Cet échange permet de voir que l'évolution du mot
pédagogie escamote (mais n'oublie pas) le sens premier, issu du verbe
agô, je conduis, je mène, au profit d'une idée d'enseignement transmis, de
didachè, rendue accessible aux enfants que nous sommes. Le mot
pédagogie au sens moderne semble signifier qu'en mettant le contenu enseigné à la portée de l'enfant, on le guide où l'on veut, alors que le grec séparait nettement le pédagogue, qui l'accompagne et le garde, et le didaskalos, qui l'instruit. De fait, les deux dimensions sont étroitement mêlées dans l'enseignement tel qu'il se pratique : qu'on se rappelle les dernières communications de M. JGL sur la culture idéologique des étudiants contemporains. On les a bien conduits à penser comme il faut. Au lieu de leur donner les outils nécessaires à déchiffrer les discours, on leur a livré des discours tout faits.
Le communiqué s'indigne que l'on traite les citoyens en enfants, et je m'en indignerai aussi, car les "pédagogues" qui nous gouvernent ne me paraissent pas très éclairés. Toute opposition à leur politique, à les croire, est due à l'incompréhension ; si leurs décisions sont expliquées correctement, leur excellence éclatera. Dans le principe toutefois (la liste d'occurrences et citations données par le dictionnaire grec au mot
paîs, paidós me le fait penser), il n'est pas choquant de comparer le peuple à un enfant, ni d'envisager notre ignorance des affaires et de leurs complexités, ni de concevoir que beaucoup d'aspects du gouvernement d'un état réclament une grande compétence. Dans sa réflexion sur la démocratie, Montesquieu rappelle qu'elle exige des citoyens de grands efforts et une éducation particulière, où l'amour du bien public et le sacrifice de soi à l'intérêt de tous doivent être enseignés aussi bien par la famille que par l'école (" mais la vertu politique est un renoncement à soi-même, qui est toujours une chose très pénible ",
De l'esprit des lois, IV, 4-5). Voyez aussi ce qu'écrit Paul Veyne dans son
Empire gréco-romain, où il apparaît que la démocratie est un régime de pénibles devoirs, beaucoup plus que de droits. Je me demande parfois si je ne préfère pas mon inaction politique, mon désintérêt et mon ignorance des affaires, dérobades à mes devoirs de citoyen d'une démocratie, à un engagement dans des débats, combats et causes qui m'inspirent beaucoup de répugnance.