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Terrible réalité de la force

Envoyé par Gérard Rogemi 
"Tout le problème de la vie civilisée consiste à faire passer la force dans le droit, comme le problème de la connaissance à comprendre la matière en fonction de l'esprit.

On va contre la solution spirituelle du problème en méconnaissant la force. Car alors, elle se venge. Elle se déchaîne, et tout le travail des siècles est emporté. Que vaut-il mieux ? se donner la peine de monter la garde aux portes de Paris, pour empêcher l'ennemi de le détruire ? ou déserter la Ville pour ne causer de mal ni d'ennui à personne, et ouvrir les portes au barbare qui s'empare de la Ville et la détruit ?

Quand la force abdique d'un côté, elle est seule de l'autre. Le droit n'est plus rien qu'une loque, la chemise d'une vieille femme qui ne sait plus à qui se prostituer. Il y a des misérables pour adorer ce chiffon sur un palais vide, une facade qui survit à l'incendie.

Qui méconnait la force doit périr par la force."


André Suares, Vues sur l'Europe, page 211; Grasset, Les Cahiers Rouges
Utilisateur anonyme
25 janvier 2009, 06:03   Re : Terrible réalité de la force
Suarès, dont les livres exigent les meilleurs moments de l'esprit, est un de ces purs-sangs qui a toujours su conduire sa vie intérieure comme une entreprise de chevalerie, une conquête de l'honneur, une noblesse en acte, une fierté qui s'affirme. On sait, en le lisant, qu'on ne peut plus être que pareil aux autres ou dédaigneux.
Il n'est pas inutile, peut-être, de préciser que Vues sur l'Europe date de 1933.
Non, cher Francmoineau, Vues sur l'Europe ne date pas de 1933 mais de 1936.

Il est intéressant de noter que son éditeur pour éviter toute dégradation des relations avec l'Allemagne qui venait de réinvestir la Rhénanie occupée par la France le mit au pilon et le livre ne fut réédité qu'en 1943 à Alger par la France Libre.

Ainsi le public fut-il privé du plus lucide et du plus violent réquisitoire contre le nazisme qui se pût imaginer.

C'était hier un brûlot et il l'est resté car nous sommes aujourd'hui dans la même mélasse pacifiste que dans les années trente.
Vous avez raison, cher Rogemi, j'ai avancé sa lucidité de trois ans.
Merci, cher Rogemi pour ce texte si lucide de Suarès qui est un auteur que j'aime beaucoup.
Erich Auerbach, professeur romaniste chassé de Marburg par les nazis, écrivit, dans son exil turc, à propos du fameux fragment de Pascal ("Il est juste que ce qui est juste soit suivi, il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi"...) un essai fondamental et vraiment bouleversant, quand on le rapporte à sa date de rédaction, 1946. On le trouvera en allemand sous le titre Über Pascals politische Theorie, dans un ouvrage général publié sous le titre de Vier Untersuchungen zur Geschischte des französischen Bildung. En français, cet ouvrage a été publié sous le titre Le culte des passions, essais sur le XVII°s français, par les éditions Macula en 1998. Le temps qu'il a fallu attendre pour qu'un texte aussi important soit accessible en français, fait rêver... Il complète de manière intéressante votre citation de Suarès.
Citation
est un de ces purs-sangs qui a toujours su conduire sa vie intérieure comme une entreprise de chevalerie, une conquête de l'honneur, une noblesse en acte, une fierté qui s'affirme

Très bel éloge d'André Suarès. Merci Zendji !
Autre son de cloche : de Suarès, Léautaud disait qu'il « singeait la grandeur »...
Il faut lire Suarès; il a ses détracteurs, certes, mais aussi des lecteurs exigeants.
En 1921, Suarès publia "Poète Tragique", qui contient une page ou deux sur ce qu'il nomme "la divine anarchie, sans violence et sans contrainte, où la liberté à son terme, est celle d'un monde où toutes les lois sont accomplies".

Au tournant du siècle, en l'espace de quatre décennies à peine, la poésie, la philosophie françaises (avec Bergson que Suarès admirait plus qu'aucun), refirent, en un éclair donc, huit cent années de poésie orientale, taoïste (avec cette "divine anarchie" de Suarès, au bord d'être entièrement théorisée en 1921), avec des Mallarmé, Régnier, Laforgue, elle reparcoururent et recréèrent, comme en passant, toutes les écoles vivantes de l'esprit. Toutes les écoles de poésie et de pensée qui sur d'autres continents, en d'autres lieux, avaient mis mille ans pour s'exprimer, s'exprimèrent en France entre la construction de la tour Eiffel et le franchissement du Rhin par les armées de Hitler.

Et l'on voudrait que l'on laissât ça à des Arabes qui n'en savent rien ! à des poutiniennes pétroleuses comme il nous en gueule aux oreilles ici ?

Si la France a pu réaliser cela: mille cinq cents ans de créativité littéraire en quatre décennies. Que ne peut-elle, SEULE ?
Citation
Autre son de cloche : de Suarès, Léautaud disait qu'il « singeait la grandeur »...

