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Les paroles des chansons que je cite et ces très jolis vers me font à nouveau penser au Guépard, à l'essentielle proximité de la beauté et de la pourriture. »
Merci Jmarc, je ne connaissais pas votre blague. Pour prolonger votre rêverie sur cette proximité essentielle de la beauté et de la pourriture, j’aimerais évoquer pour vous cet opéra que j’ai vu il y a quelques jours et qui vous aurait charmé, j’en suis sûre. Il s’agit de « Death in Venice » de Benjamlen Britten. Dans la mise en scène de la Monnaie (Deborah Warner), la Beauté émerge constamment des relents pestilentiels et mortifères de la ville atteinte par le choléra. La beauté triomphe de la vulgarité et pas seulement au figuré, pas seulement par la grâce de la musique et des voix sublimes qu’il nous a été donné d’entendre mais grâce aussi au jeu des chanteurs- acteurs, aux costumes, à la chorégraphie et aux corps des jeunes danseurs, aux couleurs des lumières. Tout ne fait appel qu’à elle, cette beauté tant snobée par tant de metteurs en scène actuels. Il s’agissait d’un spectacle total, un spectacle parfait (un de ces rares opéras que l’on ne saurait écouter dans son fauteuil à la maison tant l’aspect visuel, spatial est important). Un spectacle sans aucun sentimentalisme exagéré ―, tout était so british ―, mais tellement poignant. J’ai beaucoup aimé la succession souplement enchaînée des nombreuses scènes menant un Von Ashenbach déprimé, du sinistre cimetière allemand (évoquant étrangement une installation de Kounellis), à travers un long voyage et une longue méditation alimentée par la rencontre foudroyante avec la Beauté, vers son destin lumineux et crépusculaire à la fois, vers la finale victoire sur la mort. A la fin de l’opéra, les lumières qui ont suggéré alternativement des matins vénitiens éblouissants et des brumes fuligineuses, virent progressivement aux nuances empoisonnées, les jaunâtres et les violacés. Mais la dernière scène dans un clair-obscur apaisé nous montre l’écrivain étendu sur son transat de plage, abordant doucement et sereinement les rivages éternels tandis que le jeune dieu Tadzio lui offre une ultime danse juvénile. Dans cette merveilleuse dernière image, bercés d’une musique céleste nous voyons presque nettement passer l’âme du poète au corps de à l’adolescent aimé.