J'ai trouvé très intéressant, hélas, l'article du
Monde ci-dessous. Ses observations ne m'étonnent en rien, faut-il le dire, et d'ailleurs il révèle beaucoup plus que ce qu'annonce son titre. En revanche je ne pense pas du tout que "la crise" soit seule en cause parmi les facteurs explicatifs. Je regrette beaucoup de n'avoir pas le temps de consacrer un "éditorial" et un petit livre, pour compléter ma réflexion sur la
Grande Déculturation, à la
Décivilisation, qui me semble une part capitale du processus en cours — ce qu'on pourrait appeler le réensauvagement du monde.
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Injures et menaces : les employés de banque face à la montée des incivilités
La colère des clients contre les banquiers, rendus responsables de la crise, s'exprime au quotidien dans les agences
La crise financière a-t-elle envenimé les relations que les Français nouent avec leur banque ? " Ils sont à peine dans la file qu'ils commencent à g..., raconte Sylvie (les prénoms des personnes interrogées ont été modifiés), employée d'une agence de la Société générale à Paris. Hier, je me suis fait traiter de connasse. Dix minutes après, une personne âgée a brandi son parapluie contre moi. "
Olivier, au guichet d'une agence de la BNP à Bois-Colombes (Hauts-de-Seine), tempère : " La violence verbale éclate tout de suite, reconnaît-il, mais la pharmacienne à côté affronte les mêmes difficultés. "
Les motifs de colère ont été répertoriés par les syndicats : refus de sortir de l'argent, refus de chèque, frais jugés exagérés, erreur de la banque, attente au guichet, saisie arrêt sur le compte...
Patricia travaille, elle, en relation téléphonique avec la clientèle pour le compte du Crédit agricole : " Ils ne me voient pas, alors ils se lâchent plus volontiers. Je me suis fait traiter de "blonde" il y a peu. " L'injure sexuelle jaillit très vite : " Un homme à qui je proposais de laisser un message à son chargé de clientèle m'a répondu : "Vous commencez à me titiller le téton". "
Antoine, au Crédit mutuel, a fait l'expérience du fait que les victimes d'injures sexuelles ne sont pas que des femmes. " Un chef d'entreprise à qui je refusais la prolongation d'une ligne de crédit m'a dit : "T'es qu'une petite p... que je vais venir voir au bois de Boulogne, je vais m'occuper de toi". " Des femmes aussi se lâchent : " Suite à la mauvaise exécution d'un virement, une cliente m'a dit : "p... de bordel de merde vous me faites ch..." "
Serge, lui, est chargé d'un service de gestion de patrimoine dans une grande banque mutualiste de la région lyonnaise : " Un client qui a perdu beaucoup d'argent sur les marchés a pris mon bureau et l'a retourné. Il était prêt à me faire la peau, mais comme je fais 1,90 m, il a reculé. Puis il s'est effondré en larmes : "C'est vingt ans de ma vie que vous avez foutue en l'air", disait-il. "
Serge essaie de synthétiser : " Les clients nous reprochent d'avoir feint la maîtrise : tout était parfait et rien n'aurait dû se produire. " Mais d'autres salariés analysent la violence des clients comme la conséquence logique de la " violence commerciale " que les banques exercent depuis longtemps sur les clients. Ghislain, cadre chez BNP Paribas, affirme : " Mes chefs sont soumis à une pression dingue quant à la rentabilité des capitaux engagés. Cette pression, ils la répercutent sur les salariés : je reçois des courriers électroniques incendiaires, des bourrades dans l'épaule. "
Une analyse partagée par Guillaume, chargé de clientèle chez LCL : " Mon chef me parle mal. Il nous oblige à vendre n'importe quel produit et exerce des pressions quasi physiques : il ordonne, puis soulève mon bureau d'une main et le laisse retomber avec fracas. "
Les salariés de banque âgés se plaignent de cette transformation de la relation avec le client : " Avant, on avait des relations presque familiales. Aujourd'hui, il faut les tondre, sinon on se fait virer. "
La plupart des banques refusent de s'exprimer sur le sujet. BNP Paribas reconnaît apporter un soutien psychologique à ses salariés. En fait, les statistiques manquent pour permettre de quantifier le phénomène des incivilités. La Fédération bancaire française n'en finit plus de compiler les données des banques adhérentes. Un bilan pourrait sortir au printemps.
Yves Mamou