De la part de ce chancre de Léautaud ce n'est pas étonnant ...
Ah! ça, Francis Marche, vous me plaisez!
Utilisateur anonyme
25 janvier 2009, 23:00   Re : Terrible réalité de la force
"avec des Mallarmé, Régnier, Laforgue"


"[...] J'avais quatorze ou quinze ans : sortant du lycée, je lisais La Revue indépendante à l'Odéon. Là, je connus grâce à vous le pauvre Laforgue, cet esprit ailé et sa douce grimace, notre Yorick ; Mallarmé, Rimbaud, vous même, et Wyzewa qui donnait de si grandes espérances.
Mais surtout, pour la première fois, j'entendais parler musique, quatuors de Beethoven et Wagner, selon mon coeur. Car j'ai été élevé dans la musique : et pour vivre, avec les autres hommes, c'est sans doute un grand malheur."


Lettre d'André Suarès à Edouard Dujardin, 17 juin 1914.
Citation
à des poutiniennes pétroleuses comme il nous en gueule aux oreilles ici ?

"L'affreux danger de l'Europe, aujourd'hui, qu'elle est régie par des policiers tout-puissants et sans vergogne, des souverains à la Machiavel. Ce sont des sbires triomphants, la plus basse espèce de dictateurs que le monde ait connus depuis cent ans. Ils font des plans et ils gouvernent à la facon du Prince. Ils se réglent sur les maximes du secrétaire florentin; et leurs adversaires, les proix qu'ils guettent, sont assez niais pour ne jamais s'en souvenir.
La fin justifie les moyens.
Necessité faut loi, de toute maniére.
Il est juste de trahir et de tuer, quand on y a quelque intérêt.
Partout où on se croit le plus fort, il faut abuser de la force.
Vole le voisin, s'il ne te voit pas; tue-le, s'il te voit et si tu peux. [...]
Le crime et la trahison sont de très bonne politique, quand on peut avoir à faire à des moutons et des caniches."


Vues sur l'Europe, André Suarès, page 14.

Poutine et ses sbires se croient tout permis. Il y a encore eu deux assassinats de dissidents à Moscou ces derniers jours. L'abjection même...
Utilisateur anonyme
26 janvier 2009, 09:42   Re : Terrible réalité de la force
"Nul ne tient son droit que des complaisances de la force. Ceux qui parlent le plus de leur droit, sans la force qui le leur a révélé, ne le connaîtraient même pas."


A. Suarès, Variables.
Mais n'est-ce pas un lieu commun, au moins depuis Pascal ? (« Le droit sans la force est impuissant, la force sans le droit est arbitraire et tyrannique. »)
Utilisateur anonyme
26 janvier 2009, 10:15   Re : Terrible réalité de la force
Mais face à l'irénisme tout puissant n'est-il point salutaire de faire appel à quelques vieux lieux communs ?
Utilisateur anonyme
26 janvier 2009, 10:51   Re : Terrible réalité de la force
Une des premières choses qu'apprend tout étudiant en droit, est que l'Etat de droit, repose sur la force Publique.

Sans la force publique - et dans certains cas privée pour faire respecter la loi - c'est l'abolition de l'Etat de droit et le retour à la Loi du plus fort.

C'est ce que les Russes et Poutine oublient un peu moins que nous, tout en étant moins interventionnistes, et c'est pourquoi ils me paraissent avoir aujourd'hui plus de clairvoyance que nous, en tout cas sur ce point.
Citation
C'est ce que les Russes et Poutine oublient un peu moins que nous, tout en étant moins interventionnistes,

La Russie ne serait pas interventioniste ?

Chère elisseievna, là vous me surprenez . Que fait-elle quand elle coupe ses livraisons de gaz ou qu'elle envahit la Géorgie ?

Je vous rappelle que l'assassinat d'opposants était le sport favori des nazis et des bolcheviques.
Utilisateur anonyme
26 janvier 2009, 11:35   Re : Terrible réalité de la force
Vous êtes drôle Rogémi comme tous ceux qui parlent du gaz russe : mais enfin c'est SON gaz ! Elle pourrait le garder en réserve, et à mon avis, elle ferait mieux.

J'ai dit " moins", je n'ai pas dit "pas" ... interventionniste.
En tout cas tout le discours russe va à répétition dans le sens de la non intervention : voyez Ria Novosti, le dernier discours de Medvedev etc.
C'est à dire dans le sens de Hungtington : laissons chaque pays se débrouiller ...
Prenez le film 8eme brigade qui a eu du succes parait il là bas : que dit le sergent : " Personne n'a pu envahir l'Afghanistan" ...

Je parle de la Russie de maintenant, pas des bolchéviques.
Citation
Prenez le film 8eme brigade qui a eu du succes parait il là bas : que dit le sergent : " Personne n'a pu envahir l'Afghanistan" ...

"Personne n'a pu conquérir l'Afghanistan et y rester" dit le sergent de l'armée soviétique.

Le film s'appelle la "Neuviéme compagnie" et si vous pouvez en trouver le DVD n'hésitez pas une seule seconde pour l'acheter mais attention le film est d'une violence à la limite du supportable.

