est-il l" 'Etre" de Heidegger?
Car c'est précisément cela: ce qui se dévoile par le recul de ce qui est...

Heidegger m'a été surtout "dévoilé" par une jeune Israélo-tchèque qui trouvait que ce lourd (et apparemment indigeste, et hautement antipathique, disons-le) Allemand était vraiment ce qu'il y avait de plus "sexe" en philosophie (enfin, à part Patočka).
Autant dire que je m'y suis mis tout de suite.
16 janvier 2009, 22:14   Le besoin de chuter
Les physiciens les plus actuels (Penrose à Oxford, en 2008) s'interrogent sur la goutte de pluie. Qu'est-ce qu'une goutte de pluie et qu'elle est la loi qui la fait se former et, dans un même élan, la fait chuter tout en existant sans que la chute qui, dans l'histoire des hommes, désintègre les hommes, ne désintègre ce non existant qu'est la goutte de pluie ?

Réponse: la goutte de pluie n'existe que dans la pluie, elle agrège une masse d'eau nécessaire et suffisante à sa chute en même temps que nécessaire et suffisante à l'accrétion de plus d'eau qui, dans la chute, la maintiendra goutte, la maintiendra masse-goutte; et cette goutte ainsi formée à son tour garantira la suite de la chute appelée par le ciel de la goutte, soit le sol, grand attracteur, grand formateur de goutte, ami et contrepartie du ciel.

L'équation physique de la chute de la goutte de pluie est extrêmement dynamique (la goutte n'existe pas, elle n'existe que grâce à la chute qui la forme et la nourrit). La chute (physique mais aussi politique) est affaire complexe qui se nourrit d'elle-même.

En politique: Sarkozy, homme de la chute (comme le fut Pétain) est homme sans idéal hors le sol, hors l'aller opportuniste vers la bas. A cet égard, Sarkozy est bien comme Pétain, homme sans besoin de lecture ni nécessité de hors-là, de sortie de soi, donc homme sans intention, guidé par l'opportuniste, la téléologique histoire d'une chute humaine, historique, sans volonté.
16 janvier 2009, 22:24   Re : L'être et le rien
Sarkozy comme Pétain ? Mais alors, mais alors... c'est Badiou qui avait raison ????
16 janvier 2009, 22:32   Re : L'être et le rien
Monsieur Eytan, votre description me fait songer à Pascal, peut-être plus encore qu'à Heidegger (et dans l'infini, c'est Dieu qui vient à l'idée). Mais la filiation pascalienne de Heidegger ne serait guère étonnante. Merci, en tout cas, pour cette belle exégèse de ce passage.
16 janvier 2009, 22:46   Re : Besoin d'aide
Vouloir rendre les choses plus accessibles, cela peut aussi créer un empêchement.
Parce que vouloir s'appesantir sur ce qui ne doit être qu' "intuitionné", cela peut se révéler fort acrobatique.

Restons, si vous le voulez, accrochés à cette "buée", "goutte dans l'océan" : elle n'accède à l'être que par l'absence d'eau autour d'elle ; mais son être même s'origine, précisément et par définition, dans l'océan qui en est constitué d'une multitude.

Ce qui rend possible la goutte, c'est donc l'océan ; ce qui la rend actuelle, comme étant, c'est l'absence de l'océan alentour ; aussi la négation de ce qui la rend possible, l'océan, produit l'être de la goutte.
C'est la "négation de l'absente possibilité".
16 janvier 2009, 22:49   Re : Le besoin de chuter
J'espère pour eux, mais je leur fais confiance, que les physiciens les plus actuels, et même les plus inactuels, continuent à s'intéresser à la goutte d'eau après sa chute, et même quand elle n'a jamais chuté, condensée qu'elle fut, dès l'origine de sa non-existence, sur un pétale de rose, par quelque aube née de l'impossibilité de sa non survenue.
16 janvier 2009, 23:10   Re : Le besoin de chuter
La goutte d'eau ne se désagrège pas, elle existe jusqu'au sol grâce à un système de freinage de la chute que lui procure sa masse (et les forces de frottement que cette masse permet), M. Brunet. Or, qu'est-ce qui procure sa masse à la goutte: la chute elle-même, très exactement; en effet la goutte ne flotte pas dans les airs; grâce à sa masse elle chute, et la vitesse de sa chute est elle-même suffisamment freinée par le système de collecte d'eau et d'accrétion à sa masse pour que la désagrégation et la pulvérisation n'adviennent pas et que la goutte atteigne le sol entière.