Âmes sensibles d'abstenir...

Quoiqu'il en soit le régime poutinien semble rester dans la ligne glauque du précédent.
Utilisateur anonyme
26 janvier 2009, 14:20   Re : Terrible réalité de la force
Je pense que l'heure de la force se rapproche, sinon ça sera l'anarchie, c.a.d. l'affrontement de tous contre tous, et qu'il faudra à la France, si elle en a l'audace, une sorte de Poutine lettré, histoire de remettre les pendules à l'heure.
Citation
faudra à la France, si elle en a l'audace, une sorte de Poutine lettré, histoire de remettre les pendules à l'heure.

Cad un président qui fasse tout d'abord le ménage dans les médias et qui ensuite n'hésite pas à éliminer physiquement les opposants dérangeants.

C'est pas demain la veille ...
Monsieur Rogémi, ne dites pas de mal de Léautaud, vous allez me faire de la peine.
Citation
Monsieur Rogémi, ne dites pas de mal de Léautaud, vous allez me faire de la peine.

Oh pardon je ne voulais en aucun cas vous faire de la peine, Monsieur Goux.
C'est bon : j'ai pris sur moi...
Utilisateur anonyme
26 janvier 2009, 20:17   Re : Terrible réalité de la force
Ne recommencez pas, Rogemi, ou le fantôme de Mlle Barbette pourrait venir vous mordre les mollets :

"Je vous présente Mlle Barbette, une petite chienne barbet, comme son nom l’indique, noire, avec les pattes blanches. Je l’ai trouvée un jour de janvier 1924, sous le guichet du Carrousel, face au pont des Saints-Pères. Elle était là, assise sur son derrière, pleine de boue, une ficelle au cou, sans personne à qui elle parût appartenir. (…) Les premiers jours ont été un peu difficiles. Mlle Barbette était toute jeune : pas encore un an. Elle dévorait tout. Quand je rentrais le soir, je trouvais mes papiers par terre, en miettes. J’ai cherché dans mes recoins de quoi la satisfaire sans me porter dommage. J’ai trouvé les Ballades de M. Paul Fort, dix, quinze, vingt volumes, plus, même ! avec de nombreuses plaquettes : on sait l’importance de l’œuvre de ce grand poète. J’ai donné cela à Mlle Barbette, un volume ou une plaquette par jour ou tous les deux jours, selon sa voracité. Elle a été enchantée. Pas un feuillet n’a subsisté. On a rarement vu une œuvre littéraire être appréciée à ce point."

Paul Léautaud, Passe-Temps.
27 janvier 2009, 23:20   Mise au point
Merci, bien cher Alexis, de rappeler cette vérité : Léautaud aimait aussi les chiens, je ne sais pour quoi on ne parle que des chats.
28 janvier 2009, 08:41   Re : Mise au point
Et les singes ? vous oubliez les singes ? Il est vrai qu'il s'agissait d'une guenon...
28 janvier 2009, 09:18   Re : Mise au point
Cher Alexis,

Je ne vais pas m'en prendre à votre vache sacrée mais il est presque réjouissant de constater que Léautaud met son talent (indubitable) toujours et encore au service de la pure bassesse enrobée bien sûr dans le vitriol de sa causticité.

Comme on dit si bien il salit tout ce qu'il touche.
Utilisateur anonyme
28 janvier 2009, 09:42   Re : Mise au point
Je ne vais pas m'en prendre à votre vache sacrée

Cher Rogemi, il y avait une grande part de plaisanterie dans ma réponse ! J'aime bien Léautaud, mais, selon l'expression consacrée, "je n'y pense pas tous les jours", et il n'est nullement pour moi une "vache sacrée"...
28 janvier 2009, 11:05   Re : Mise au point
Citation
une grande part de plaisanterie

Dans la mienne aussi. Il faut dire, cher Alexis, que votre extrait était particulièrement bien choisi.
Utilisateur anonyme
28 janvier 2009, 11:33   Re : Léautaud
Voici un autre passage fort amusant, tiré d'une des chroniques théâtrales que Léautaud publiait dans le Mercure de France sous le pseudonyme de Maurice Boissard :

"Le règlement des salles de spectacle n'est pas, en effet, toujours observé. J'en avais la preuve encore récemment à l'Odéon, où une dame placée devant moi arborait un chapeau des plus remarquables. Certes, je sais me rendre compte des choses, et il ne m'échappait pas qu'elle était venue là uniquement pour montrer ce chapeau, mais comme j'y étais venu, moi, pour voir la pièce, cela créait entre nous une certaine incompatibilité. J'osai donc prier cette dame de bien vouloir enlever ce monument, lui assurant qu'elle aurait tout loisir aux entr'actes d'en faire apprécier les vastes proportions. Ce fut en vain. Je ne pus rien obtenir, non plus que mes voisins. Me fâcher, vous le reconnaîtrez, n'eût pas été d'un galant homme. Je n'insistai donc pas. « Madame, lui dis-je seulement, je tiens à vous faire compliment. Il n'y a vraiment que les femmes pour prendre soin de si bien couvrir ce dans quoi justement il n'y a rien. »"
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