La chute-condensation de la goutte compose tout un art que semble guider le sol. La chute-Sarkozy, qui n'est ni grotesque ni catastrophique comme le fut la chute-Pétain, face à une invasion molle, pour l'heure non résolument ou guerrièrement déclarée, face à cette occupation lente donc, cette chute est appropriée à l'histoire, comme la pluie qui arrose et corrompt le sol qui l'a appelée.

Sarkozy n'est pas un fasciste (comme voudrait le faire accroire un Badiou); il est cependant l'homme-de-la-situation, comme à pu l'être Pétain, cette situation paraissant assez fidèle au tableau que nous dresse du monde une Mme Elisseievna.
16 janvier 2009, 23:20   Re : Le besoin de chuter
Quand même, s'il fallait n'en rester strictement qu'à l' "existence" de ce qui se présente de la façon la plus patente comme sense data, nous en serions vraiment pour nos frais.

Au reste cela ne tient pas plus l'eau qu'aucune opération de négation produisant une affirmation : j'aime à me répéter cette phrase facétieuse de Bergson, comme pour me réaffirmer sur la terre ferme :
"Notre présent, qui est la matérialité même de notre monde, est un récif imminemment recouvert par les eaux !..."
Utilisateur anonyme
17 janvier 2009, 08:02   smog
Merci pour ces efforts d'éclaircissements. Hélas, je n'y vois toujours goutte.
17 janvier 2009, 19:51   Re : smog
Mais je vous en prie, Monsieur Bolacre.
Je suis désolé que cela vous semble toujours aussi fumeux.
Utilisateur anonyme
17 janvier 2009, 20:04   Re : smog
Je plaide coupable. J'ai toujours eu beaucoup de mal avec la philosophie, à partir d'un certain niveau, comme avec les mathématiques. C'est une faiblesse, une paresse ou un manque de goût.
17 janvier 2009, 23:07   Re : smog
Cher Orimont, je vous en prie, c'est moi qui plaide coupable. A la place de "l'origine de sa non-existence" il fallait évidemment lire "le début de la fin de sa non-existence".
Utilisateur anonyme
18 janvier 2009, 00:01   Re : smog
Je trouve particulièrement réussi le dessin que forme l'enfilade des messages de ce fil.
18 janvier 2009, 09:38   Re : smog
Voilà, il suffit maintenant de tirer, et cela s'ouvrira.
18 janvier 2009, 13:15   Re : L'être et le rien
Quand on lit la phrase suivante: "Pourquoi y a-t-il quelque chose et non rien ?", le rien est un être de raison, une facilité du discours. Il serait totalement impossible, voire absurde, d'inverser la proposition, "pourquoi y a-t-il rien et pas quelque chose ?", ainsi tout espoir d'alternative s'envole. L'Etre une nécéssité, le rien une coquetterie.
Mais je vois Heidegger plus proche de Descartes que de Pascal.
Utilisateur anonyme
18 janvier 2009, 15:40   Re : L'être et le rien
Ah! Ce retournement en quatre lignes, m'éclaire (un peu!). Merci, cher Florentin.
18 janvier 2009, 20:09   Re : L'être et le rien
Il y a une façon de faire du "rien" une affaire personnelle, rien moins qu'une coquetterie, mais un impensable certain, c'est de l'envisager comme notre propre mort.

Une être de raison, dites-vous, bien entendu puisque rien d'équivalent ne pourra être vécu, présenté dans une expérience ; cela n'en fait pas pour autant une facilité, mais souvent une impossibilité plutôt, un terme limite, une altérité radicale.
Pour Blanchot, "nuit", "dehors", neutre", et enfin "désastre".
C'est la déchirure de la trame du sens dans le monde.

Votre inversion de l'interrogation-slogan de la métaphysique : "pourquoi y a-t-il rien et pas quelque chose ?" m'a fait penser à une phrase de Leopardi, qui d'une certaine façon la met en œuvre :

Il semble absurde et pourtant il est exactement vrai d'affirmer que, tout le réel étant un néant, il n'est rien de réel et de substantiel au monde que les illusions."
19 janvier 2009, 10:01   Re : L'être et le rien
Il semble absurde et pourtant il est exactement vrai d'affirmer que, tout le réel étant un néant, il n'est rien de réel et de substantiel au monde que les illusions."
Ce pourrait être la légende du tableau de Friedrich proposé par Pierre-Ingvar dans son fil "Un peu de repos"...
19 janvier 2009, 19:11   Re : L'être et le rien
Rien n'est rien.
Mais dès qu'une vérité dépasse cinq lignes, c'est du roman, dirait Jules Renard.
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